Discours

La politique monétaire dans un contexte d’incertitude

Intervenant

François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

15 Février 2022
François Villeroy de Galhau intervention

Introduction

Je remercie chaleureusement Iain Begg pour cette invitation à m’exprimer devant vous aujourd’hui, plus de deux ans après ma première intervention à la LSE. 

Tant de choses se sont passées depuis lors, et la crise ukrainienne nous montre que le contexte d’incertitude n’est pas prêt de s’arrêter. Comme beaucoup d’autres économies dans le monde, la zone euro entre dans la phase cruciale de reprise post Covid. Il y a de bonnes nouvelles, il y a de mauvaises nouvelles, et les deux sont à l’évidence étroitement liées. Le chômage a baissé, pour s’établir à un niveau historiquement bas en zone euro, et le PIB en volume a dépassé son niveau d’avant la crise au dernier trimestre 2021. Du côté des moins bonnes nouvelles, les pénuries de matériaux, d’équipements et de main-d'œuvre persistent dans certains secteurs, tandis que d’autres fonctionnent toujours en dessous de leur capacité. Cette reprise déséquilibrée, couplée au renchérissement des prix de l’énergie et des produits alimentaires, a entraîné une accélération de l’inflation totale dans la zone euro, à 5,1 % en janvier. L’inflation sous-jacente est seulement à 2,3 %, mais ce taux est bien plus élevé qu’il y a un an (1,4 %). Lors de notre récente réunion du Conseil des gouverneurs, le 3 février, nous avons reconnu que « l’inflation devrait rester élevée plus longtemps que prévu auparavant ». Comme l’a dit Christine Lagarde, ces forces devraient progressivement s’atténuer à mesure que l’économie se rééquilibrera et renouera avec son taux de croissance potentielle, et que l’impact des chocs des prix de l’énergie se dissipera. Je ne commenterai pas davantage les perspectives d’inflation, qui seront évoquées dans nos prochaines projections le 10 mars. Je vais cependant aborder aujourd’hui (1) la théorie et la pratique de la forward guidance en ces temps incertains ainsi que (2) la manière dont la BCE pourrait devoir ajuster sa guidance actuelle sur les taux d’intérêt pour gérer la trajectoire de normalisation de la politique monétaire.

I. La forward guidance en théorie et en pratique

À l’origine, comme suggéré par Eggertsson et Woodford en 2003, la forward guidance est un instrument clair et puissant, qui peut être utilement mobilisé lorsque les taux d’intérêt nominaux se situent au plancher effectif, et donc que la politique monétaire conventionnelle est inefficace. Cette stratégie consiste à ce que la banque centrale s’engage à fournir un stimulus dans le futur, au-delà de ce que nécessiterait le choc économique sous-jacent, ceci en annonçant qu’elle maintiendra ses taux d’intérêt à un bas niveau plus longtemps que préconisé par sa fonction de réaction standard. Tant que cette stratégie est comprise par les marchés financiers, les taux d’intérêt nominaux à moyen terme resteront plus bas. De plus, des agents économiques rationnels anticipent que cette politique génèrera une inflation supérieure à la cible dans le futur, ce qui abaisse les taux d’intérêt réels attendus sur l’ensemble de la période, stimulant encore davantage la demande et l’inflation actuelles. Tout cela fonctionne parfaitement sur le papier. Cependant, même les théoriciens, et aussi les praticiens, dont notre Conseil des gouverneurs, se sont vite rendu compte que mettre la théorie en pratique soulevait des questions supplémentaires. Permettez-moi d’en aborder trois.

1. L’horizon temporel de la forward guidance

En théorie, il suffit d’un engagement de modeste envergure dans un futur lointain pour avoir un impact puissant dès aujourd’hui, grâce à l’effet des anticipations rationnelles sur l’ensemble des taux d’intérêt réels prévus. Cela éprouve la crédibilité des banques centrales à deux égards : premièrement, s’agit-il d’une description réaliste de la manière dont le monde et les anticipations fonctionnent ? Même Michael Woodford a travaillé sur des modèles à horizon de planification limité qui diminuent la puissance de la forward guidance. Deuxièmement, on peut s’interroger sur la crédibilité de tels engagements sur le long cours.

