Quel niveau de croissance attendez-vous pour cette année ?
Nous prévoyons un rythme de croissance d'environ 0,2 % par trimestre, à l'image de celle attendue au dernier trimestre de 2023 : cela conduirait à 0,9 % sur l'ensemble de 2024. Ce rythme traduit évidemment un ralentissement. Mais ce ne serait pas un retournement de la conjoncture, ni une récession, en France comme en Europe.
Quels sont les facteurs positifs pour l'économie française ?
À court terme, la désinflation : elle entraînera une hausse en moyenne du pouvoir d'achat, car les prix augmenteront dorénavant moins vite que les salaires. Par conséquent, le moteur de notre croissance change : celui de 2023 était les exportations, celui de 2024 sera la consommation. C'est un moteur plus régulier et plus sûr, d'autant plus que l'investissement des entreprises nous paraît résister relativement bien.
Et l'emploi ?
La performance de la France dans ce domaine surprend positivement. Le taux de chômage est aujourd'hui le plus bas depuis plus de quarante ans : le ralentissement économique n'a pas dissuadé les entreprises de continuer d'embaucher, puisque 40 % d'entre elles nous disent connaître encore des difficultés de recrutement. Nous nous attendons à une légère remontée du chômage, entre 7,5 et 8 %. Mais lors du précédent ralentissement de 2011-2012, il avait dépassé les 10 % : cela démontre un changement majeur de l'économie française, désormais bien plus créatrice d'emplois. Il ne faut pas nous arrêter là : la France peut et doit viser dans cette décennie le plein emploi, c'est à-dire un taux de chômage autour de 5 % et un taux d'emploi supérieur à 70 %, comme en Allemagne, au lieu de 68 % aujourd'hui. Cela changerait tout, en matière de cohésion sociale bien sûr, mais aussi pour le pouvoir d'achat et pour notre potentiel de croissance.
L'Allemagne a subi une récession l'an dernier. Quelles en sont les conséquences pour le reste de la zone euro ?
La France fait effectivement aujourd'hui mieux que l'Allemagne. Pour autant, la récession allemande reste limitée, par rapport au scénario très sombre redouté l'hiver dernier. Le modèle économique allemand demeure solide, avec toutes ses entreprises intermédiaires très exportatrices. Mais l'Allemagne doit retrouver un cap de moyen terme. Nos deux pays ne doivent pas se laisser trop absorber par leurs problèmes domestiques, certes réels. Nos défis sont communs, leurs solutions le sont aussi. À l'occasion des élections européennes, il faut réenclencher en Europe un certain nombre de leviers pour avoir davantage de croissance et d'innovations. Le marché unique - le deuxième au monde - peut être un énorme atout pour que la puissance économique européenne s'affirme davantage.
Comment la désinflation se poursuivra-t elle ?
Vaincre l'inflation reste la première préoccupation des Français, à commencer par les plus défavorisés. Et la première mission de la Banque de France. Ici, nous sommes sur la bonne voie. Le point haut de l'inflation en France a été atteint en février 2023, à un peu plus de 7 %. Elle est redescendue aujourd'hui autour de 4 %. C'est encore trop élevé mais, selon nos prévisions, elle passerait sous les 3 % avant la fin de ce premier semestre. Et nous nous engageons, sauf choc, à ce que l'inflation revienne à 2 % - ce qui est notre objectif - d'ici à 2025 au plus tard.
Est-ce le résultat de la politique monétaire ?
Elle y a bien contribué ! Naturellement, la baisse des prix de l'énergie a aidé. Mais la politique monétaire joue un rôle très important pour modérer la hausse des prix dans les services et les biens manufacturés, soit 70 % de notre consommation : ce que l'on appelle l'inflation sous-jacente, qui a déjà reculé significativement dans notre pays, de 4,7 % au printemps 2023 à 2,9 % aujourd'hui. Ce résultat donne une crédibilité forte à l'action de la BCE.
Malgré les incertitudes géopolitiques ?
Nous sommes vigilants, notamment sur d'éventuelles conséquences de la situation au Proche-Orient. Mais dans ce cas, nous nous adapterions, notamment dans le calendrier des baisses de taux directeurs.
Justement, quand allez-vous baisser les taux ?
Nous baisserons nos taux cette année. Sur la date précise, aucune n'est exclue, et tout sera ouvert dans nos prochaines réunions. Nous jugerons selon les progrès suffisants vers l'inflation à 2 %, et nous devrons éviter deux risques qui sont devenus équilibrés : baisser trop tôt et alors lâcher la cible, mais aussi agir trop tard et freiner excessivement l'activité.
Plusieurs études récentes signalent un endettement élevé des entreprises françaises. Est-ce inquiétant ?
Globalement non, mais c'est un point d'attention : les entreprises françaises et européennes ont davantage recours à la dette, alors que les entreprises américaines privilégient le financement par fonds propres - les actions. Or cela favorise l'innovation, en permettant une plus grande prise de risque. Voilà pourquoi j'appelle à une union de financement et d'investissement en Europe, pour financer les deux transitions fondamentales en cours, énergétique et numérique. L'atout majeur que possède ici l'Europe, c'est son excédent d'épargne : 370 milliards d'euros, soit près de 3 % du PIB. Il faut mobiliser ces capitaux, en faisant sauter les frontières nationales, en offrant les bons produits aux épargnants.
Le resserrement de la politique monétaire a-t il contribué à provoquer la crise immobilière qui sévit dans plusieurs pays européens ?
Le secteur du logement est l'un des plus sensibles aux taux d'intérêt. Quand ceux-ci étaient très bas, la production de crédits immobiliers a atteint des records exceptionnels, avec plus de 20 milliards d'euros de crédits immobiliers par mois en 2021 et début 2022. Ces crédits représentent aujourd'hui autour de 9 milliards d'euros par mois, ce qui, à l'inverse, est un point bas. Il est souhaitable que la production de crédits nouveaux reparte en 2024, grâce au retour de la demande des ménages ainsi qu'à la stabilisation des taux, puis leur baisse. Les banques ont tout intérêt à encore plus convaincre les Français de leur volonté de prêter : dans cet esprit, il faut mettre en place rapidement la procédure de réexamen attendue sur les refus de crédits solvables.
L'amélioration de la conjoncture permettra-t elle le redressement des finances publiques ?
Nous sortons d'une phase dominée par les urgences : le Covid, puis la lutte contre l'inflation. Il est désormais important de fixer un cap dans la durée : moins de dette et plus d'emplois. Il y a un peu plus de quarante ans, la dette française représentait 20 % du PIB. C'est aujourd'hui 112 %. Nous transmettons à nos enfants et aux jeunes la facture ! Mais à court terme, déjà, la charge de la dette augmente fortement : elle sera multipliée par plus de trois entre 2021 et 2027, ce qui « mange » notre marge de manœuvre budgétaire. Pour commencer, il faut sortir des boucliers tarifaires, puisque les prix de l'énergie ont baissé. La décision du gouvernement d'augmenter le tarif de l'électricité au 1er février n'était pas facile, mais elle est nécessaire, et elle est compatible avec la baisse de l'inflation.
Ramener le déficit budgétaire en dessous de 3 % en 2027 vous semble-t il un objectif réaliste ?
C'est le minimum si nous voulons enfin stabiliser la dette. La France a présenté un programme pluriannuel pour y parvenir : la nouveauté bienvenue, ce serait de tenir cette fois nos engagements. Le modèle social de nos voisins européens est semblable au nôtre, mais ils y réussissent en dépensant moins. Regardons ce qui fonctionne le mieux ailleurs pour nous en inspirer.