Audition

Audition de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, devant la commission des Finances du Sénat

Les intervenants

François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

17 Janvier 2024
François Villeroy de Galhau intervention

Audition de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, devant la commission des Finances du Sénat

Paris, 17 janvier 2024

Monsieur le président, merci de votre accueil et de vos propos,

Monsieur le rapporteur général, 

Mesdames et messieurs les sénateurs,
 
Vous l’avez dit, cette audition annuelle du mois de janvier est devenue une tradition, presque un rite républicain. Il est en tout cas essentiel pour moi. Je formule bien sûr tous mes vœux, d’abord personnels pour chacun de vous, et collectifs, pour notre cher pays. Dans l’environnement qui va rester turbulent en 2024, nous aurons plus que jamais besoin d’ajouter au pessimisme de l’intelligence l’optimisme de la volonté. Dans mon propos introductif, je souhaite d’abord parler du paysage conjoncturel, qui tend plutôt à se stabiliser (I). Cette relative stabilisation permet et requiert, je crois, de traiter nos défis économiques de moyen et long terme (II).

I-    Une conjoncture moins inflationniste et relativement stabilisée 

Il y a un an, beaucoup redoutaient, pour la France et l’Europe, un scénario noir qui ajouterait la récession et une inflation durable, environné en outre de beaucoup d’incertitudes. Aujourd’hui, les incertitudes sur la conjoncture n‘ont pas disparu, mais elles tendent un peu à se dissiper : l’une des preuves en est que nous avons très peu révisé nos prévisions entre septembre et décembre. Je veux dire ce matin que nous ne devrions avoir ni récession,  même s’il y a un ralentissement incontestable-, -ni installation durable de l’inflation, -même si le travail de la politique monétaire n’est pas terminé.

Sur l’activité, nous menons, chaque mois, une enquête de conjoncture, de terrain, auprès de 8 500 entrepreneurs. La dernière, publiée début janvier, nous a conduit à remonter un peu notre prévision de croissance sur le dernier trimestre 2023 à + 0,2 % et à conforter notre prévision pour 2024 à + 0,9 %, avant une reprise progressive en 2025 et plus encore en 2026. C’est une croissance incontestablement ralentie, mais ce n’est pas un retournement de la conjoncture. Le moteur de cette croissance lui-même change : il devient principalement la consommation, soutenue par la désinflation qui entraîne une augmentation des salaires réels et du pouvoir d’achat.
 
J’en viens justement à l’inflation, qui a été et reste la première préoccupation des Français : nous avons observé une baisse sensible, tout au long de 2023. En IPCH, le pic a été a 7,3 % en février dernier et l’inflation est redescendue jusqu’à 4,1 % en décembre. C’est encore trop, bien sûr. Notre prévision est à 2,5 % en moyenne en 2024 et 1,8 % en moyenne en 2025. Je vais surtout redire devant vous ce matin un engagement : nous allons ramener l’inflation à 2 % d’ici au plus tard 2025. La Banque de France a été la première, il y a un an, à prendre cet engagement publiquement. Il suscitait un certain scepticisme à l’époque. Il est aujourd’hui considéré comme de plus en plus crédible, ce qui est une bonne nouvelle.
 
Cette confiance tient notamment au fait que la politique monétaire est efficace ; je suis conscient que le remède n’est pas agréable, mais il fonctionne. Il y a quelquefois des doutes sur le rôle de la politique monétaire dans cette désinflation : la décélération des prix de l’énergie a certes aidé, mais la meilleure réponse à ces doutes est de regarder l’inflation sous-jacente hors énergie et alimentation ; elle aussi a diminué, de 4,7 % à son pic en printemps dernier à 2,9 % aujourd’hui.  Mais cette confiance n’exclut pas la vigilance, notamment sur les conséquences du conflit au Proche-Orient. Et cette confiance s’accompagne de patience sur la politique monétaire.
 
Sauf surprise, cette année sera l’année de la baisse de nos taux directeurs. Sur la question de savoir quand exactement aura lieu cette baisse, nous ne sommes pas guidés par un calendrier mais par des données. Si vous me permettez une image, c’est la différence entre le football et le tennis : le football est guidé par un temps et un calendrier fixes – une partie de 90 minutes ; le tennis est guidé par des sets à gagner et des étapes à passer. Les décisions de politiques monétaires ressemblent plus à un match de tennis ; nous sommes guidés par les données. Il faut, pour entamer la baisse des taux, des perspectives d’inflation ancrées autour de 2 %, solidement et durablement. Solidement, cela renvoie aux données effectives, observées ; et durablement renvoie aux prévisions et aux données prospectives.

II-    Les trois défis économiques de moyen terme à traiter

Dans cet environnement conjoncturel qui n’est pas facile, mais qui est moins incertain et surtout moins inflationniste, nous devons sortir de la dictature de l’urgence économique et allonger l’horizon de notre politique et de notre débat économiques. Ceci m’amène à évoquer trois défis structurels : le désendettement public, le cap du plein emploi, et le bon financement de l’économie française et européenne.

1.    Le désendettement public

Ce défi est, hélas, connu. Notre déficit public reste supérieur à ce qu’il était pré-Covid, et notre dette publique à 110 % du PIB reste et restera très supérieure au pré-Covid (de plus de 10 points de PIB) et très supérieure à la moyenne de la Zone Euro (de plus de 20 points de PIB).
 
Il y a face à ce défi, deux axes de progrès. D’abord, je soutiens le démantèlement commencé des subventions budgétaires face au choc énergétique ; ce démantèlement doit aller à son terme. Il y a là un enseignement plus général : plutôt que des dépenses « compensatrices » ex-post dont la France s’est fait une spécialité, la véritable clé de notre réussite économique est tout ce qui musclera, en amont, notre capacité productive.

