Interview

France 2 : « Nous avons gagné la bataille contre l’inflation »

Intervenant

François Villeroy de Galhau – Interventions

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Mise en ligne le 6 Juin 2025

François Villeroy de Galhau – Interventions

Interview de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, dans Télématin sur France 2 le vendredi 6 juin 2025.

"Nous avons gagné la bataille contre l'inflation" | Banque de France

"Nous avons gagné la bataille contre l'inflation" | Banque de France

Jeff Wittenberg

Bonjour Monsieur le Gouverneur.

François Villeroy de Galhau

Bonjour Jeff Wittenberg.

Jeff Wittenberg

Merci d'être avec nous ce matin. On va parler avec vous de la nouvelle baisse des taux décidée hier par la BCE, la Banque centrale européenne, de la baisse de l'inflation qui a des conséquences. Mais tout cela se fait, et c'est vous-même qui le dites à la BCE, dans un contexte d'incertitude. On a entendu encore cette nuit les passes d'armes, les injures au grand jour entre Donald Trump et son ancien allié Elon Musk, les changements de pieds permanents sur les droits de douane. J'imagine que cela contribue à ce climat d'incertitude, voire d'inquiétude, monsieur le gouverneur.

François Villeroy de Galhau

Je ne vais pas commenter les bagarres entre Donald Trump et Elon Musk. Entre nous, ce n'est pas très digne. Mais je crois qu'il y a quand même une leçon. C'est que Donald Trump divise beaucoup, divise le monde mais divise aussi les Américains. Et cela, ce n'est jamais bon pour résoudre les problèmes. Nous, nous devons au contraire nous unir, nous Français, nous Européens. Et c'est d'ailleurs ce que nous avons fait quand nous avons fait l'Euro et quand nous avons mené la bataille contre l'inflation. Nous sommes effectivement en train de la gagner.

Jeff Wittenberg

Mais monsieur Villeroy de Galhau, cette politique de Donald Trump fait du tort aux pays européens, ne serait-ce que pour leurs exportations. Et ça change tout le temps. Les Etats-Unis ont encore relevé à 50% les droits de douane sur l'acier et l'aluminium venus du Vieux Continent cette semaine.

François Villeroy de Galhau

Cette politique fait d'abord du tort aux Américains, c'est important de le dire. Dans toutes les prévisions, que ce soit celles des organismes américains ou des organisations internationales, les Etats-Unis perdent de la croissance et voient leur inflation monter. Quand on met ces droits de douane, cela veut dire que les consommateurs américains paient plus cher les produits importés qu'ils achètent. Alors si on traverse l'Atlantique et qu'on arrive chez nous, c'est vrai, il y a un effet négatif sur notre croissance, moins fort que le ralentissement américain. Par contre, c'est très important à dire, nous n'avons pas d'effet d'augmentation de l'inflation en Europe. Nous avons gagné la bataille contre l'inflation en Europe et nous l'avions déjà gagnée en France depuis un moment. L'inflation en France est inférieure à 1% aujourd'hui.

Jeff Wittenberg

1,9 au niveau européen.

François Villeroy de Galhau

Pour l’Europe, nous prévoyons 2% sur l'année. Il faut être précis sur ce dont on parle quand on parle de l'inflation, c'est l'augmentation des prix depuis un an. Si je regarde sur la France sur deux postes qui étaient très sensibles, il y a quelques années, c'était légitimement le premier problème des Français, on a un recul depuis un an des prix de l'énergie, l'essence, le fioul pour le chauffage, etc., un recul de près de 7%. Ou si on regarde l'alimentation, on a une petite hausse autour de 1,5%.

Jeff Wittenberg
Les gens qui nous écoutent ce matin, monsieur Villeroy de Galhau, ne le constatent pas toujours dans les rayons de leur supermarché. L'inflation baisse, mais pas forcément les prix dans les rayons. En tout cas, ça ne se voit pas au jour le jour.

François Villeroy de Galhau

Quand on parle de l'inflation qui est à 1% en France, autour de 1%, autour de 2% en zone euro, cela ne veut pas dire que les prix baissent. Cela veut dire qu’ils arrêtent d’augmenter trop. Or, souvenez-vous, il y a quelques années, on avait une augmentation forte des prix de l’alimentation par exemple dont vous parlez, heureusement, entre temps...

Jeff Wittenberg

Il n’y aura pas de correction. On ne reviendra pas en arrière.

François Villeroy de Galhau

On ne reviendra pas en arrière. D'ailleurs, heureusement, entre temps, les salaires et les retraites ont aussi monté. Ceux-là non plus ne reviendront pas en arrière. Mais la hausse est devenue contrôlée, maîtrisée. Cela a un certain nombre de conséquences positives. Cela veut dire que l'Euro, qui est notre monnaie commune, est une bonne monnaie. 83% des Européens, 79% des Français soutiennent aujourd’hui l'Euro. Ce niveau n'a jamais été aussi fort. L’euro est une espèce de pôle de stabilité dans ce monde très incertain. Et puis nous pouvons baisser les taux d’intérêt.

Jeff Wittenberg

L'inflation. On va parler dans un instant des taux d'intérêt. L'inflation qui baisse, est-ce que cela peut aller jusqu'à la déflation dans certains points que le risque, parce que la déflation, c'est donc des prix qui baissent et c'est très mauvais, notamment pour les marchés, pour les entreprises à terme.

François Villeroy de Galhau

Non, je ne crois pas à la maladie inverse que serait la déflation. Je le lis parfois, mais je crois que ce n'est pas une menace aujourd'hui. Si jamais il y avait un risque, nous aurions, nous, Banque de France, Banque centrale européenne, les moyens d'agir contre cette menace de déflation. Nous l'avons fait avec succès dans le passé. Il y a d'autres maladies économiques que nous devons soigner, on en parlera après.