2. En fonction d’un calendrier ou de la situation économique

La forward guidance « ouverte » (ou « delphique ») a de longue date été reconnue comme moins efficace, ce qui a conduit à une version plus conditionnelle ou « odysséenne », c’est-à-dire qui dépend d’un calendrier et/ou de la situation économique. Mais une forward guidance « calendaire » (« calendar-based ») ou bien « dépendante de la situation économique » (« state-contingent ») pose d’autres défis assez évidents à la lumière du débat politique.  Une annonce « calendaire » est très claire et facile à comprendre pour les marchés (« Rendez-vous à 20 heures » contre « Rendez-vous une demi-heure après que je sois parti de chez moi »). Mais cet engagement est particulièrement tributaire de chocs économiques non anticipés qui peuvent se produire entre temps. Une annonce « dépendante de la situation économique » est moins risquée à cet égard, car elle s’ajuste selon l’évolution de l’économie. Elle permet donc une flexibilité temporelle, mais l’expérience nous montre qu’elle est parfois moins claire et donc moins convaincante pour les marchés.

Actuellement, la forward guidance de la BCE sur les taux directeurs indique que ceux-ci resteront à leur niveau actuel jusqu’à ce que trois critères dépendants de la situation économique soient respectés, mais avec un élément de calendrier lié au séquencement de la politique monétaire, sur lequel je reviendrai dans ma seconde partie. À titre de comparaison, aux États-Unis, la Fed utilise actuellement deux sortes de guidage prospectif calendaire: il sera « bientôt approprié de relever la fourchette cible » du taux des fonds fédéraux et, concernant les achats nets d’actifs, « d’y mettre un terme début mars ».

3. Le degré d’engagement

Toutefois, aucune banque centrale ne peut définir à l’avance toutes les situations dans lesquelles les taux directeurs demeureront fixes. En ce sens, nous ne pouvons pas totalement nous lier les mains à l’avance avec des règles, et devrions conserver un certain pouvoir discrétionnaire pour faire face à des données ou évènements inattendus. La forward guidance ne consistera jamais à mettre la politique monétaire en pilote automatique. Il y aura toujours une part d’appréciation, y compris en ce qui concerne la distribution des risques autour des projections macroéconomiques de la BCE. Les banques centrales doivent être prévisibles, mais elles ne doivent pas être prédéterminées.

La forward guidance en période d'incertitude

Permettez-moi d’adapter cette discussion générale au contexte de temps incertains, car nous traversons indéniablement une période inattendue : l’« économie covid » sans précédent, les tensions géopolitiques concernant notamment l’Ukraine, la crise de l’énergie, et deux transformations majeures à venir, numérique et écologique. La forward guidance est un arbitrage entre les bénéfices que l’on retire du fait d’indiquer à l’avance ses intentions et les contraintes qu’elle fait peser sur les actions futures. En période d’incertitude élevée, ces effets se renforcent de part et d’autre. D’un côté, les indications sur la trajectoire de la politique monétaire peuvent contribuer à réduire une volatilité exacerbée et à clarifier les ambiguïtés. De l’autre, dans les situations de volatilité, les décideurs doivent être plus agiles pour réagir aux nouvelles données et aux nouveaux risques. Revenons ainsi aux trois questions pratiques que j’ai évoquées plus tôt ; je souhaiterais essayer d’en tirer trois enseignements pour les périodes d’incertitude :

  1. L’horizon temporel : même en temps normal, la forward guidance perd de sa puissance sur un horizon éloigné, comme évoqué plus haut. Alors, dans un contexte d’incertitude élevée, celle-ci doit porter sur un horizon d’autant plus court. À l’heure actuelle, son horizon raisonnable devrait se compter en trimestres plutôt qu’en années.
  2. L’équilibre entre la forward guidance « calendaire » et « dépendante de la situation économique » : à très court terme, les anticipations des marchés et des agents économiques sont plus efficacement influencées par des dates. Mais au-delà d’un horizon de quelques mois, la forward guidance « dépendante de la situation économique » doit être privilégiée. Et elle devrait reposer non seulement sur des prévisions, les modèles étant fragiles en période d’incertitude, mais aussi fortement sur des données empiriques. Nous devons écouter le monde réel et concret des acteurs qui fixent les prix et les salaires, soit les entreprises et les ménages, qui sont au moins aussi importants que les modèles macroéconomiques ou que les anticipations des marchés.
  3. Face à l’incertitude, ne pas être prédéterminé est un impératif absolu. En ce moment, les deux mots les plus importants pour les banquiers centraux sont « agilité » et « humilité » - honnêtement, ce n’est pas juste une posture, c’est pour nous une réalité quotidienne -. Jay Powell promet à juste titre d’être « humble et agile ». À la BCE, nous soulignons ce nouveau principe d’« optionalité » : cela signifie, dans une approche de gestion des risques, que nous devons élargir la marge de manœuvre de notre politique monétaire, afin d’être capables de réagir à un éventail plus large de scénarios d’inflation possibles comme l’expliquait Philip Lane dans une récente interview. La difficulté, c’est bien sûr d’articuler cette optionalité accrue avec, dans le même temps, un degré suffisant de prévisibilité pour les agents économiques, pour réduire les effets défavorables de l’incertitude. Ce constat m’amène au second point de mon intervention, dans lequel je souhaiterais partager quelques réflexions sur les indications prospectives de la BCE.

