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Jéco : « Le résultat de l’élection américaine augmente à la fois les risques pour l’économie mondiale et la nécessité d’une remobilisation européenne »
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 6 Novembre 2024
Intervention du Gouverneur de la Banque de France aux Journées de l’économie (Jéco) mercredi 6 novembre 2024.
Je vais me limiter à des commentaires économiques. Il y a d’abord un vrai paradoxe entre le rôle important joué par l’économie dans le vote et la performance remarquable de l’économie américaine : « The Economist » titrait ainsi il y a quinze jours sur l’économie américaine qui fait « l’envie du monde entier ».
Le résultat de l’élection américaine augmente à la fois les risques pour l’économie mondiale, et la nécessité d’une remobilisation européenne.
1. La politique d’une administration Trump, telle qu’on l’anticipe, c’est d’abord plus de déficits budgétaires américains, ce qui veut dire des taux longs plus élevés : les taux à 10 ans étaient à moins de 4% début octobre, ils tangentent 4,5% ce soir après être remontés d’à peu près 0,2 % aujourd’hui à la nouvelle de l’élection. Par ailleurs, une administration Trump veut dire plus de protectionnisme ce qui signifie plus d’inflation au moins aux États-Unis, et a priori moins de croissance partout dans le monde.
Cela signifie aussi plus d’incertitudes. Un grand économiste américain, Frank Knight, a introduit en 1921 cette discussion entre risque et incertitude : le risque est mesurable, avec une probabilité, et donc assurable. L’incertitude ne l’est pas, mais peut peser aussi sur la confiance et la croissance. Incontestablement, et cela ne date pas de cette nuit, nous sommes entrés dans un monde plus « knightien », avec plus d’incertitude et moins de confiance.
Les banques centrales n’échappent pas à cette incertitude accrue. Un de nos rôles est d’essayer d’être « absorbeurs » (amortisseurs) d’une partie des incertitudes, et de garantir deux ancres dans ce paysage volatil : la stabilité des prix, autour de l’objectif de 2% d’inflation, et la stabilité financière, sujet sur lequel il faudra aussi être attentif. Sur la politique monétaire européenne, je rappelle que les taux d’intérêt de la BCE sont à 3,25% soit nettement plus bas que ceux de la Fed américaine entre 4,75% et 5%, et ceux de la Banque d’Angleterre à 5%. Il y a des traces politiques de l’inflation, mais dans l’histoire économique, on a rarement vu une victoire contre l’inflation aussi vite et sans récession.
2. L’élection de Donald Trump implique aussi la nécessité d’une remobilisation européenne.
L’Europe aborde cette nouvelle donne avec des faiblesses évidentes : son retard technologique et sa division politique. Le rapport Draghi nous a donné un diagnostic lucide, mais aussi la feuille de route de la remobilisation nécessaire. L’élection américaine doit sonner le réveil européen, le wake-up call, après un trop long engourdissement, d’une trentaine d’années. Il est temps que la belle au bois dormant se réveille, énergiquement.
Est-ce que les ferments de division vont nécessairement l’emporter en Europe ? Le pire n’est pas toujours sûr. Les avancées de l’Europe ont eu lieu en période de crise ou de menaces. Pour citer un autre Italien, Gramsci, il faut avoir le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté.
Sans entrer dans le détail des 400 pages du rapport Draghi, j’en propose une cartographie. Sur le périmètre d’abord, nous devrions faire Draghi, moins les Eurobonds, sujet bloquant, plus le rapport Letta sur le marché unique.
Et pour en résumer le contenu : il faut la taille multipliée par le muscle, multiplié par la vitesse. La taille c’est l’approfondissement du marché unique. Le marché unique européen pèse autant que le marché américain mais il est beaucoup moins intégré. Le FMI a donné un ordre de grandeur : en évaluant que diminuer de 10% les obstacles au marché unique, notamment sur les services, donnerait 7% de croissance supplémentaire. Il faut aussi rétablir un plus fort contrôle des aides d’État nationales, qui sont budgétairement coûteuses et économiquement inefficaces. Il faut enfin une politique de concurrence à l’échelle européenne, Christine Lagarde l’a dit hier à Paris.
Le muscle c’est la puissance financière. Les Européens ont la chance d’avoir une épargne abondante. Le rapport Draghi chiffre à 800 milliards d’euros les besoins d’investissements supplémentaires par an pour faire la transition numérique, climatique et la défense. Jean Pisani-Ferry a également fait un excellent rapport sur le coût de la transition climatique. L’ordre de grandeur est celui-là : 500 à 800 milliards, entre 3% et 5% du PIB. Or en face de ces besoins, 300 à 400 milliards de l’épargne privée européenne vont s’investir à l’étranger. Comment mieux l’utiliser, mieux la mobiliser ? Par l’Union des marchés de capitaux, on parle désormais d’Union pour l’épargne et l’investissement. Il y a en particulier un aspect très important concernant les fonds propres en Europe : les entreprises européennes ne manquent pas de crédit mais de fonds propres. Chiffre peu connu : les fonds propres des entreprises françaises représentent 90% du PIB, les fonds propres des entreprises américaines 200% du PIB, plus du double. Or quand on est financé en fonds propres, on est davantage prêt à prendre des risques et innover.
Enfin la vitesse, c’est-à-dire la capacité d’innovation et la simplification. Le rapport Draghi consacre plusieurs pages à la simplification, qui correspond à une forte attente micro-économique, des entreprises, et des électeurs.
Pour arriver à cela, il nous faut, Européens, « compter un peu plus sur nos propres forces ». Ces forces existent, notamment un marché aussi grand que les États-Unis et l’épargne des Européens.
Cela veut dire aussi remettre en ordre nos propres maisons : nous avons un sérieux problème de finances publiques en France. Les intérêts de notre dette publique vont bientôt dépasser le budget de l’éducation. Nous dépensons trop du fait du passé et pas assez pour l’avenir.
Il faut soigner enfin notre psychologie. J’émets deux vœux : cessons de succomber à l’auto-flagellation et à la perte de confiance en nous-mêmes, sans plonger dans la complaisance - il faudrait être en quelque sorte un peu plus « Américains », plus positifs sur nos atouts. Et sortons de la zizanie et de la division. Nous devons dépasser le syndrome d’« Asterix et la zizanie » et au contraire retrouver l’unité olympique qui nous a permis il y a trois mois d’étonner le monde.
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Mise à jour le 13 Novembre 2024