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Les Échos : « Notre stratégie contre l’inflation fonctionne »
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 21 Juin 2023
Interview de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, à l'occasion de la réactualisation des projections de l'institution à l'horizon 2025.
Le taux de chômage est désormais anticipé autour de 7,5 % en 2024, contre 8 % prévus précédemment.
Croissance, inflation, emploi, taux d'intérêt : tour d'horizon avec le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, à l'occasion de la réactualisation des projections de l'institution à l'horizon 2025. Le taux de chômage est désormais anticipé autour de 7,5 % en 2024, contre 8 % prévus précédemment.
L'activité économique en France a déjà ralenti. La hausse des taux d'intérêt et l'arrêt des politiques de soutien ne risquent-ils pas de la freiner encore plus ?
Il y a six mois, la grande crainte était d'avoir à la fois une récession et l'installation d'une inflation trop forte. Nous sommes aujourd'hui plus confiants : nous allons sortir progressivement de l'inflation tout en évitant la récession. Certes l'activité a ralenti : notre prévision de croissance en 2023 est de 0,7 %, marginalement plus que les 0,6 % prévus en mars.
Pour les années suivantes, nous attendons une reprise modérée : la croissance s'établirait à 1 % en 2024 et 1,5 % en 2025. Mais cela ne suffira pas à l'ambition de croissance de la France. Dès lors que l'on sort du mode crise et de l'urgence, il faut sérieusement s'atteler à une stratégie de transformation pour muscler notre capacité productive, en particulier la transformation du travail. Le travail doit être plus abondant, plus qualifié et plus attractif.
Vous prévoyez une décrue de l'inflation sur la seconde moitié de l'année. Quels sont les facteurs qui nourrissent votre confiance ?
Nos prévisions sont relativement proches de celles de mars dernier : l'inflation devrait être voisine de 4 % en France en fin d'année. N ous avons passé le pic , en zone euro comme en France, grâce à la décélération des prix de l'énergie. Nous devrions avoir au second semestre une nouvelle décélération liée aux prix alimentaires : les prix de gros agricoles ont baissé et devraient, avec un décalage de quelques trimestres, se transmettre aux prix en rayons. Le plus significatif est que, selon nos enquêtes, la part des industriels ayant augmenté leurs prix en mai est redescendue à 10 %. On était à 30 % début 2023 et à 50 % en mai 2022.
A 4 % en fin d'année, la hausse des prix sera encore forte…
Oui, et nous ne nous arrêterons pas là. Nous sommes très attentifs à l'inflation sous-jacente, hors énergie et alimentation, qui représente 70 % du panier de la consommation. Elle est, à 4,4 % en France, moins spectaculaire que la hausse des prix de l'énergie et des produits alimentaires. Mais c'est la part de l'inflation qui risque d'être persistante : c'est le champ d'action de la politique monétaire.
Ne craignez-vous pas les effets négatifs sur la croissance du durcissement des politiques budgétaires en Europe ?
La politique budgétaire doit être cohérente. Ainsi le maintien de subventions fortes qui soutiennent la consommation d'énergie irait désormais à l'encontre de la lutte contre l'inflation. Dans notre pays, il y a incontestablement de la marge de redressement budgétaire sans durcissement excessif…
La politique monétaire ne risque-t-elle pas d'être coûteuse en emplois en France ?
C'est l'un des sujets sur lequel nous avons révisé notre prévision. Malgré le ralentissement économique, le taux de chômage resterait autour de 7,5 %, l'an prochain, contre 8 % attendus précédemment. Les entreprises veulent toujours recruter et conserver leurs salariés. Ceci se voit aussi dans d'autres pays mais est plus marqué en France.
L'une des explications est le développement de l'apprentissage. Dans notre pays, qui a encore un taux de chômage de 7 %, on ne peut que se réjouir que l'emploi tienne bien. Cela a comme toute médaille son revers : la productivité se dégrade. Plus la France se rapprochera du plein-emploi, plus la question de la productivité et du travailler mieux se posera.
