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Ouest-France : « La France vit au-dessus de ses moyens depuis trop longtemps »
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 25 Novembre 2024
Entretien du Gouverneur de la Banque de France au journal « Ouest-France » du dimanche 24/11/2024
Est-on face à un ralentissement de l’activité économique ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU : Selon notre récente enquête de terrain auprès de 8 500 entrepreneurs, le mot juste est « résilience ». Notre économie est actuellement dans une tendance de croissance ralentie autour de + 0,2 % par trimestre, soit autour d’1 % par an. Au troisième trimestre, il y a eu un effet positif des JO avec 0,4 % de croissance, et par contrecoup, au quatrième trimestre ce sera moins que d’habitude. L’économie tient mais cela ne veut pas dire que c’est suffisant. Ce n’est pas la récession, mais pas non plus encore la reprise espérée. La bonne nouvelle, c’est la baisse de l’inflation : elle était à plus de 7 % début 2023, elle est revenue nettement sous 2 %. Ceci veut dire que maintenant, les prix progressent moins vite que les salaires en moyenne ; ceci permet aussi de baisser les taux d’intérêt.
Et sur l’emploi ?
La France a fait de grands progrès depuis fin 2014 en créant plus de deux millions d’emplois. Le taux de chômage est passé de plus de 10 % à 7,4 % aujourd’hui. Le chômage devrait cependant remonter un peu, probablement entre 7,5 % et 8 % avant de redescendre vers 7 %. Lors du précédent ralentissement économique en 2012-2013, le taux de chômage avait dépassé les 11 %. Ce ne sera pas le cas en 2025.
Le plein-emploi est-il un objectif hors d’atteinte ?
Il faut garder le cap d’un taux de chômage à 5 %. C’est possible, plusieurs de nos voisins européens y sont. Compte tenu du ralentissement, ce ne sera pas pour 2027, mais c’est atteignable dans la décennie.
Dans le cadre du projet de loi de finances 2025, les collectivités voient leur budget fortement amputé. Les effets dans les territoires ne peuvent-ils pas être délétères pour l’économie ?
Notre pays vit au-dessus de ses moyens depuis trop longtemps. Nous avons aujourd’hui le déficit le plus élevé d’Europe, avec 6 % du PIB, encore plus que l’Italie. Contrairement à nos voisins européens, notre dette publique ne recule pas. C’est une situation anxiogène : 80 % des Français sont inquiets. Pour redresser la situation, il faut un effort juste et partagé par tous. Or chaque secteur tend à avoir des idées d’économies pour les autres, mais à les refuser pour lui-même.
À quelles dépenses pensez-vous ?
Notre modèle social européen est le bon, et j’y crois. Le problème, c’est qu’il nous coûte en France nettement plus cher qu’à nos voisins. Nous dépensons 9 % de PIB de plus qu’eux, soit 260 milliards d’euros par an. Cet écart d’efficacité porte sur l’État, mais aussi sur certaines dépenses sociales et locales.
Que risque la France si elle n’arrive pas à abaisser le déficit à 5 % ?
Ramener le déficit à 5 % l’an prochain, c’est le seuil de crédibilité pour la France. Notre écart de taux d’intérêt avec l’Allemagne (le « spread ») a beaucoup augmenté depuis juin, de moins de 0,5 % à près de 0,8. Les taux d’intérêt (pour des prêts longue durée) auxquels nous empruntons sont désormais plus proches de ceux de l’Italie. Ceci est une vraie alerte. Aujourd’hui, la France paie plus de 50 milliards d’euros d’intérêt par an, soit déjà plus que le budget de la Défense. Dès l’an prochain, nous allons payer plus pour la dette que pour le budget de l’Éducation.
Est-ce que la France a perdu en crédibilité à cause de sa dette ?
Notre pays risque de peser moins en Europe Car cela fait trop longtemps que nous ne respectons pas nos engagements. Nous sommes alors moins respectés nous- mêmes, et moins crédibles.
Les défaillances d’entreprises s’accélèrent-elles ?
Il faut prendre du recul. En 2020-2021, il y avait eu une grosse baisse des défaillances au moment du Covid puisqu’il y a eu un soutien public extrêmement fort. Depuis, on observe un rattrapage sensible, mais son rythme tend à ralentir. Même si les défaillances ne sont pas le seul indicateur économique pertinent, nous restons bien sûr vigilants sur les situations individuelles.
Comment se porte la trésorerie des entreprises ?
Les entrepreneurs du secteur de l’industrie et des services marchands font état d’un certain sentiment de dégradation de leur trésorerie. Mais quand vous regardez les chiffres objectifs, la trésorerie est plus élevée en moyenne qu’avant le Covid. Une des explications de ce paradoxe, c’est que les entreprises ont eu une trésorerie très abondante au moment du Covid, grâce aux prêts garantis par l’État (PGE). Au fur et à mesure que ces PGE sont remboursés, ce qui est normal, elles tendent à juger que leur trésorerie se dégrade.
Est-ce qu’on peut espérer que les taux immobiliers reviennent à des niveaux proches de 1 % ?
