Tribune

Supervision européenne : commençons par les cryptos !

Mise en ligne le 14 Novembre 2024

François Villeroy de Galhau – Interventions

Tribune de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France et Président de l'ACPR, et de Marie-Anne Barbat-Layani, Présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF)

A l'heure où la relance d’une Union de l’épargne et des investissements redevient un objectif majeur pour l’Europe, beaucoup, et nous en faisons partie, plaident pour une supervision européenne directe des grands acteurs de marché. Nous proposons que ce soit aussi le cas pour les plateformes européennes de crypto-actifs.

Dans ce domaine relativement nouveau de supervision, le risque que cette proposition se heurte à l'attachement des autorités nationales à leurs prérogatives est limité. C'est donc une victoire rapide possible pour l'Union des marchés de capitaux. Cette supervision directe européenne est aussi une nécessité en matière de protection des épargnants et de sécurité financière.

Le développement rapide de l'investissement en crypto-actifs, en dépit du caractère peu régulé des acteurs de cette industrie naissante, a conduit les autorités françaises à introduire dès 2019 une règlementation nationale dédiée. L'expertise développée par les autorités financières françaises dans ce domaine est donc solide.

L'entrée en application prochaine d’un cadre réglementaire européen sur les marchés de crypto-actifs (Markets in Crypto-Assets - MICA) est par ailleurs éminemment bienvenue, tant il est difficile de réguler efficacement cette industrie au niveau national. Les marchés de crypto-actifs sont par nature transfrontières et aujourd'hui dominés par quelques acteurs globaux : 90% des échanges dans le monde sont ainsi concentrés sur les 10 plateformes les plus importantes, et la commercialisation se fait directement par internet, pour l’instant sans protection des investisseurs.

L'expérience acquise par nos autorités montre toutefois que l’entrée en vigueur d’un texte européen ne peut seule garantir son application stricte et homogène. Même pour les services financiers régulés depuis longtemps, le développement des activités transfrontières en Europe comporte encore des dysfonctionnements, par exemple dans des cas où le siège d’un acteur est situé dans un Etat membre mais l’essentiel de son activité est opéré ailleurs. Il est donc urgent, au moment où l'entrée en application de MICA va créer un passeport européen, de confier la supervision des acteurs paneuropéens à l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA). À défaut, la supervision par des autorités nationales sera moins efficace. Or les risques associés aux crypto-actifs peuvent être majeurs, comme celui de favoriser le blanchiment des capitaux et les transactions occultes ; les investisseurs risquent d’être mal protégés, voire lésés. 

Ce n'est donc pas un hasard si I’ESMA, dans son récent rapport sur l'Union des marchés de capitaux, propose que la Commission européenne et les co-législateurs évaluent l'opportunité d'une supervision européenne des prestataires fournissant des services sur crypto-actifs. De même, la future autorité européenne de lutte anti-blanchiment (AMLA) pourrait se voir confier la supervision LCB-FT de ces acteurs.

L'Autorité des marchés financiers, la Banque de France et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution soutiennent cette initiative. Une supervision directe de l'ESMA sur les prestataires de services sur crypto-actifs paneuropéens permettrait une surveillance plus efficace des marchés de crypto-actifs et une meilleure protection des investisseurs européens. Nous appelons donc les co-législateurs européens à se saisir rapidement de ce sujet et à confier à l'ESMA cette compétence de supervision.

Nous les appelons également à se saisir rapidement du sujet de la conformité de ces acteurs aux règles en matière de cybersécurité. Alors que les exercices de cartographie des risques témoignent d’un risque particulièrement élevé en la matière, il parait indispensable de prévoir des audits externes des systèmes d’information des acteurs par des prestataires certifiés. Nous en avons fait la norme au niveau national. Une remise en cause de cette exigence au niveau européen constituerait un affaiblissement du niveau de protection des investisseurs. 
 

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Mise à jour le 14 Novembre 2024