Le rattrapage salarial est-il susceptible de déclencher une spirale prix-salaires ?
Les salaires augmentent, logiquement. Mais les négociations salariales étant décentralisées au niveau des entreprises et des branches, nous ne voyons pas aujourd'hui en France de risque de spirale prix-salaires. Dans nos prévisions, le pic des hausses de salaires devrait être atteint au second semestre. Ce constat vaut globalement en zone euro, même s'il faut rester attentif à la situation de l'Allemagne notamment.
Le pouvoir d'achat reste la préoccupation majeure des Français…
Une des relativement bonnes surprises de l'économie française en 2022, même si la perception de nos concitoyens est différente, c'est que le pouvoir d'achat par habitant a été en moyenne maintenu, à -0,1 %. Alors que les salaires réels ont un peu diminué, les créations d'emplois et les soutiens budgétaires ont aidé le pouvoir d'achat. Nous prévoyons en revanche un recul de -0,4 % en 2023, puis un redémarrage sensible en 2024 et en 2025.
Faut-il s'inquiéter du rebond des défaillances d'entreprise ?
Les défaillances d'entreprise sont entrées dans une phase de rattrapage, après le point très bas du « quoi qu'il en coûte ». Je crois à une vigilance au cas par cas, pas à une alerte générale, ni à un « mur de faillites » en France. Les services de la Banque de France ne constatent pas d'explosion des saisines de la Médiation du crédit.
La note de la France est sous pression. Quelles sont les perspectives en termes de finances publiques ?
En termes de finances publiques, la position de la France s'est dégradée. Avec un ratio de 111 % de dette publique par rapport au PIB, la France est nettement au-dessus de la moyenne de la zone euro à 91 %, ce qui n'était pas le cas il y a vingt ans. En outre, nos prévisions laissent craindre que la dette publique reste à ce niveau alors que chez nos voisins elle va diminuer.
Nous ne devons pas nous résigner à cette « étrange défaite » française : nous pouvons maintenir notre modèle social européen tout en améliorant l'efficacité des dépenses et des services publics. Je crois au management public, à des contrats pluriannuels responsabilisant les grandes administrations, à l'innovation et à la confiance. Bref, plus de transformation publique, plutôt que toujours plus de dépenses publiques.
Etes-vous inquiet pour le financement de la France sur les marchés ?
Un scénario de rupture est improbable ; mais le financement sur les marchés va coûter plus cher qu'avant et entamer de plus en plus nos marges de manoeuvre budgétaires : la charge annuelle de la dette va augmenter de plus de 50 milliards de 2020 à 2027 . Et à long terme, nous manquons à notre devoir de solidarité envers les jeunes générations à qui nous léguons une dette financière en plus de la dette climatique.
Etes-vous favorable à des hausses d'impôts ?
Je me suis prononcé contre de nouvelles baisses d'impôts non financées. Nous avons toujours tendance à vouloir régler le problème des finances publiques par les impôts. Essayons une idée neuve en France : la stabilité fiscale. Changer tout le temps l'impôt est en outre inefficace économiquement, car entreprises et particuliers ont l'impression d'être noyés dans la complexité.
Comment finance-t-on l'action climatique ?
L'Europe globalement a les moyens de financer la transition énergétique. Les différentes prévisions convergent pour estimer l'investissement nécessaire autour de 2 à 3 % du PIB par an. En face, l'excédent structurel d'épargne de l'Europe est aussi de 2 à 3 % du PIB. Mais il faut être suffisamment incitatifs pour mobiliser cette épargne privée : seul un prix du carbone rendra les projets suffisamment attractifs. Nous risquons de manquer non de finance verte, mais de projets verts rentables.
Est-il envisageable que la Banque centrale européenne (BCE) continue à relever ses taux au-delà de septembre ?
Avec 400 points de base (4 %) de hausse en onze mois, nous avons fait l'essentiel du chemin. Nos taux tendent désormais vers leur asymptote, et d'éventuelles hausses additionnelles limitées dépendront des données d'inflation observées.
