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Audition de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, devant la Commission des finances de l’Assemblée nationale
Intervenant

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 26 Mars 2025

Audition de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, devant la Commission des finances de l’Assemblée nationale
Paris, 26 mars 2025
Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général, Mesdames et Messieurs les députés,
Je vous remercie de me recevoir aujourd’hui : vous le savez, la Banque de France est à votre service pour apporter son éclairage avec humilité sur ces temps économiques très incertains. Assurément, nous vivons un retournement historique, et notre réponse doit être à la hauteur de l’histoire. Mon propos articulera donc deux forces nécessaires pour la France et l’Europe. Il nous faut d’abord faire preuve de lucidité : le moment est dangereux mais la France a des atouts (I). Ensuite, nous devons être déterminés : il est plus que temps de retrouver la maîtrise de notre destin, y compris économique (II).
I. La lucidité, face à l’imprévisibilité américaine
L’environnement économique international est désormais marqué par l’imprévisibilité américaine. Par ses décisions et revirements, M. Trump déstabilise le système multilatéral. Ce retournement renforce les risques de long terme, qu’ils soient d’ordre financier – pensons aux crypto-actifs ou à l’intermédiation non-bancaire – ou climatique. À court terme, il dessert déjà les États-Unis : en témoignent la dégradation des prévisions de la Réserve fédérale en termes de croissance (-0,4 pp par rapport aux prévisions de décembre, à 1,7%) et d’inflation (2,7% au lieu de 2,5%) pour l’année 2025. C’est la manifestation d’une stratégie – que l’on peut qualifier de « perdant-perdant » – de l’administration Trump : celle-ci semble se représenter l’économie mondiale comme un jeu à somme nulle où les gains des uns résultent nécessairement des pertes des autres. C’est une méprise lourde : l’échange des idées, des talents, des biens et services, est mutuellement bénéfique. Toujours, le protectionnisme pénalise d’abord les pays qui l’initient, à commencer par leurs propres consommateurs qui doivent payer plus cher leurs achats.
L’imprévisibilité et les tensions commerciales seraient aussi coûteuses pour l’Europe – mais dans une moindre mesure. Une hausse de 25 pp des droits de douane américains au deuxième trimestre 2025 y aurait un impact inflationniste limité mais pourrait diminuer le PIB de la zone euro d’environ 0,3% en année pleine. L’impact sur l’économie française serait moindre, du fait d’une exposition des exportations de biens françaises au marché américain inférieure à celle de l’UE. D’après nos projections et avant cet effet éventuel, la croissance française est ralentie mais restera positive en 2025, à 0,7%, et l’inflation demeurerait contenue à 1,3% en indice harmonisé.
Notre prévision demeure donc celle d’une sortie de l’inflation sans récession, avec une reprise progressive du pouvoir d’achat salarial. Le salaire moyen par tête a déjà augmenté plus que l’inflation en 2024. Face à cet environnement plus dangereux, il y a deux éléments plus positifs. Le premier est national : notre économie, à côté de problèmes évidents, conserve de sérieux atouts que nous voyons souvent moins. Notre travail d’abord, qui est le seul pilier durable de notre prospérité : il n’y a jamais eu autant de Français au travail (30,6 millions) qu’aujourd’hui. C’est aussi vrai en heures travaillées. Même si – j’y reviendrai – nous devons faire mieux, notre pays a créé depuis 10 ans 2,2 millions d’emplois nets. La force de nos 4,5 millions d’entreprises ensuite, des TPE-PME jusqu’aux grandes entreprises actives sur la scène internationale, en passant par 400 000 créations en 2024, soit +30% par rapport à il y a dix ans. Enfin, nous disposons d’une épargne financière abondante des ménages de 6300 milliards, du fait d’un taux d’épargne parmi les plus élevés d’Europe (18%).
Le second atout tient à notre participation à l’Union européenne. C’est dans ce monde plus dur le bon échelon pour répondre aux défis de souveraineté. Ensemble, notre marché unique pèse autant que celui des États-Unis, même s’il est moins attractif. Nous avons conquis notre souveraineté monétaire grâce à l’euro, qui bénéficie d’un soutien historiquement élevé de 81% des citoyens européens et 76% des Français . Et la victoire de l’Eurosystème contre l’inflation est quasi-assurée : nous avons pu ainsi baisser significativement les taux d’intérêt, et nous avons encore une marge de baisse pragmatique.
II. La détermination : retrouver la maîtrise de notre destin économique
Nous devons aussi être déterminés. Attendre passivement, assis sur nos quelques atouts, serait le chemin assuré de l’enfoncement. La mauvaise nouvelle du retournement américain ne peut devenir une force motrice pour la France et pour l’Europe qu’à une condition : que nous voulions aujourd’hui retrouver la maîtrise de notre destin économique et budgétaire. Si vous me permettez une métaphore automobile, cela implique un frein et un accélérateur.