Objectivement, non : ces taux de 2020-2021 étaient absolument exceptionnels. Quand vous regardez la moyenne des taux immobiliers depuis vingt ans, elle est plutôt entre 3 et 4 %. On était monté un peu au-dessus de 4 % l’an dernier ; aujourd’hui, on est redescendu autour de 3,5 %. Pour ceux qui ont des projets immobiliers, c’est un bon moment pour aller tester leur banque et la mettre en concurrence avec d’autres, pour avoir les meilleurs taux.
Si la Banque centrale américaine, la Fed, cesse d’abaisser ses taux directeurs, faudrait-il s’attendre à un alignement de la BCE ?
Les décisions que nous prenons à la BCE avec Christine Lagarde sont indépendantes de celles de la Fed. La preuve, nous avions commencé à diminuer les taux d’intérêt début juin et la Fed ne les a baissés que trois mois plus tard. Avec la baisse de l’inflation, nous allons pouvoir continuer à baisser les taux.
Quels effets sur l’économie européenne peut avoir l’élection présidentielle américaine ?
Ce résultat accroît probablement les risques pour l’économie mondiale, et à coup sûr la nécessité d’un réveil européen. Dans le programme du président élu, il y a des éléments de protectionnisme importants. Cela devrait signifier plus d’inflation aux États-Unis et moins de croissance un peu partout. Le programme de déficit budgétaire accru risque en outre de faire monter les taux à long terme (ceux auxquels les États empruntent, NDLR). Ceci dit, notre destin économique européen ne dépend pas seulement de la politique américaine mais aussi de nos choix.
Selon vous, l’Europe doit reprendre son destin en main. Que voulez-vous dire ?
Cela fait trente ans que l’Europe a moins d’innovation, de productivité et de croissance que les États-Unis. Soit nous poursuivons ce long sommeil, qui risque d’être amplifié par l’évolution américaine. Soit nous nous réveillons, en croyant à nos atouts. Le premier, c’est notre marché unique européen qui pèse autant que le marché américain. Mais il est beaucoup moins attractif car il est divisé, fragmenté. Selon le FMI, si nous diminuons de 10 % les obstacles à l’intérieur du marché unique, nous pourrions gagner jusqu’à 7 points de croissance.
Comment financer les grandes transitions auxquelles l’Europe doit faire face ?
Grâce à l’épargne privée notamment, les Européens en ont beaucoup. Environ 32 000 milliards d’euros sont épargnés en Europe. Les deux tiers de ce montant sont placés sur des produits de taux comme les livrets d’épargne. Ils servent à financer les crédits et la dette. Un tiers seulement est investi en fonds propres (c’est-à-dire pour financer le capital d’une entreprise, NDLR).
Les investissements sont-ils suffisamment dirigés vers l’Europe ?
Chaque année, plus de 300 milliards d’euros d’épargne privée excédentaire sont investis en dehors de l’Europe. Ces sommes vont aux États-Unis ou dans les pays émergents et financent leurs besoins d’investissement. Dans son rapport publié en septembre sur la compétitivité européenne, l’ex-président de la BCE Mario Draghi préconise d’investir jusqu’à 800 milliards pour le climat et l’énergie, le numérique, et la défense. En mobilisant cette épargne privée, on pourra financer une bonne partie de ces investissements européens.
Comment réussir à mobiliser cette épargne ?
Les particuliers n’investiront pas directement. Cela se fera par le biais d’intermédiaires financiers, des fonds, qui mutualisent et amortissent les risques. C’est ce qu’il faut développer à travers l’Union des marchés de capitaux, qu’on appelle maintenant l’Union pour l’épargne et l’investissement.
La question des fonds propres des entreprises est essentielle. C’est ce qu’on appelle le capital-innovation ou capital-risque. Les entreprises européennes ne manquent pas globalement de crédits bancaires, elles manquent de fonds propres.
C’est-à-dire ?
Pour prendre les risques de l’innovation, il faut être financé avec des fonds propres, des actions. L’investisseur sait alors qu’il y a un risque mais aussi des perspectives de gains si l’innovation réussit. C’est le modèle américain.
Aujourd’hui, comme les fonds de capital-risque sont plus importants aux États-Unis, il arrive trop souvent que des entreprises européennes qui ont réussi soient rachetées par ces fonds américains, qui reprennent en quelque sorte nos startups avec notre argent.
Le taux du livret A est bloqué jusqu’au 1er février 2025. Des changements pourraient intervenir ?
Sur le Livret A, je ferai ma proposition au ministre des Finances mi-janvier. Je relève juste qu’à 3 % actuellement, l’épargne du Livret A est très bien protégée de l’inflation qui est autour de 1,5 %. Par ailleurs le Livret d’épargne populaire (LEP) destiné à nos concitoyens les plus modestes est encore mieux protégé, à 4 %. Depuis deux ans, nous l’avons beaucoup développé avec près de douze millions de livrets. Mais 19 à 20 millions de Français pourraient avoir un LEP.
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Mise à jour le 27 Novembre 2024