II. Comment garantir prévisibilité et optionalité pour la BCE

La prévisibilité – un cap et deux boussoles

Je commencerai par les éléments de prévisibilité : un cap – la cible d’inflation de 2 % telle que définie dans notre revue stratégique – ; et deux boussoles – notre séquencement et notre forward guidance. Concernant le cap, notre engagement est très clair : nous ferons le nécessaire pour ramener l’inflation durablement autour de 2 % sur notre horizon de projection. Il est essentiel de rassurer sur ce point pour maintenir les anticipations d’inflation proches de 2 % quelles que soient les incertitudes à court terme. Nous en avons le devoir, nous en avons la capacité, et n’avons aucun doute sur la nécessité de le faire.

Pour maintenir ce cap, notre première boussole est le séquencement : nous allons, dans un premier temps, mettre fin aux achats nets d’actifs, puis relever les taux d’intérêt directeurs avant de commencer à réduire la taille de notre bilan. Il est inutile de laisser spéculer autour de l’ordre de ces étapes, lorsque cette incertitude peut être facilement levée. En outre, selon la logique de ce séquencement, l’APP est utilisé comme une mesure de l’orientation de la politique monétaire, qui renforce l’effet de la forward guidance sur le taux d’intérêt à court terme ; si nous souhaitons réduire l’orientation accommodante de notre politique monétaire, nous devrons dans un premier temps relâcher la pédale d’accélérateur en arrêtant de fournir un stimulus. À ce propos, si nous commencions par relever les taux avant de mettre un terme aux achats nets, le risque serait d’aplatir excessivement, voire d’inverser, la courbe des taux. Le fait que la réduction de la taille de notre bilan intervienne seulement dans un troisième temps est destiné à éviter que l’arrêt de notre politique accommodante ait un impact brutal : la présence de la BCE sur les marchés, via les réinvestissements, nous permet de contenir ces risques déstabilisateurs, y compris en termes de fragmentation.

Par conséquent, notre cap de navigation est clair. Mais comme je l’ai déjà dit récemment, nous conserverons toute notre optionalité s’agissant du rythme de cette séquence : son calendrier restera progressif, dépendant de la situation et ouvert s’agissant du passage d’une étape à l’autre.

La seconde boussole est notre forward guidance sur les taux d’intérêt, telle que nous l’avons adoptée en juillet dernier. Avant d’y venir, permettez-moi, dans l’ordre de notre séquencement, de commencer par quelques considérations relatives à notre forward guidance sur l’APP.

La forward guidance sur l’APP

Lors de sa réunion de décembre l’an dernier, le Conseil des gouverneurs a actualisé sa forward guidance sur les achats nets d’actifs en déclarant notamment : « À compter d’octobre 2022, le Conseil des gouverneurs continuera d’effectuer des achats nets d’actifs en vertu de l’APP à un rythme mensuel de 20 milliards d’euros pendant aussi longtemps que nécessaire pour renforcer les effets accommodants des taux d’intérêt directeurs ; [il] prévoit de mettre fin aux achats nets peu avant de commencer à relever les taux d’intérêt directeurs de la BCE ».

Depuis septembre 2019, la forward guidance sur les achats nets d’actifs diffère de celle qui prévalait jusqu’en décembre 2018. L’APP n’est plus considéré comme un instrument distinct de l’instrument des taux d’intérêt : il lui est hiérarchiquement subordonné, à la fois en termes d’objectif (« renforcer ») et de calendrier (« peu avant »). Cette subordination constitue un changement : à leur introduction en 2008, les mesures dites non conventionnelles étaient présentées comme distinctes et complémentaires de la politique de taux, et non pas comme une extension de la réduction de taux.

