Discours

Un policy mix monétaire et budgétaire contre la maladie de l’inflation

Intervenant

François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

15 Septembre 2023
François Villeroy de Galhau intervention

Eurofi – Saint-Jacques-de-Compostelle, 15 septembre 2023

Discours de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France

Mesdames, Messieurs,

C’est un grand plaisir d’être ici pour cette dernière journée de la traditionnelle réunion Eurofi de septembre, et je tiens à remercier chaleureusement Didier Cahen et David Wright pour l’organisation de cet événement, qui a lieu cette fois dans la ville sainte de Saint-Jacques-de-Compostelle. Permettez-moi de commencer par une bonne nouvelle sur un sujet favori d’Eurofi : la réglementation bancaire et Bâle III. Je le dis en tant que président de la BRI et ancien président du GHoS : lundi, nous avons eu une réunion importante du GHoS à Bâle et nous avons unanimement salué les progrès décisifs accomplis cette année dans la mise en œuvre de Bâle III. D’ici 2025, toutes les juridictions – y compris l’Europe et – oui – les États-Unis – devraient l’avoir mis en œuvre en conformité globale avec les normes. Je sais pertinemment que chaque secteur bancaire, de part et d’autre de l’Atlantique, a tendance à considérer que l’autre bénéficie d’avantages indus. C’est tout simplement faux, et notre devise est à présent claire : tournons cette page et mettons en œuvre le compromis européen, pas moins et pas plus. Pas moins, comme certaines banques pourraient peut-être encore en rêver, et pas plus comme certains théoriciens de la réglementation l’imagineraient peut-être. Et nous devons à présent nous tourner vers la priorité que nous ont enseignée les perturbations bancaires : « renforcer l’efficacité de la surveillance prudentielle » i plutôt que d’axer nos efforts sur plus de réglementation. Permettez-moi maintenant d’en venir à mon thème d’aujourd’hui à savoir le policy mix pour combattre notre principale maladie économique : l’inflation.

Saint Jacques n’a pas encore produit de miracle concernant l’inflation, mais il y a toutefois des nouvelles encourageantes : après avoir passé le pic de l’inflation totale début 2023, il semble qu’il en soit de même pour l’inflation sous-jacente. En effet, cette dernière a commencé à baisser, pour s’établir à 5,3 % en août (après 5,5 % en juillet et 5,7% en mars) dans la zone euro. De toute évidence, ces taux d’inflation restent trop élevés : nous devons et nous allons ramener l’inflation vers notre cible de 2 % d’ici 2025. Je réitère ce matin cet engagement ferme, en cohérence avec les dernières prévisions de la BCE. La politique monétaire est la première ligne de défense et le principal remède à cette maladie. Je ne commenterai pas la réunion du Conseil des gouverneurs d’hier, ni la décision monétaire prise. Mais notre lutte collective contre l’inflation appelle une combinaison mieux calibrée des instruments de politique économique (policy mix) : la révision du cadre de gouvernance économique européen offre une fenêtre d’opportunité majeure pour réaligner les politiques budgétaire et monétaire.

Parallèlement à l’inflation élevée, les dettes publiques ont atteint des niveaux historiques, principalement en raison de vagues de chocs sans précédent, mais aussi, pour plusieurs pays, de dettes héritées de la période pré-Covid. Maintenant que les chocs se dissipent, les gouvernements doivent éviter une orientation budgétaire excessivement expansionniste qui alimenterait les tensions inflationnistes. Il nous faut par conséquent une meilleure coordination et un réalignement de nos orientations budgétaire et monétaire.

Un meilleur alignement des politiques budgétaire et monétaire améliorera l’efficience du dosage des politiques économiques : tout le monde s’accorde sur ce point. La question est de savoir comment garantir une meilleure coordination entre les autorités budgétaires – supervisées par la Commission dans le cadre du Semestre européen – et la BCE, qui sont toutes deux indépendantes et dotées de mandats spécifiques. Il est vrai que coordonner deux personnalités fortes et indépendantes est toujours difficile, et d’autant plus s’il s’agit de deux institutions indépendantes. À mon sens, elles peuvent être vues comme des voyageuses qui doivent entreprendre un itinéraire ensemble. Elles ne se sont pas nécessairement choisies, mais elles peuvent suivre des règles simples de cohabitation. (1) Se mettre d’accord sur la destination, c’est-à-dire sur les « ancrages » respectifs de la cible d’inflation de 2 % à moyen terme et sur la trajectoire de réduction de la dette à moyen terme, (2) maintenir un dialogue constant afin de nourrir la confiance mutuelle et de remédier aux divergences.

En outre, plus l’inflation et les taux d’intérêt sont élevés, plus il devient difficile de gérer la dette publique. Une attention croissante est portée à la soutenabilité des finances publiques, à juste titre. Dans ce contexte, la déclaration de l’Eurogroupe en juillet sur l’orientation budgétaire de la zone euro ii, qui souligne la nécessité d’un assainissement budgétaire, est particulièrement bienvenue. C’est également vrai pour la France, qui doit éviter de s’enfoncer dans une résignation morose face à la hausse constante des dépenses publiques (58 % du PIB, contre 51 % en moyenne dans la zone euro en 2022) et de la dette publique (112 % contre 94 %). De plus, mon pays a échoué par le passé à respecter ses engagements en matière d’objectifs budgétaires. J’espère que la prochaine loi de programmation des finances publiques et le budget 2024 démontreront un engagement et une crédibilité renforcés.