Pour d’abord reprendre le contrôle de nos finances publiques, nous devons arrêter la croissance de nos dépenses publiques. Plus la France est endettée, plus elle dépend du reste du monde. Notre dette publique est passée de 30% à 110% du PIB en quarante ans : les intérêts en dépassent déjà notre budget de défense, et bientôt celui de l’éducation nationale. La cause de cette maladie française est bien connue : depuis trop longtemps, nos dépenses publiques croissent plus vite que nos recettes. Au total, et avec le même modèle social européen – auquel je crois profondément –, notre pays dépense plus de 9 points de PIB de plus que ses voisins, soit un « écart d’efficacité » atteignant 260 milliards d’euros. Il faut d’abord tenir le déficit à 5,4% cette année, et c’est encore accessible. Au delà, le chemin du redressement est difficile, mais possible. Il repose sur une « triple équivalence » en termes d’objectifs chiffrés. Stabiliser enfin notre dette publique, c’est équivalent à atteindre l’équilibre primaire – hors charges d’intérêt – et donc réduire notre déficit total à 3% en 2029. C’est aussi équivalent à stabiliser nos dépenses publiques totales en volume sur la période 2025-2029, à prélèvements fiscaux inchangés. À ce propos, j’avais relevé à l’automne dernier que des hausses d’impôts ciblées et justes devaient être envisagées ; elles ont eu lieu dans le budget 2025 et la priorité est maintenant l’efficacité des dépenses. Cet effort de stabilisation des dépenses en volume n’est donc pas un recul brutal et aveugle ; mais il doit être partagé par l’ensemble des administrations publiques : en premier lieu l’État, dont le budget a commencé à reculer depuis deux ans (-0,4% par an) ; mais aussi en incluant les dépenses sociales et locales, qui représentent ensemble 64% de nos dépenses totales et continuent à augmenter de 2% par an en volume. Un effort pour la défense, légitime, ne peut pas et ne doit pas être le retour du « quoi qu'il en coûte ». Il est une raison supplémentaire de viser cette stabilisation globale des dépenses maintenant, sans plus tarder.
À côté de l’arrêt de la croissance de nos dépenses publiques, nous devons viser d’accélérer la croissance de notre économie. Deux leviers peuvent être combinés, avec l’objectif de porter le rythme de notre croissance potentielle d’environ 1% actuellement jusqu’à 1,5% d’ici 2030.
Le premier levier à activer est français : il nous faut travailler plus collectivement. Malgré de nets progrès à cet égard, nous devons augmenter l’emploi de nos jeunes – notamment les moins qualifiés – et de nos seniors. Nous avons, sur les uns comme sur les autres un retard de taux d’emploi de plus de 15 points avec l’Allemagne. Nous devons aussi travailler mieux : notre productivité peut progresser notamment grâce à la diffusion massive et positive de l’intelligence artificielle.
Le deuxième levier est européen. Les rapports Letta et Draghi en 2024 ; ainsi que la « Boussole pour la compétitivité » de la Commission de février dernier présentent des diagnostics remarquablement convergents sur les réformes nécessaires sans coût budgétaire. Ils se résument à trois impératifs, 3 « i », ou si l’on préfère, la taille multipliée par le muscle et par la vitesse. Il faut d’abord intégrer plus le marché unique – la taille –, en supprimant les obstacles internes dans plusieurs domaines comme les services et l’énergie. Il faut aussi investir mieux, en priorité dans les innovations de rupture les plus prometteuses. Et pour cela, le muscle financier : le plan d’action sur l’Union de l’épargne et de l’investissement annoncé le 19 mars par la Commission est bienvenu, si on accélère bien sur quelques projets-clés comme le développement du capital-risque et la supervision centralisée. Il faut enfin innover plus vite. L’Europe a besoin de simplification : moins de bureaucratie, de procédures et de délais. Soyons clairs cependant face aux tentations exprimées outre-Atlantique : simplifier n’est pas déréguler. C’est au contraire mieux réguler : des objectifs réaffirmés, moins de normes, mieux mises en œuvre et donc plus efficaces. Je veux ici souligner l’importance des travaux de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de simplification de la vie économique.
Permettez-moi de conclure en revenant à ce défi historique. Nous sommes un vieux et grand pays, qui a surmonté plusieurs crises graves dans son histoire. Le passé nous apprend les ressorts du sursaut : pour élever notre niveau de débat et d’action, il faut d’abord en allonger l’horizon de temps, au-delà des fixations successives de l’instant ; il faut aussi en élargir le champ, au-delà de nos querelles franco-françaises. La Banque de France est plus que jamais à la disposition des élus de la Nation, dans ces responsabilités lourdes qui sont les vôtres au service de l’intérêt national. Face au renoncement américain, ce peut être notre moment européen et français, si et seulement si nous le voulons.
i Federal Reserve Board. Summary of Economic Projections – March 2025. Federal Open Market Committee (FOMC). 19 mars 2025.
ii Banque de France. Projections macroéconomiques intermédiaires. Mars 2025.
iii Commission européenne, Eurobaromètre, novembre 2024.
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Mise à jour le 31 Mars 2025