Vous insistez sur le délai de transmission de la politique monétaire. Combien de temps les taux resteront-ils élevés ?
Le délai de transmission de notre politique monétaire implique une chose très simple : l'essentiel est la durée pendant laquelle nous resterons au « taux terminal », plus que son niveau. La longueur du parcours importe davantage que son point culminant. La vertu nécessaire, c'est la persévérance.
Notre stratégie monétaire fonctionne : avec un cycle de hausse des taux tendant vers sa fin cet été et un délai de transmission d'environ deux ans, l'inflation devrait être revenue vers 2 % en 2025, voire peut-être même dès la fin 2024. C'est notre prévision, mais c'est aussi notre engagement, sauf nouveau choc extérieur.
Il n'y a pas de mesures spécifiques d'accompagnement de la fin des opérations ciblées de refinancement de long terme (TLTRO). N'est-ce pas un risque pour la stabilité financière ?
Nous n'avons pas d'inquiétude sur la liquidité des banques européennes : elles se sont préparées à cette échéance et leur liquidité reste fortement excédentaire. Nous gardons par ailleurs parmi nos instruments une facilité de refinancement illimitée à taux fixe, disponible à tout moment pour toutes les banques européennes.
Dans ses projections, la BCE envisage de ramener l'inflation à sa cible sans impact sur la croissance. Ce serait du jamais vu. N'est-ce pas un peu optimiste ?
Je n'ai pas l'impression que notre dernière prévision ait été jugée trop optimiste sur l'inflation … Mais l'économie ne se limite pas à un arbitrage mécanique entre inflation trop haute et croissance trop basse. L'envolée des prix depuis fin 2021 a pesé sur les entreprises et l'activité. A l'inverse, la perspective d'une désinflation progressive est devenue crédible et va participer du retour de la confiance économique et donc de la croissance.
Les réinvestissements du portefeuille obligataire de la BCE destinés à verdir la politique monétaire vont s'arrêter. Comment poursuivre cette action ?
D'abord nous n'arrêtons les réinvestissements que sur notre premier programme d'achat d'actifs, pas sur notre programme urgence pandémie. Mais surtout nous avons d'autres actions importantes de verdissement : nous devons prendre en compte les aspects climatiques dans l'évaluation du collatéral [les titres de dette qui sont apportés par les banques quand elles viennent se financer à la BCE, NDLR]. Nous devons aussi nous demander comment bien intégrer le risque climatique dans nos modélisations, alors que le changement climatique affecte d'ores et déjà l'activité économique et les prix.
Quelles leçons tirez-vous de la tempête bancaire de fin mars ?
D'abord une leçon positive. L'Europe a été résiliente : le couple régulation - avec Bâle 3 - et supervision - avec le superviseur bancaire unique - fonctionne bien. Il faut néanmoins regarder quelques sujets comme le marché des dérivés de crédit dont le fonctionnement est peu liquide et trop opaque. Il y a aussi le défi de la volatilité accrue des dépôts avec des flux de liquidité devenus plus rapides du fait de la technologie.
Faut-il s'attendre à une application stricte de la formule pour le taux du Livret A qui sera annoncé en juillet ?
J'attendrai le 13 juillet et les chiffres définitifs de l'inflation de juin pour faire ma proposition au ministre. Il faudra trouver le bon équilibre entre l'intérêt des épargnants et l'intérêt des emprunteurs. Le taux du Livret A est l'un des éléments du coût du crédit immobilier, en particulier pour le logement social. Il y a par ailleurs une vraie satisfaction sur le développement du livret d'épargne populaire. En un an on est passé de 7,3 à 9,6 millions de LEP : les banques doivent poursuivre leurs efforts en ce sens.
Propos recueillis par Nathalie Silbert, Guillaume Benoit, Sophie Rolland et François Vidal
Mise à jour le 25 Juillet 2024