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Les Fintechs, aux avant-postes des « nouvelles frontières »
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 16 Octobre 2023
Forum Fintech ACPR-AMF – Paris, Discours de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France , président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir à la Banque de France pour cette quatrième édition du Forum Fintech, organisé conjointement par l’ACPR et l’AMF : je salue avec amitié Marie-Anne Barbat-Layani, Présidente de l’AMF.
Aujourd’hui, toutes les compagnies d’assurances et les banques travaillent en partenariat avec un ou plusieurs acteurs innovants, et fonctionnent donc en architecture plus ouverte. Une fois de plus, il faut s’en réjouir : si acteurs existants et Fintechs ne savaient pas innover, et innover ensemble, ce sont les Bigtechs qui au final « rafleraient la mise ». J’ai conscience que la French Fintech Week, dans laquelle s’inscrit notre Forum, a lieu cette année dans un contexte sans doute moins porteur que les années précédentes ; la Banque de France et l’ACPR en restent d’autant plus mobilisées aux côtés de l’écosystème financier innovant (I), notamment pour les aider à mieux maîtriser ces « nouvelles frontières » que constituent les crypto-actifs et le risque climatique (II).
I. La Banque de France et l’ACPR restent résolument aux côtés de l’écosystème innovant
1. Un contexte économique moins facile pour le financement et la création des Fintechs
Je le disais à l’instant, le contexte est moins facile cette année pour les Fintechs, avec ce chiffre éloquent : leurs levées de fonds ont diminué d’environ 60% au premier semestre 2023 par rapport au premier semestre 2022 i , qui constituait certes un record exceptionnel dans le contexte tout aussi exceptionnel des taux ultra bas. C’est une baisse un peu plus marquée encore que celle de l’ensemble du capital-risque en France, de l’ordre de 50% ii . Si les Fintechs ne sont plus aujourd’hui sur le podium des plus grosses levées de fonds, elles restent aussi nombreuses, voire plus nombreuses, à bénéficier d’investissements. Cette tendance, similaire à celle observée en Allemagne et au Royaume-Uni, est interprétée par les associations professionnelles comme un possible signe de maturité.
Le Pôle Fintech-Innovation, « guichet » de l’ACPR pour les porteurs de projets, a logiquement observé une diminution du nombre de sollicitations cette année (63 de janvier à août, contre une centaine sur la même période en 2022). Pour autant, l’ACPR reste pleinement mobilisée pour accompagner au mieux les projets innovants, et fluidifier encore leur parcours réglementaire.
Dans 96% des cas (contre 90% l’année dernière), une réponse a été apportée sous deux semaines au premier contact. Et une fois le parcours d’autorisation réellement engagé, notre respect des délais de la Charte Fintech s’est de nouveau amélioré, avec par exemple un délai moyen de réponse aux échanges de 10 jours (contre 12 jours l’année dernière… et contre 19 du côté des demandeurs).
Par ailleurs, nous avons entrepris d’améliorer le site « Parcours Fintech » pour rendre la réglementation toujours plus accessible et compréhensible. Cela aidera en particulier les porteurs de projet les plus « novices » à préparer leurs dossiers dans de bonnes conditions.
2. La conjoncture ne doit toutefois pas masquer les tendances de fond
Les éléments conjoncturels ne doivent pas masquer les tendances de fond, en particulier d’importants atouts structurels. Nos Fintechs continuent de se développer ; elles bénéficient en France à la fois d’un vivier de talents reconnus et d’une place financière attractive et dynamique. Les évolutions continues des nouvelles technologies, et en particulier les tendances actuelles en matière d’intelligence artificielle (IA), ouvrent quant à elle de nouvelles perspectives iii . En témoigne l’adoption exceptionnellement rapide des nouveaux outils d’IA générative, qui ont pour certains gagné 1 million d’utilisateurs en seulement 5 jours.
A la Banque de France, pour comprendre et tirer parti de cette nouvelle donne, nous avons adopté une démarche d’expérimentation, qui favorise un apprentissage rapide. Nous avons ainsi lancé en mai 2023, par l’intermédiaire du Lab, notre centre d’Open Innovation, un appel à contributions sur l’IA générative adressé à l’écosystème innovant, pour parfaire notre compréhension de cet outil et en accélérer l’utilisation potentielle à travers la proposition de cas d’usage concrets – voire de solutions opérationnelles. Clôturé le 21 septembre, il a conduit à la sélection de 3 entreprises françaises iv parmi les 25 candidatures de qualité que nous avions reçues. Plateforme d’IA générative, assistant conversationnel spécialisé, et outil permettant d’auditer les IA génératives vont nous permettre de développer des solutions adaptées à nos missions.