Le principal avantage de ces nouvelles indications prospectives concernant l’APP a été de renforcer la forward guidance sur les taux et de soutenir la stratégie de bas niveau des taux d’intérêt sur une longue durée (low for long). Le couplage de ces deux instruments a renforcé l’impact de la politique monétaire sur l’ensemble de la courbe des taux. Toutefois, compte tenu du changement du contexte d’inflation (d’une situation dans laquelle l’inflation a été trop faible pendant trop longtemps à une situation d’incertitude), la difficulté aujourd’hui pour la forward guidance consiste à passer de la persistance à l’optionalité.

Je souhaiterais à ce stade vous faire part de questions plus ouvertes et de réflexions plus personnelles sur la façon d’accroître cette optionalité :

  • La première option qu’il nous faudra examiner – lors de notre réunion de mars – est celle du calendrier des achats nets d’actifs. Les maintenir sans limitation à compter d'octobre ne semble pas approprié, car (a) sur le principe, cela nous lie les mains trop longtemps : j’évoquais précédemment le fait que les indications prospectives fondées sur le calendrier ne devaient pas dépasser quelques mois dans le contexte actuel d’incertitude (b) en substance, il n’y a plus vraiment de raison aujourd’hui d’appuyer sur la pédale d’accélérateur en augmentant notre stock d’actifs, dans la mesure où l’inflation converge vers notre cible de 2 % « par le haut ». Je reste convaincu de l’utilité d‘une transition entre l’arrêt des achats nets au titre du PEPP prévu en mars et l’arrêt des achats nets au titre de l’APP : en revanche, la réduction des achats au titre de l’APP pourrait suivre un rythme mensuel ou bimensuel et non trimestriel, et l’APP ainsi prendre fin au troisième trimestre, ce qui reste à être déterminé. 
  • En parallèle, une autre façon de renforcer l’optionalité pourrait consister à retirer l’adverbe « peu » (shortly) de la forward guidance sur les achats d’actifs. Cela permettrait de rompre le lien temporel quasi automatique entre les deux instruments, tout en conservant le séquencement. L’optionalité signifierait alors que, s’il était justifié, le relèvement pourrait éventuellement prendre plus de temps.

Ce découplage temporel offrirait une plus grande marge de manœuvre pour un réglage fin de la politique monétaire, ce qui constitue un avantage en période incertaine. Plutôt que de se forcer à agir sur les deux instruments presque en même temps (ce qui pourrait en outre alimenter les craintes d’un effet de falaise excessif), nous pourrions nous accorder plus de temps et examiner les perspectives d’inflation les plus récentes avant de décider du calendrier de relèvement des taux : une décision que nous ne sommes de toute façon pas tenus de prendre avant notre Conseil des Gouverneurs de juin. Toute spéculation concernant ce calendrier de relèvement futur est à ce stade prématurée.

La forward guidance sur les taux d’intérêt

Permettez-moi de souligner une précision sémantique importante s’agissant de l’orientation de notre politique monétaire : les étapes que j’ai évoquées ici sont celles de la normalisation de notre politique monétaire, non d’un durcissement. Il s’agit toujours de la sortie des instruments exceptionnels et de notre politique monétaire extrêmement accommodante (augmentation des stocks d’actifs déjà importants, taux d’intérêt négatifs). C’est la première étape d’un retour progressif vers une orientation plus neutre, dont nous sommes encore loin. Le durcissement serait une autre histoire, qui irait au-delà d’une orientation neutre et ne relève donc pas de l’horizon actuel de notre politique.

Permettez-moi alors de rappeler les trois critères « dépendant de la situation » de notre forward guidance : « le Conseil des gouverneurs constate que (a) l’inflation atteint 2 % bien avant la fin de son horizon de projection ; (b) et durablement sur le reste de l’horizon de projection ; et (c) qu’il juge les progrès de l’inflation sous-jacente suffisants pour être compatibles avec une stabilisation de l’inflation à 2 % à moyen terme. »

