Interview

Journal du Dimanche : « Nous sommes en train de gagner la bataille contre l'inflation »

Les intervenants

François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

15 Avril 2024
François Villeroy de Galhau intervention

Interview de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France

La Banque de France a annoncé en fin de semaine une prévision de croissance à 0,2% pour le premier trimestre 2024, assurant que ça n’était pas incompatible avec 1% de croissance annuelle, qui est l’objectif du gouvernement. Pourtant, il y a un mois, vous disiez attendre plutôt 0,8% de croissance en 2024. Qu’est-ce qui a changé ?
Notre projection annuelle, faite en toute indépendance, reste à 0,8 %. La différence avec le 1% révisé du gouvernement est dans la marge d’incertitude à ce stade de l’année. Notre prévision de 0,2% de croissance pour le premier trimestre est issue d’une enquête de terrain que la Banque de France réalise tous les mois auprès de 8500 entrepreneurs. C’est un des meilleurs thermomètres de l’économie française. Et ce que confirme notre enquête publiée jeudi, c’est que l’activité est certes ralentie, mais qu’elle résiste, en particulier dans les services. La France, comme l'Europe d'ailleurs, va échapper à la récession.
 
Par quoi passera la croissance ? Nécessairement par une reprise de la consommation ?
Nous espérons une reprise à 1,5% de croissance l’an prochain, qui passera prioritairement par la baisse de l’inflation. Ces deux dernières années, celle-ci a été le souci numéro un de nos concitoyens et des entrepreneurs. La bonne nouvelle, c'est que nous sommes en train de gagner la bataille contre l'inflation. Début 2023, au plus haut, elle était à 7% en France. Aujourd'hui, elle est redescendue à 2,4% . Notre objectif est de la ramener à 2% et nous le ferons au plus tard d’ici l’an prochain. Concrètement, cela veut dire que désormais, les prix augmentent moins vite que les salaires. Selon nos prévisions, les rémunérations devraient augmenter en moyenne de plus de 3% cette année et à nouveau en 2025, soit plus que l’inflation. Cela fait du pouvoir d’achat en plus, et donc de la consommation, qui est le premier moteur de la croissance Française. En outre, la baisse des taux d'intérêt devrait, elle,  plutôt soutenir l'investissement.
 
Sauf que, jeudi, la Banque Centrale Européenne a annoncé qu’elle laissait ses taux inchangés…
Oui, mais sauf surprise, nous devrions décider une première baisse lors de notre prochaine réunion du 6 juin. Nous avons en effet une confiance de plus en plus grande dans la trajectoire de désinflation. L’instrument des taux d’intérêt a été une arme efficace contre l’inflation: nous avons dû monter ces taux à 4%, mais c’est moins qu’aux Etats-Unis, qui sont à 5,5%. Notre baisse début juin devra être suivie d’autres baisses d’ici la fin de l’année: je plaide pour un gradualisme pragmatique - selon les données économiques- et suffisamment agile. Ceci dit, nous ne reviendrons pas aux taux ultra-bas, voire négatifs: ceux que nous avons connus sur la période 2015-2022 étaient l’exception.

Pour relancer la consommation, il faut aussi que les Français épargnent moins…
L’épargne avait beaucoup augmenté au moment du Covid : les revenus étaient maintenus tandis que la consommation était freinée par les confinements. Nous avons donc connu un pic d’épargne qui représentait plus de 20% des revenus disponibles, contre 15% en moyenne avant le Covid. Depuis, l’épargne a commencé à reculer, mais sans retrouver son niveau d’avant-crise. Nous prévoyons que ce recul progressif va continuer : les Français qui ont de l’épargne ont très normalement envie de réaliser leurs projets. 
 
Dans les projets les plus importants il y a évidemment les projets immobiliers. Or tout le secteur semble très ralenti…
La production de crédit immobilier est effectivement à un point bas, mais l’environnement s’améliore. Les banques sont à nouveau disposées à prêter, et les taux du crédit se stabilisent voire baissent. . Je sais qu’un certain nombre de nos concitoyens craignent encore des refus, mais ils ne doivent pas hésiter à aller tester leur banque: le moment redevient favorable pour réaliser ses projets immobiliers.
 
