Taryk Bennani, Laurent Clerc, Virginie Coudert, Marine Dujardin et Julien Idier
Assurer la stabilité financière est une condition nécessaire au bon fonctionnement de l’économie. Pour éviter les crises, les mesures adéquates doivent être prises en amont dans un objectif de prévention. Il s’agit de limiter les risques et de renforcer la résilience du système financier lorsqu’il est encore temps. C’est là tout l’objet de la politique macroprudentielle. « Alors que la supervision microprudentielle cherche à assurer la solidité des institutions considérées individuellement, la politique macroprudentielle vise à prévenir le risque systémique en ciblant le système financier dans son ensemble. »
Nous reprenons dans ce livre les thèmes d’études de la Direction de la stabilité financière et nous appuyons sur l’expérience accumulée ces dernières années dans le cadre de la mise en place des autorités macroprudentielles en France et au niveau européen en regroupant le tout dans un ouvrage pédagogique, intitulé «Politique macroprudentielle : Prévenir le risque systémique et assurer la stabilité financière » et destiné à un large public d’étudiants et d’économistes professionnels. Selon Jean Tirole (Prix Nobel d’économie), qui en a rédigé la préface, « ce livre met en avant la procyclicité de nos économies et l’interaction entre sphère financière et sphère réelle. Il contient une description soigneuse des réformes prudentielles et des éléments analytiques expliquant le pourquoi de ces réformes. Il est aussi très didactique ».
Dans les quatre premiers chapitres, nous montrons en quoi les défaillances de marchés, les risques financiers, l’accumulation des déséquilibres au cours du cycle financier et les crises financières rendent nécessaire la mise en place d’une réglementation macroprudentielle.
La dimension systémique de la crise de 2008 et ses larges ramifications ont ouvert la voie à de profondes réformes du système financier, dont les accords de Bâle III, qui introduisent, pour la première fois, un volet macroprudentiel à la régulation bancaire. Le cadre de la politique macroprudentielle peut être caractérisé en quatre points : (i) son objectif, qui est de préserver la stabilité financière en prévenant et en limitant le risque systémique ; (ii) son périmètre, le système financier pris dans son ensemble ; (iii) ses instruments, qui incluent des mesures concrètes, comme les surcharges en capital ou les conditions d’octroi de crédit ; (iv) sa gouvernance, qui comprend une autorité macroprudentielle bien identifiée dotée d’un mandat adapté et d’instruments contraignants.
« Le périmètre extrêmement large du risque systémique nécessite une surveillance de l’ensemble du système financier, mais également une identification des canaux de transmission du secteur financier vers l’économie réelle. » On procède à une description stylisée des bilans des différents acteurs financiers et non-financiers : banques, compagnies d’assurance, fonds mutuels, ménages, entreprises. Tous ces secteurs sont exposés directement ou indirectement aux chocs financiers par des effets de contagion. Cette analyse permet de mieux comprendre les interactions entre les sphères réelle et financière.
Le cycle financier peut se définir comme l’alternance de périodes de « boom » et de crises financières. « La phase montante du cycle conduit à une accumulation d’endettement dans l’économie, qui génère une montée continue des risques de crédit et de marché ». Le chapitre 3 décrit les incitations à la prise de risque pendant la phase de « boom », notamment pour les banques – en raison du problème du « too big to fail » – ainsi que pour les gestionnaires d’actifs, du fait de leur mode de rémunération. La baisse de l’aversion pour le risque va de pair avec la montée des prix d’actifs et le développement de l’endettement. Tout un ensemble de facteurs contribue à l’amplification du cycle financier et rend son retournement d’autant plus coûteux pour l’économie.
Ce chapitre étudie les différentes formes de crises financières – change, balance des paiements, dette souveraine et crises bancaires systémiques – en montrant qu’elles ont pour caractéristique commune de suivre, la plupart du temps, une phase d’accumulation des déséquilibres. La crise de 2008 n’échappe pas à cette règle. Le mécanisme d’accélérateur financier, ainsi que les phénomènes de contagion, directe et indirecte, amplifient la virulence des crises financières et leurs répercussions sur l’économie réelle. Les coûts économiques engendrés sont particulièrement lourds, ce qui justifie pleinement de mettre en place des mesures préventives.