II. L’application à deux nouvelles frontières : la finance tokenisée, et le climat
Pour conquérir ces nouvelles frontières, il faut savoir jouer collectif. Dans ce contexte, l’ACPR, la Banque de France et l’AMF constituent des partenaires à part entière. Je voudrais l’illustrer dans deux domaines « aux frontières » : les crypto-actifs, et le risque climatique.
1. La finance tokenisée, les crypto-actifs, et l’écosystème DeFI
Première « frontière » donc, la plus évidente peut-être pour nos Fintechs : celle de la finance tokenisée. La technologie de la blockchain v , née dans l’écosystème des crypto-actifs, pourrait apporter d’indéniables bénéfices au fonctionnement des marchés financiers en matière de transparence ou d’instantanéité. Nous accompagnons donc les acteurs privés dans la mise en œuvre du Régime Pilote vi , non seulement en tant qu’autorités compétentes, mais aussi en menant à la Banque de France des travaux en vue d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) interbancaire vii.
Et nous nous mobilisons pour souhaiter et préparer un futur règlement « MiCA 2 », après l’adoption de MiCA, cette réglementation pionnière de l’Europe. Nous devons en effet traiter au moins deux sujets. D’une part, les « conglomérats crypto » – ces groupes aux multiples filiales, aux activités et aux implantations géographiques très diverses –, qui devraient se voir imposer des règles de transparence, notamment de présentation des comptes consolidés. Le partage d’information entre juridictions apparaît d’expérience comme un élément essentiel pour comprendre leur structure globale, les interdépendances entre entités et les risques associés.
D’autre part, la DeFI, ou « finance désintermédiée » qui semble un qualificatif beaucoup plus approprié que « finance décentralisée » (du fait de l’absence d’intermédiaires, et du haut niveau de centralisation observé en pratique). Le règlement MiCA prévoit un rapport d’ici fin 2024 sur ces nouveaux services qui comptent déjà 2 millions d’utilisateurs viii . On estime qu’en valeur, la DeFI représente moins de 5% du marché des cryptos ix : la valeur des actifs DeFi est passée d’environ 180 milliards de dollars fin 2021 aux alentours de 40 milliards de dollars aujourd’hui, dans la foulée de la faillite de plusieurs acteurs crypto. Sa taille est donc réduite. En outre, ses cas d’usage sont aujourd’hui limités. Pourquoi donc s’intéresser à cet objet ? Pour deux raisons au moins : la DeFi présente de nombreux risques, notamment pour les particuliers (elle concentre par exemple 80% des vols de crypto-actifs selon certaines estimations x ) ; surtout, elle pourrait préfigurer certaines des transformations à venir de la finance xi.
C’est dans cette optique que l’ACPR, au printemps dernier, a soumis à la consultation publique un document de réflexion esquissant de premières pistes réglementaires. Cette consultation a rencontré un large écho et permis de recueillir une quarantaine de réponses de grande qualité, qui ont souvent confirmé, parfois nuancé ou enrichi, les analyses de l’ACPR. Une synthèse de ces retours a été publiée le 12 octobre dernier xii. Nous en retirons une conviction, c’est qu’il est possible et souhaitable de construire un cadre réglementaire adapté à la DeFi, avec trois axes principaux :
(i) édicter des mesures relatives à la fiabilité des infrastructures blockchains sur lesquelles la DeFi – ou d’autres activités liées à la tokenisation de la finance – seraient amenées à se développer ;
(ii) élaborer des règles, par exemple de certification, adaptées à la nature et au fonctionnement des smart contracts xiii ;
(iii) définir des règles de gouvernance et de conduite des opérations permettant d’assurer une protection adéquate des utilisateurs face à ces crypto-actifs complexes et volatils.
Bien sûr, ces premières pistes devront faire l’objet de réflexions et de débats complémentaires dans un contexte européen ; certaines d’entre elles méritent aussi d’être approfondies au plan technique. C’est pourquoi, sous l’égide de ce Forum Fintech, l’ACPR et l’AMF ont décidé de lancer dans les semaines à venir un groupe de travail dédié à la certification des smart contracts, cette piste recueillant un intérêt fort de la part des répondants.