Ensuite, je salue l’adoption au conseil Ecofin du 20 décembre 2023 de nouvelles règles budgétaires européennes, même si elles restent hélas très complexes. L’essentiel est maintenant de les appliquer, et donc pour notre pays de tenir ses engagements pluriannuels jusqu’en 2027. Ce serait très nouveau et ce serait donc très bienvenu.

2.    Le plein emploi

Le chômage reste relativement bas malgré le ralentissement économique, à 7,4 % aujourd’hui. Je voudrais relever positivement que la France a fait mieux que tous ses voisins depuis 2019 sur deux indicateurs : l’augmentation du nombre d’heures travaillées, et l’augmentation du taux d’emploi qui est à plus de 68 %.
 
Nous sommes pour autant encore loin du plein emploi, à 5 % de chômage ; et nous sommes encore loin du taux d’emploi allemand qu’on peut estimer environ à 72 %, si on le corrige de l’effet temps partiel. Nous pouvons, je crois, atteindre dans la décennie cet objectif historique ; je souligne la correspondance économique entre ces deux chiffres : un taux de chômage à 5 % et un taux d’emploi autour de 72 %. Ce serait la première fois depuis plus de 40 ans : ne perdons pas ce cap, ne manquons pas notre chance. Ceci passe par un travail plus abondant, bien sûr, mais aussi plus qualifié et plus motivant y compris pour les jeunes.

3.    Le bon financement de l’économie française et européenne

Il y a bien sûr de gros besoins d’investissements dans l’économie française y compris dans l’immobilier et en particulier, sur les deux « grandes transformations » en cours : la transformation numérique, y compris l’intelligence artificielle, et la transition verte. Face à ces besoins de financement, nous avons une ressource abondante, l’épargne privée.
 
C’est vrai à l’échelle française comme à l’échelle européenne. Le taux d’épargne des Français se situe à la fin du troisième trimestre à 17,7 % de leur revenu disponible brut, c’est un peu inférieur à l’Allemagne mais supérieur à nos autres voisins européens, l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni et très supérieur aux États-Unis à 9 %. Le sujet n’est donc pas tant le montant que la composition de cette épargne. Je voudrais à cet égard évoquer trois cercles, du plus restreint au plus large.

Au sein de l’épargne liquide tout d’abord, il faut donner une vraie priorité à l’épargne populaire. C’est le sens des propositions que j’ai été amené à faire au Ministre sur le LEP : un taux fixé à 5 % soit très au-dessus de la formule et de l’inflation ; Un plafond remonté à 10 000 euros ; et un objectif sur lequel les banques se sont engagées de 12,5 millions de détenteurs du LEP à l’été. Nous sommes déjà à 10,7 millions, soit plus de 3 millions de livrets supplémentaires en deux ans mais je rappelle qu’il y a entre 18 et 19 millions de Français qui ont droit au LEP. Sur l’épargne réglementée aussi, la stabilisation du taux du livret A à 3 % a déjà permis une relance de la production de prêts au logement social de 9 % l’an dernier.
 
Le deuxième cercle, c’est l’épargne de taux en général, qui représente environ 60 % du patrimoine financier des ménages. Il est important aussi de préserver l’épargne longue qu’est l’assurance vie, produit très important en France. J’invite ici les assureurs à offrir une rémunération suffisamment attractive, y compris sur le fonds euro, en utilisant les réserves disponibles dans la provision sur bénéfices.

Troisième cercle, sur l’épargne dans son ensemble, à côté de l’épargne de taux, il faut développer les placements sur fonds propres. L’Europe dans son ensemble et notamment la France, est en retard par rapport aux États-Unis : les placements des Français sous diverses formes en produits de fonds propres sont trois fois plus faibles qu’aux États-Unis, 93 % de notre PIB contre 282 % aux États-Unis. Pour le dire en résumé : les entreprises françaises et européennes ne manquent pas globalement de crédits, elles manquent de fonds propres.

Ceci m’amène à la dimension européenne, pour terminer. Là aussi la ressource est abondante. Il y a un excédent d’épargne en 2023 de 370 milliards d’euros à l’échelle européenne, c’est-à-dire 2,6 % de notre PIB. Ceci renvoie à un vieux projet mais qui a connu une nouvelle impulsion à la fin de l’année dernière : c’est l’Union des marchés de capitaux (UMC). Christine Lagarde en a parlé au mois de novembre, Bruno Le Maire l’a fait début janvier. J’appelle plus largement à une Union de financement européenne, verte et numérique, qui additionne l’Union des marchés de capitaux et l’Union bancaire. Nous avons les besoins, nous avons la ressource privée : il faut créer les canaux de l’un vers l’autre.

Ceci fait partie d’un « réveil économique » de l’Europe dont nous avons besoin : face à la croissance américaine, à l’affirmation chinoise, l’Europe ne doit évidemment pas rester sur le bord du terrain. Nous devons jouer résolument nos atouts dans la compétition mondiale. Il y a cette mobilisation de l’épargne. Il y a également la relance du marché unique : celui-ci n’est pas qu’un glorieux héritage de Jacques Delors ; il reste un potentiel pour jouer plus résolument notre taille, en capacité d’attraction et d’innovation des entreprises. Nous pouvons accroître encore significativement la croissance européenne.
 

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À propos d’Europe, permettez-moi de conclure avec Jean Monnet, à l’aube de 2024 : « Ce qui est important ce n’est ni d’être optimiste ni d’être pessimiste, c’est d’être déterminé ». Comptez sur les équipes de la Banque de France pour l’être, à leur place, à vos côtés.