Document de travail

Contraintes jointes de Bâle 3 : interactions et implications pour le financement de l’économie

Mise en ligne le 26 Mars 2025
Auteurs : Laurent Clerc, Sandrine Lecarpentier, Cyril Pouvelle

Document de travail n°988. Cet article examine l’impact de multiples contraintes réglementaires sur le financement de l’économie dans le contexte de la mise en œuvre du règlement Bâle 3 sur les capitaux et la liquidité. Nous proposons un modèle théorique simple de décision bancaire pour analyser les interactions entre ces différentes exigences réglementaires et les conditions dans lesquelles certaines contraintes peuvent être contraignantes alors que d’autres ne le sont pas. Sur la base des prédictions de ce modèle théorique, nous évaluons l’impact de ces différentes exigences réglementaires sur la croissance du crédit, sur un panel de 54 banques françaises depuis 2014. Nos résultats indiquent que quatre interactions bilatérales (coussin Tier 1/LCR, levier/LCR, levier/NSFR et LCR/NSFR) ont un effet significatif sur la croissance du crédit. Nous soulignons également que les ratios réglementaires interagissent davantage pour les banques ayant des ratios réglementaires plus faibles et en période de stress financier. Plus précisément, nos résultats mettent en évidence une relation de substituabilité partielle entre le ratio de levier, le ratio de liquidité à court terme (LCR) et le ratio structurel à long terme (NSFR) pour ces banques durant ces périodes, résultant de l’effet positif des fonds propres bancaires sur la liquidité.

Aggregate lending growth on a quarterly basis 2015-2023 (in percent)

Image Aggregate lending growth on a quarterly basis 2015-2023 (in percent) Thématique Réglementation Catégorie Working paper
Source: ACPR; authors’ calculations
Note: Loans to households and non-financial corporations. The decline in the growth rate at the beginning of the period is due to a reporting breach.

L'accord de Bâle III a conduit à un renforcement significatif de la réglementation bancaire à la suite de la grande crise financière de 2008, notamment en introduisant de nouvelles exigences de solvabilité et de liquidité. Une estimation fondée sur des données françaises montre que ces exigences n'ont pas limité l'offre de crédit, mais qu'il existe une relation de substituabilité partielle en période de stress financier pour les banques les moins bien capitalisées.
 
L'accord de Bâle III, conclu en 2010 à la suite de la crise financière de 2008 et mis en œuvre à partir de 2012, introduit pour la première fois au niveau international une combinaison de normes de solvabilité et de liquidité. Au ratio de solvabilité pondéré existant, dont les exigences ont été renforcées, il ajoute un ratio de levier visant à limiter l'endettement des banques, un ratio de liquidité à court terme visant à garantir que les banques disposent de suffisamment d'actifs liquides à 30 jours dans une situation de stress du marché (le « Liquidity Coverage Ratio », LCR) et un ratio de liquidité à un an (le « Net Stable Funding Ratio », NSFR), visant à contenir le risque de transformation.

Le secteur bancaire a exprimé quelques inquiétudes à propos de la nature potentiellement trop restrictive de cet ensemble de normes sur l'offre de crédit des banques et des risques de fuite de l'activité vers des secteurs moins réglementés. L'impact individuel des différents ratios a été étudié et, dans l'ensemble, il a été conclu que le calibrage actuel des ratios ne semble pas excessif. En revanche, la littérature économique a accordé peu d'attention aux effets combinés des normes de solvabilité et de liquidité, en raison de la faible profondeur historique des données, des effets de calendrier et d'anticipation liés à la mise en œuvre progressive et de la difficulté conceptuelle à comprendre les interactions qui s'ajoutent aux effets individuels de chaque ratio.

Dans ce document de travail, nous proposons une modélisation conjointe des contraintes réglementaires introduites par Bâle III et une estimation de l'effet des interactions de ces normes sur l'offre de crédit des banques. Nous estimons un modèle empirique à effets fixes pour analyser l'effet combiné des ratios bilatéraux sur l'offre de crédit des banques. Nos données couvrent un panel de 54 banques françaises sur base consolidée pour la période 2014-2023 à une fréquence trimestrielle, soit 570 observations. Nous cherchons à expliquer l'impact sur la croissance du crédit dans le secteur privé non financier (ménages + entreprises non financières) des ratios de Bâle 3 pris deux à deux et de leurs interactions en contrôlant un certain nombre de variables économiques et financières (notamment des variables spécifiques aux banques -autres ratios réglementaires, taille de la banque, part des prêts dans le bilan, ratio des prêts non performants, rentabilité-, des variables macroéconomiques, ainsi que des effets fixes individuels et temporels). Nous considérons que deux ratios sont complémentaires lorsque le coefficient du terme d'interaction est du même signe que les coefficients de ces mêmes ratios pris individuellement, car dans ce cas l'effet combiné des deux ratios, qui tient compte de leur interaction, est supérieur à la somme des effets individuels. Ces ratios sont considérés comme (partiellement) substituables si les signes sont différents.
 
Nos résultats indiquent que quatre interactions bilatérales (coussin de gestion Tier1/LCR, ratio de levier/LCR, ratio de levier/NSFR et LCR/NSFR) ont un effet significatif sur la croissance des prêts. Nous soulignons également que les ratios réglementaires interagissent davantage pour les banques dont les ratios réglementaires sont plus faibles et en période de stress financier. Plus précisément, nos résultats mettent en évidence une relation significative de substituabilité partielle entre le ratio de levier, le LCR et le NSFR pour ces banques dans de telles périodes, résultant de l'effet positif des fonds propres des banques sur la liquidité.

Mots-clés : réglementation de la solvabilité bancaire, réglementation de la liquidité bancaire, Bâle 3, stress tests
Codes JEL : G28, G21
 

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Mise à jour le 26 Mars 2025