Certains, notamment des députés, voudraient que le Haut Conseil de stabilité financière, le HCSF, assouplisse les règles d’octroi de crédits, qui interdisent d’aller au-delà de 35% de taux d’endettement et de prêter sur plus de 20 ans… Que leur répondez-vous ?
Ces critères sont des normes de bon sens pour éviter le surendettement des Français. Et ils ne limitent en rien la capacité à prêter des banques : elles peuvent déroger à ces critères pour 20% de la production de crédit, or cette flexibilité n’est aujourd’hui utilisée qu’à hauteur de 15%. Cela serait une illusion que de vouloir renforcer le crédit immobilier en affaiblissant le HCSF. Ce Haut Conseil a été créé à la suite de la grande crise bancaire de 2009-2011, issue de l’immobilier, à l’époque des subprimes pour éviter la formation de bulles : n’oublions surtout pas aujourd’hui combien ces crises financières coûtent horriblement cher aux finances publiques et à l'économie.

Dans les prochaines semaines, les agences de notation vont rendre leurs notes sur la France. Faut-il avoir peur d’une éventuelle dégradation ?
Le sujet, c’est la détérioration régulière de nos finances publiques. Il est plus que temps de nous en occuper sérieusement, et il ne faut pas le faire seulement pour les agences de notation: c'est notre capacité à agir dans la durée qui est en cause. Nous ne pouvons pas laisser la dette publique continuer à dériver : elle a presque doublé en une génération, de 60 % du PIB en 2000 à 112% aujourd’hui. Nous transférons donc à nos enfants ou petits-enfants des charges de plus en plus lourdes. Et même dès aujourd’hui, quand on regarde le poids des intérêts de la dette que nous devons payer chaque année, il va augmenter de près de 50 milliards entre 2020 et 2027. Cet argent  absorbé par nos déficits passés, c'est autant que nous ne pouvons pas consacrer à nos dépenses d’avenir, comme le climat ou l’éducation.
 
Comment ?

C’est au débat démocratique, et non à la Banque de France, de faire les choix précis. Mais sur l’orientation , je dirais deux choses : la première, c'est vraiment qu'il faut faire preuve de crédibilité. La France présente depuis 15 ans des plans pluriannuels, que nous ne respectons jamais: ce n’est plus possible. La seconde, c’est que nous devons maîtriser nettement mieux nos dépenses. Notre modèle social est globalement le même que chez nos voisins, mais il nous coûte beaucoup plus cher : 57 % du PIB, toutes dépenses confondues, soit 9 à 10 points de plus qu’ailleurs dans la zone euro. Si nous réduisions cet écart de quelques points en reprenant les solutions les plus efficaces ailleurs , alors nous résoudrions notre problème. Il ne s’agit pas de prôner l’austérité  et une baisse générale des dépenses, mais il faut enfin les stabiliser en volume, déduction faite de l’ inflation Ceci suppose un effort réellement partagé par tous: services de l’Etat, mais aussi prestations sociales et collectivités locales. 
 
Que répondez-vous à ceux qui, découvrant le chiffre du déficit, disent que la France est en faillite ?
La France n'est clairement pas en faillite, et les investisseurs continuent de lui prêter. Mais nous devons sortir de nos contradictions : nous aimons les dépenses publiques, et nous n’aimons pas les impôts qui les financent . Et ce ne serait jamais le moment de réduire les déficits qui en résultent, par crainte - injustifiée - de trop affecter la croissance. Résultat : la France a depuis 25 ans à la fois plus de dettes et moins de croissance que la moyenne européenne. 
 
Quel regard portez-vous sur l'évolution spectaculaire des cours de l'or et des crypto-actifs ? N’est-ce pas le signe d'une inquiétude par rapport à la stabilité du système ?

Je ne pense pas. Les crypto-actifs sont hautement spéculatifs, avec des cours très volatils. Quant à l’or, c’est traditionnellement une valeur refuge quand il y a des incertitudes géopolitiques fortes. Incontestablement, nous les vivons actuellement, avec l’invasion russe en Ukraine, le conflit au Proche-Orient ou la prochaine élection américaine. L’économie est évidemment exposée à ces inquiétudes. D'où l'importance de ce que nous faisons ensemble en Europe. L'euro est une vraie protection des Français et de l'économie française. Nous pourrions mieux jouer deux autres atouts communs de l’Europe : notre taille, avec le marché unique ; et notre forte épargne, avec une Union de financement.