2. Le risque climatique
J’en viens à la deuxième « frontière » – qui est à vrai dire de loin la première en enjeux –, celle du risque climatique – je remercie Valérie Masson-Delmotte pour l’éclairage qu’elle apportera pendant notre matinée. L’importance de ce risque n’est plus à démontrer, avec des conséquences qui seront décisives pour le secteur financier et les banques centrales xiv.
Après avoir été pionnière en créant en 2017 le Réseau pour le verdissement du système financier xv (NGFS), la Banque de France – reconnue par les ONG comme la Banque centrale la plus verte du G20 – mène actuellement un projet de grande envergure : celui d’un indicateur climat qui complètera la cotation financière des entreprises françaises. Cet indicateur permettra de mesurer leur degré de préparation et de prise en compte des risques physiques comme de transition, avec une dimension quantitative mais aussi qualitative. Il est construit progressivement avec des tests de terrain, puis appliqué à des échantillons de taille croissante (550 entreprises cette année), et sera élargi à plus long terme en concertation avec les entreprises elles-mêmes et leurs représentants.
Son intérêt est double. Pour les entreprises, cette métrique unique, objectivée et fondée sur des méthodologies reconnues permettra d’éviter une multiplication de reportings, et de situer leur transition dans le temps et par rapport à la moyenne de leur secteur. Pour les banques, il constituera une source d’information additionnelle, fiable et indépendante.
Notre contribution à une finance plus verte en appelle d’autres, celles de tous les acteurs innovants de l’écosystème – Fintechs ou Greentechs - qui sauront mettre au point des outils facilitant l’information, la prise de décision et, au bout du compte, l’émergence d’une finance à la hauteur de nos enjeux environnementaux.
***
Je conclurai ce discours avec René Magritte, peintre belge qui n’était certes pas spécialiste de la finance : « Être surréaliste, c'est bannir de l'esprit le "déjà vu" et rechercher le pas encore vu ». Vous, les Fintechs, êtes pleinement ancrées dans le monde réel, mais définitivement vous participez à sa transformation, en dépassant les modèles établis. Nous, ACPR et AMF, sommes des réalistes mais aussi tournés vers le « pas encore vu ». À nous tous, collectivement, de tirer le meilleur parti des innovations technologiques. Je vous remercie de votre attention.
[i] France Fintech, Étude, 25 juillet 2023
[ii] Ernst & Young, Baromètre du capital-risque en France : 1er semestre 2023
[iii] Par exemple pour la synthèse, l’extraction et la classification d'informations, ou encore la génération de texte ou de code informatique
[iv] La Banque de France clôture son Appel à Contributions sur l’IA générative, communiqué de presse, 21 septembre 2023
[v] Ou technologie des registres distribués (DLT, distributed ledger technology)
[vi] Régime pilote pour les infrastructures de marché DLT | Banque de France (banque-france.fr)
[vii] Villeroy de Galhau, F., MNBC de gros : tout aussi décisive que la MNBC de détail, et activement expérimentée, discours, 3 octobre 2023
[viii] Estimation du nombre d’utilisateurs actifs dans le monde, sur base mensuelle.
[ix] TradingView, Marché des cryptos
[x] Chainanalysis, 2023 crypto crime report
[xi] C’est la raison pour laquelle la Banque de France a conduit, en partenariat avec la BRI (Banque des Règlements Internationaux), la Banque nationale suisse et la banque centrale de Singapour, le projet Mariana. Ce projet a permis d’expérimenter avec succès les technologies DeFI sur des teneurs de marché automatiques sur le marché des devises (automated market makers ou AMM). Voir La BRI et les banques centrales de France, de Singapour et de Suisse ont expérimenté avec succès les MNBC de gros, communiqué du 28 septembre 2023
[xii] DeFI : l’ACPR tire les enseignements de sa consultation publique et dessine des pistes concrètes d’encadrement, communiqué ACPR, 12 octobre 2023
[xiii] Protocoles informatiques qui exécutent des clauses préalablement définies, dont certaines peuvent être conditionnées par des évènements susceptibles de se produire
[xiv] Voir notamment Villeroy de Galhau, F., Le rôle des banques centrales dans le verdissement de l’économie, discours, 11 février 2021, ou encore Le rôle des banques centrales dans la « macroéconomie du climat », discours, 24 avril 2023
[xv] Également connu sous le nom de NGFS (Network for Greening the Financial System)
Mise à jour le 25 Juillet 2024