Jeff Wittenberg

La BCE, la Banque centrale européenne, dont vous êtes l'un des piliers en tant que gouverneur de la Banque de France, a donc décidé hier la baisse, pour la huitième fois en un an, de son principal taux directeur à 2% désormais. Pour que nos téléspectateurs comprennent, qu'est-ce que cela a comme conséquences concrètes pour les Français, pour les ménages ?

François Villeroy de Galhau

Prenons la conséquence la plus concrète, c'est le crédit immobilier. Jeff Wittenberg, je suis venu ce matin avec les derniers chiffres que nous avons, c'est-à-dire les chiffres du mois d'avril. Nous voyons que les taux moyens du crédit immobilier ont encore baissé. On est en moyenne à un peu plus de 3,1% pour un crédit immobilier. C’est bien sûr une moyenne. Au début de l'année 2024, au plus haut, on était à 4,2%. Donc c'est une baisse très sensible. C'est le bon moment pour emprunter. D'ailleurs les Français le savent parce que l’autre chiffre que nous publions, c'est qu'il y a un volume encore en hausse d'emprunt immobilier à 12,6 milliards. Ce qui est intéressant, c'est de comparer avec ce qui se passe ailleurs, dans les pays qui n'ont pas l'Euro, les ménages paient plus cher leurs crédits immobiliers. Pour vous citer deux exemples très simples, le même ménage anglais aujourd'hui paierait plus de 4,5% de taux de crédits immobiliers, contre 3,1% en moyenne en France. Et si c'était un ménage américain, plus de 6% en moyenne. Donc vous voyez, l'Euro permet de se financer dans de meilleures conditions.

Jeff Wittenberg

Vous dites, monsieur Villeroy de Galhau, que c'est le moment d'emprunter. Est-ce que ce ne serait pas aussi le moment d'attendre puisque les taux ne cessent de baisser et à un moment où ça va s'arrêter ?

François Villeroy de Galhau

Il y a forcément un moment où la baisse s’arrêtera et l'on ne retrouvera pas les taux exceptionnellement bas autour de 1,5% qu'on avait il y a quatre ans. Si je regarde ce 3,1%, il est déjà inférieur à la moyenne historique qu'on a connue depuis l'année 2000, qui est plutôt autour de 3,5%.

Jeff Wittenberg

Monsieur le gouverneur de la Banque de France, comme d'autres pays européens, mais à un niveau plus élevé, la France est toujours marquée par le poids de sa dette, 113% du PIB, un déficit que le Gouvernement s'est promis de ramener sous la barre des 3% en 2029. Mais on en est quand même très loin. Est-ce qu'il n'y a pas un sujet franco-français sur la dette qui plombe ces bonnes nouvelles, entre guillemets, économiques que vous nous donnez ce matin, notamment sur les taux d'intérêt ?

François Villeroy de Galhau

Oui, il y a un sujet. Nous avons soigné ce qui était la maladie la plus sensible pour les Français qui était l'inflation. Mais il nous reste deux maux à guérir. Il y a un mal français, c'est la dette, vous venez d'en parler. Et puis il y a un mal européen qui concerne aussi la France, c’est la croissance qui est trop faible. Sur la dette, nous ne pouvons pas continuer comme cela parce que nous devons payer chaque année de plus en plus d'intérêts de la dette. C'est autant d'argent que nous ne pouvons pas consacrer à notre sécurité, au climat, à l'éducation, à nos autres priorités.

Jeff Wittenberg
Diagnostic. Mais le remède, monsieur le gouverneur ?

François Villeroy de Galhau

Quand on se compare aux autres pays européens, regardons toujours dans cet ensemble qu'est l'Europe, nous avons un bon modèle social, c'est le même que nos voisins, mais il nous coûte beaucoup plus cher que nos voisins, 9% de ce qu'on appelle le PIB, c'est-à-dire la taille de notre économie, cela fait plus de 250 millions d'euros d’écart...

Jeff Wittenberg

Donc il faut dépenser moins ou dépenser différemment ?

François Villeroy de Galhau

Je crois qu'il faut dépenser mieux, et il faut globalement stabiliser le total de nos dépenses publiques, ce qu'on appelle en volume, c'est-à-dire après prise en compte de l'inflation. Quand je dis le total de nos dépenses publiques, c'est qu’il y a l'Etat, le fameux budget dont on parle beaucoup avec le gouvernement mais il y a aussi les dépenses sociales et les dépenses locales. On ne le sait peut-être pas assez : nous avons les dépenses publiques les plus élevées pas seulement d'Europe, mais du monde. Donc maintenant, il est temps de les stabiliser en termes réels, c'est-à-dire après prise en compte de l'inflation. Cela suppose un effort partagé. On se met autour de la table et on se retrousse les manches... C'est l'inverse exact de la méthode Trump qui divise.

Jeff Wittenberg

Ne pas toucher aux impôts, c'est Éric Lombard, le ministre de l'Économie, qui le disait à votre place hier.

François Villeroy de Galhau

Il y a eu des mesures exceptionnelles sur les impôts l'an dernier parce qu'il le fallait. J'avais d'ailleurs eu l'occasion de le dire. Mais ce n'est pas pour des raisons politiques ou idéologiques que l'on parle d'abord de dépenses. C'est quand on compare la France à ses voisins européens, nous avons cet écart d'efficacité sur les dépenses. Il n'y a pas de raison que nous n'arrivions pas. Mais il faut un effort qui soit juste et partagé. Les Français y sont légitimement très sensibles. Tout le monde doit faire sa part de l’effort, à commencer par les plus favorisés.

Mise à jour le 6 Juin 2025