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Réduire l’incertitude et améliorer l’allocation de nos ressources pour soutenir le développement de nos entreprises
Intervenant

Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 1 Avril 2025

Conférence annuelle de l’OFEM - 1er avril 2025
Financement des entreprises par le marché
Bilan 2024 et Perspectives 2025
Discours d'ouverture de Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France
Dans un contexte marqué par un bouleversement et une incertitude interne et externe élevée et multidimensionnelle (en particulier politique, géopolitique, macroéconomique et commerciale), les autorités financières ont un rôle important à jouer pour apporter de la stabilité et de la confiance aux acteurs de l’économie française et européenne. La Banque de France a ainsi pour objectif, en cohérence avec ses mandats de stabilité monétaire et financière, outre d’assurer la stabilité des prix, de contribuer à maintenir un accès stable aux services financiers et en particulier au crédit et d’encourager innovation, diversification et maitrise des sources de financement de notre économie.
Aussi, en introduction à cette conférence annuelle de l’OFEM, et comme éléments de contexte aux débats qui vont suivre sur les moyens d’améliorer nos circuits de financement, je voudrais revenir sur nos objectifs pour souligner l’impact positif des actions que nous menons en matière de lutte contre l’inflation, et dire quelques mots de celles que nous promouvons pour faire en sorte que notre système financier réponde bien aux nouveaux besoins de financement des entreprises.
I – La victoire contre l’inflation demeure en vue
a. Les banques centrales, réductrices d’incertitude :
La stabilité des prix est notre premier mandat en tant que banque centrale, et l’action de la politique monétaire menée dans le cadre de l’Eurosystème a été décisive : en 2023 comme en 2024, celle-ci a contribué directement à réduire l’inflation de 1 % à 2 % selon les divers modèles utilisés.
Le processus de désinflation a ainsi été plus rapide et moins coûteux en termes de croissance et d’emploi que dans les années 1980. Les anticipations d’inflation sont restées largement ancrées et les chocs sur les prix des matières premières n’ont pas alimenté de spirale inflationniste durable (slide 2).
Et la tendance à la désinflation en Europe apparait solide. Le dernier taux d'inflation de 2,3% publié pour le mois de février se rapproche de notre cible d’inflation de 2 %. En France, l’inflation est même exceptionnellement bien au-dessous de 2 %, à 0,9 %, en raison d’une forte modération des salaires. Et nous n’anticipons pas d’effet notable sur l’inflation des mesures tarifaires décidées ou annoncées par la nouvelle administration américaine. Nous attendons l’inflation en France en 2025 en moyenne annuelle à 1,3% et qu’elle se situe en dessous de 2% en 2026 et 2027.
b. L’économie française et européenne au ralenti, mais sans récession.
L’environnement économique et financier est toutefois rendu très incertain par l’imprévisibilité américaine. Si l’incertitude reste élevée autour des mesures qui seront effectivement mises en place et rend complexe une quantification précise, les différentes annonces de l’administration Trump permettent désormais d’esquisser des impacts quantifiés. Nous estimons ainsi qu’une hausse de 25 points de pourcentage des droits de douane américains sur les importations en provenance de l’Union européenne pourrait diminuer le PIB de la zone euro de 0,3 % environ au bout de 1 à 2 ans.
Le regain d’incertitude au niveau international et les comportements toujours attentistes face à la situation nationale nous ont donc conduit à réviser la croissance de l’activité en France à la baisse en 2025 (et plus marginalement en 2026) par rapport à nos prévisions de décembre dernier (slide 3). Notre scénario central demeure toutefois celui d’une sortie de l’inflation sans récession. L’économie française et les économies européennes sont actuellement au ralenti mais une reprise pourrait intervenir en 2026 et 2027, alimentée par la consommation puis l’investissement. Pour la France comme pour la Zone euro, notre prévision est une croissance de 1 ,2% en 2026 et 1 ,3% en 2027.
Dans cet environnement incertain quel cours la politique monétaire va-t-elle suivre ? Je rappellerai pour répondre à cette question les déclarations récentes de François Villeroy de Galhau au FAZ : « le cycle d’assouplissement n’est ni terminé ni automatique. Comme les droits de douane ne devraient pas avoir d’effet inflationniste significatif dans la zone euro – et bien moins qu’aux États-Unis – je pense qu’il reste de la marge pour poursuivre l’assouplissement. Toutefois, son rythme et son ampleur restent à définir. Aujourd’hui, les marchés s’attendent à un taux d’intérêt de la BCE d’environ 2% cet été. C’est un scénario possible, étant donné que l’été en Europe dure de juin à septembre... »
II – Améliorer les circuits de financement (UEI) pour renforcer le financement des entreprises
J’en viens maintenant au second objectif que nous poursuivons dans le cadre de notre mandat de stabilité financière qui est de contribuer à maintenir un accès stable aux services financiers et en particulier au crédit et d’encourager innovation, diversification et maitrise des sources de financement de notre économie
a- Anticiper les besoins des entreprises pour financer la croissance et les grandes transitions
A cette fin Il nous faut anticiper les besoins d’investissement de nos entreprises pour maintenir un financement adapté (slide 4). L’Union Européenne est confrontée à des besoins d’investissements supplémentaires très importants, estimés entre 700 et 800 milliards, liés à la transition numérique et écologique, au développement d’une défense européenne et au rattrapage du retard de productivité du secteur productif. Il appelle la pleine mobilisation de ses ressources et de ses circuits de financement.