La réforme en cours de la gouvernance budgétaire de l’UE est une opportunité majeure de rétablir un cadre sain pour la gestion de la dette publique. En avril 2023, la Commission a publié ses propositions législatives iii. Plus tôt nous atteindrons un accord – d’ici fin 2023, espérons-le –, plus vite nous pourrons nous appuyer sur ces outils afin de reprendre le contrôle de la dynamique de la dette. Je le dis d’entrée: la proposition de la Commission va dans la bonne direction.

Cela étant, le « triangle d’incompatibilité des règles budgétaires » iv fournit une matrice utile pour analyser ses mérites par rapport aux règles actuelles. Il démontre qu’il est impossible de remplir simultanément les trois objectifs suivants : (1) la simplicité, qui peut également être comprise comme l’intelligibilité et l’appropriation politiques, (2) la flexibilité, c’est-à-dire la capacité à s’adapter à des situations économiques spécifiques ou à des évolutions imprévues et (3) l’application de la règle, c’est-à-dire la mesure dans laquelle la règle est contraignante. En pratique, le Pacte de stabilité et de croissance actuel inclut des dispositions de flexibilité et des clauses dérogatoires trop nombreuses – et trop complexes – qui visent à compenser le « principe de mesures uniques applicables à tous » (one size fits all), tandis que les efforts pour améliorer son applicabilité se sont révélés inefficaces. La réforme doit permettre de trouver un meilleur équilibre entre ces trois caractéristiques – simplicité, flexibilité et application – afin de rendre le cadre budgétaire plus efficace et opérationnel.

S’agissant de la simplicité, le fait que le nouveau cadre repose sur un indicateur opérationnel unique, à savoir un agrégat des dépenses publiques primaires nettes, constitue une amélioration majeure par rapport aux déficits structurels. En principe, ce nouvel indicateur devrait être plus facile à mesurer et à surveiller pour les gouvernements, qui auraient un plein contrôle sur son évolution. Il constitue également un outil de communication plus simple dans le débat public, ce qui contribuerait à rendre les nouvelles règles intelligibles et acceptables au plan politique.

Sur la flexibilité, la proposition permet une meilleure adaptation des efforts budgétaires requis aux circonstances spécifiques à chaque pays. La trajectoire de dépenses serait définie de manière pragmatique, sur la base d’une analyse de la soutenabilité de la dette et après discussion approfondie entre la Commission et les États membres. Chaque pays s’engagerait à suivre un plan national à moyen terme incluant des programmes de réformes structurelles et d’investissement public. Ce processus reconnaît que l’hétérogénéité de la dette entre les États membres est trop élevée pour que l’on puisse dicter une règle unique de réduction de la dette – 66 % du PIB en Allemagne contre 144 % en Italie en 2022 –, tandis qu’un dialogue renforcé avec les autorités nationales devrait améliorer l’appropriation politique et, espérons-le, le respect du cadre budgétaire.

Ce qui m’amène à la question de l’application. Nous devons néanmoins chercher à nous assurer que les plans nationaux ne se transforment pas en négociations politiques et qu’ils ne se traduisent pas par des ajustements budgétaires insuffisamment ambitieux. Je dois admettre ne pas être convaincu à 100% que la sagesse des processus institutionnels ou des débats économiques éclairés suffiront à guider les cycles nationaux. Ils doivent être complétés par des règles et des ancrages communs afin de garantir la discipline budgétaire. En d’autres termes, dans le célèbre débat règles/pouvoir discrétionnaire, il faut effectivement accorder plus de place à la discrétion... mais pas trop ; et nous avons besoin de règles moins mécaniques ou obscures, mais nous avons tout de même besoin de règles. Le dispositif devra de fait garantir des seuils contraignants pour l’ajustement annuel minimal des finances publiques. Permettez-moi d’ajouter que plus nous progresserons efficacement sur le chemin de la discipline budgétaire nationale, plus il nous sera facile d’envisager une capacité budgétaire commune – dont nous avons cruellement besoin. Mario Draghi l’a réaffirmé de façon éloquente récemment v, et j’espère que cela fera partie de sa nouvelle mission sur la compétitivité en Europe.

Pour conclure, permettez-moi d’emprunter un des principes fondamentaux de physique, énoncé par Isaac Newton : « quand deux forces s’unissent, leur efficacité double. ». Il est temps de conjuguer les deux forces que sont notre politique monétaire et nos politiques budgétaires, en vue de renforcer l’efficacité de notre économie de la zone euro et pour le bénéfice de nos citoyens. Je vous remercie de votre attention.

 

i Communiqué de presse : Governors and Heads of Supervision endorse initiatives in response to the banking turmoil and reaffirm priority to implement Basel III. 
ii Déclaration de l’Eurogroupe sur l’orientation budgétaire de la zone euro pour 2024, 13 juillet 2023.
iii Bouthevillain (C.), Debu (S.), Vers un nécessaire renouveau des règles budgétaires en Europe : la proposition de la Commission européenne, Le Bulletin de la Banque de France n°246 : Article 2, 21 juin 2023.
iv Debrun (X.), Jonung (L.), Under threat: Rules-based fiscal policy and how to preserve it, European Journal of Political Economy.
v The Economist, Mario Draghi on the path to fiscal union in the euro zone, 6 septembre 2023