Aujourd’hui, selon mon avis personnel, il pourrait être possible de considérer que le premier critère (avec une inflation totale significativement supérieure à 2 % depuis l’été 2021 et qui devrait le rester au cours des prochains mois) et le troisième (avec une inflation sous-jacente autour ou au-dessus de 2 % selon la plupart des définitions) sont remplis. À ce stade, d’après nos prévisions de décembre, le dernier critère (l’inflation reste à 2%, ou au-dessus, sur le reste de l’horizon de projection) n’est pas rempli. Cela pourrait changer au cours des prochains trimestres. Cependant, dans le contexte extraordinaire que nous traversons actuellement, nous devons être conscients de l’incertitude qui entoure nos projections d’inflation à un horizon de 3 ans, en particulier quand les pressions sur les prix proviennent de contraintes d’offre spécifique à certains secteurs, et avec des signes modérés de contagion aux salaires jusqu’à présent. Et il existe un élément supplémentaire, « fondé sur un calendrier », introduit par le séquencement: tout relèvement des taux ne devrait intervenir qu’après une date X marquant l’arrêt des achats nets d’actifs. Nous ne devrions pas anticiper sur ce calendrier : il y va de la crédibilité du séquencement, et c’est aussi une question de prudence s’agissant du plus fragile de nos critères – celui fondé sur les prévisions à moyen terme.

Cela me conduit à un rappel essentiel : la forward guidance n’est jamais une décision automatique et préserve toujours la possibilité d’une part d’appréciation. Selon notre propre formulation, il s’agit d’une « perspective », et le Conseil des gouverneurs doit « voir » et « juger » : même si les trois critères sont remplis, nous pourrions tout à fait prendre en considération des imprévus exogènes ou exceptionnels, y compris de caractère géopolitique.

Après le relèvement, l’optionalité porterait sur le rythme des futurs relèvements des taux d’intérêt. En particulier, certains participants de marché anticipent un scénario dans lequel nous pourrions ajuster les taux beaucoup plus lentement ou les laisser inchangés après être sortis des taux négatifs. Il ne s’agit pas d’un cap prédéfini, mais ce serait une possibilité dans la mesure où nous disposons d’une liberté totale.

Outre l’optionalité, la nécessaire flexibilité

Tout en naviguant dans cette direction, nous devons à l’évidence conserver notre optionalité. Mais nous conserverons également notre flexibilité : afin de garantir non seulement la bonne orientation de la politique monétaire, mais également sa bonne transmission à l’ensemble de la zone euro, en termes de catégories d’actifs et de juridictions.  L’optionalité et la flexibilité se renforcent mutuellement sur notre route vers une normalisation sans heurt : d’un côté, la gradualité aidera à éviter toute surréaction possible des marchés ; de l’autre, en décembre, nous avions déjà explicitement souligné le besoin de flexibilité,  « en période de tensions, la flexibilité demeurera un élément de la politique monétaire chaque fois que des menaces sur sa transmission compromettront la réalisation de la stabilité des prix ». Ce n’est pas une question d’aléa moral, ni de soutien inconditionnel à l’un des pays, et encore moins de tolérer une quelconque forme de dominance budgétaire. Il s’agit d’éviter les risques d’une fragmentation injustifiée : le cas échéant, nous devons disposer, dans notre « boîte à outils virtuels » d’une « option contingente ». Elle s’exercerait en partie – mais pas nécessairement uniquement – par le biais du PEPP, notamment des réinvestissements et éventuellement de la reprise des achats à ce titre sous certaines conditions. Plus généralement, le maintien de notre important stock d’actifs jusqu’à la troisième étape de notre séquence offre, par le biais de nos réinvestissements, une plus grande marge de manœuvre sur les marchés.

Conclusion

En 2006, Olivier Blanchard avait déclaré : « La politique monétaire peut prétendre s’approcher d’une science à condition de pouvoir être menée sur la base de règles simples et robustes [...] Il faut que la politique monétaire soit plus proche d’un art si elle est fréquemment confrontée à des événements imprévus, mal anticipés et mal compris ». J’aime ce mélange de science et d’art dans la politique monétaire. Par conséquent, j’ai beaucoup apprécié nos débats au sein du Conseil des gouverneurs, depuis plus de sept ans que je suis Gouverneur : si ce n’était pas pour débattre, pourquoi faire des réunions ? Mais comme je l’ai suggéré aujourd’hui, vous pouvez nous faire confiance, rassemblés autour de la présidente Christine Lagarde, pour prendre les bonnes décisions de manière pragmatique selon le bon ordre et le bon calendrier, afin d’atteindre notre cap : ramener l’inflation de manière ferme et durable vers notre cible de 2 %. Je vous remercie de votre attention.