En outre, le financement des investissements nécessaires pour réussir ces transformations, numérique et énergétique notamment, ne peut pas reposer uniquement sur l’endettement, d’autant qu’il est plus important chez les entreprises françaises que chez leurs concurrentes européennes, même si les conditions d’accès sont favorables (slide 5). Il doit également mobiliser des fonds propres, en particulier par le développement du capital-risque pour les start-up, je vais y revenir dans quelques instants.
b- L’importance de l’UEI
Pour bien répondre à ces besoins, le projet d’Union des marchés de capitaux (UMC) visait au départ un objectif de stabilisation : des marchés moins fragmentés et un partage des risques entre acteurs bancaires et non bancaires seraient plus à même d’amortir les chocs asymétriques. Rebaptisé à juste titre Union pour l’épargne et l’investissement (UEI), ce grand chantier est désormais axé sur l’efficacité de l’allocation des ressources. Mobiliser l’épargne abondante des Européens au service de ces objectifs stratégiques - transition écologique et numérique, innovation, défense - en est devenu à juste titre le principal enjeu. Il est de ce fait nécessaire de développer le potentiel de financement, d’allocation des ressources et de gestion des risques de nos marchés de capitaux, en complément du rôle joué par le système bancaire, en particulier vers le financement par fonds propres de projets à risque des entreprises.
La Banque de France promeut dans ce contexte plusieurs mesures qui nous apparaissent comme clés. Je voudrais en évoquer ce matin deux particulièrement en lien avec le thème de cette conférence, la titrisation et le capital-risque.
Adéquatement réglementée et supervisée, la titrisation offre aux établissements bancaires une solution de refinancement et de gestion des risques. A cette fin, aux côtés des autres autorités françaises, l’ACPR et la Banque de France ont proposé un ensemble de mesures concrètes de simplification et d’ajustement des exigences prudentielles et opérationnelles, qui devront également permettre de mieux cibler les risques associés à ces pratiques. Par ailleurs, afin de soutenir le financement de la transition écologique en Europe, nous soutenons le développement de la titrisation verte via l’utilisation du label européen « EuGB » garantissant une allocation transparente des fonds vers des projets verts, ainsi que la création d’une plateforme européenne commune de standardisation, ciblée prioritairement sur les titrisations vertes.
Un second levier qui nous parait important est le développement du capital-risque pour soutenir l’innovation (slide 6). Son faible développement en Europe est une des causes de notre retard de productivité vis-à-vis des États-Unis1. Le déficit de ce type de financement affecte ainsi toutes les étapes de développement des start-up, de l’amorçage à la phase de développement avancé. La faible implication des investisseurs institutionnels – représentant 30 % des levées de fonds en Europe entre 2013 et 2023 contre 72 % aux États-Unis – contribue notamment à ce retard. Pour dynamiser ce marché, un levier possible serait de renforcer les partenariats public-privé afin de faciliter une plus grande implication des investisseurs institutionnels privés. Les investisseurs institutionnels pourraient par exemple être fédérés à l’échelle européenne en s’inspirant de l’initiative TIBI en France ou WIN en Allemagne2.
Conclusion
En conclusion, les défis ne manqueront pas pour les mois et années à venir pour nos entreprises et leur bon financement. Mais ces défis sont aussi des opportunités, qu’il n’appartient qu’à nous Européens de saisir, pour autant que nous sachions bien nous mobiliser à cette fin. Vous l’aurez compris, dans le cadre de ses mandats de stabilité monétaire et financière la Banque de France est pleinement engagée pour y contribuer. Je vous remercie pour votre attention.
1Rapport Draghi, The future of European competitiveness, septembre 2024
2Les initiatives TIBI 1 et TIBI 2 consistent en des engagements volontaires d’un ensemble d’investisseurs institutionnels privés auprès de l’État à investir en capital risque dans des fonds labélisés « TIBI ». L’initiative WIN vise à répliquer ce modèle en Allemagne.
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Mise à jour le 1 Avril 2025