Si prévenir les crises est important, il reste à déterminer les instruments à utiliser et le cadre macroprudentiel adapté. Les cinq chapitres suivants du livre sont consacrés à ces questions.
Ce chapitre présente des outils opérationnels mobilisés pour la détection des risques à partir des indicateurs avancés traditionnellement scrutés par les autorités macroprudentielles. Nous montrons comment certaines méthodes de visualisation, telles que les « heatmaps », permettent de résumer la grande diversité des risques auxquels sont soumis les systèmes financiers. Nous mettons cependant en garde contre toute surutilisation mécanique de ces analyses statistiques qui ne sont in fine que de simples « outils d’aide à la décision ». En effet, le système financier évolue rapidement et connait des mutations constantes contre lesquelles toute analyse statistique ou historique atteint ses limites.
« Un instrument est dit macroprudentiel lorsqu’il vise spécifiquement à prévenir ou atténuer le risque systémique ». Ce chapitre présente les instruments macroprudentiels tels que les surcharges en capital ou les ratios de liquidité, les contraintes d’octroi de crédit ou les limites à l’endettement. Certains instruments sont harmonisés au niveau international, tels que le coussin contracyclique issu de Bâle III ou les coussins pour les institutions d’importance systémique mondiale ; d’autres ne sont définis qu’au niveau national et peuvent différer d’un pays à l’autre.
Tout comme la politique monétaire s’est dotée de modèles macroéconomiques et de cadres analytiques dédiés, la politique macroprudentielle connait aujourd’hui des développements analytiques importants. Le chapitre 7 présente les principales méthodes et outils d’activation et de calibrage des instruments macroprudentiels. A ce stade, dans de nombreux pays, les analyses formelles d’indicateurs avancés de crise sont largement utilisées pour fournir un diagnostic sur la probabilité d’une future crise financière. Le calibrage suit un certain nombre d’étapes : définition de scenarios, évaluation des coûts et bénéfices des mesures, utilisation d’outils de stress tests, d’analyses de contagion et de rétroaction sur l’économie réelle. Les stress tests font aussi partie des outils mobilisés par l’analyse macroprudentielle : ils ont été développés ces dernières années afin de compléter les approches uniquement microprudentielles qui ont démontré leur insuffisance dans la prévention de la crise de 2008.
La politique macroprudentielle a une dimension transversale. Dans le chapitre 8, nous analysons ses interactions et ses possibles conflits d’objectifs avec d’autres politiques économiques : (i) la politique microprudentielle ; (ii) la politique monétaire ; (iii) la politique budgétaire, avec laquelle la politique macroprudentielle présente certaines similarités du fait de la nature quasi-fiscale de certaines mesures et de son caractère contracyclique. En effet, « le développement des politiques macroprudentielles dans l’environnement post-crise s’est effectué dans un contexte où la capacité d’utiliser la politique budgétaire pour relancer l’activité s’est trouvée très fortement contrainte par la nécessité de contenir les déficits publics ».
Le dernier chapitre offre une description détaillée des différents modes d’organisation institutionnelle de la politique macroprudentielle. Les questions de mandat et de pouvoir des autorités macroprudentielles y sont analysées. Les modalités retenues en pratique pour la gouvernance macroprudentielle sont présentées à travers les trois cadres suivants : français, européen et international. À cet égard, il est important de souligner que la politique macroprudentielle est d’autant plus efficace que les mesures sont coordonnées au plan international, du fait de ses effets transfrontières.
Ce livre est le premier ouvrage consacré à la politique macroprudentielle en France. Nous pensons que cette politique devrait constituer un enseignement à part entière dans la formation des économistes, d’autant que les interactions entre sphères financière et réelle ne cesseront de croître.
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Mis à jour le : 05/01/2018 11:06