Interview

Le Figaro : « L’inflation est une maladie économique et sociale »

Intervenant

François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

2 Mai 2023
François Villeroy de Galhau intervention

Interview de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France.

LE FIGARO. - Faut-il s’inquiéter de la persistance de l’inflation ?

François VILLEROY DE GALHAU. – L’inflation, c’est une maladie économique et sociale ; il faut bien en identifier les symptômes pour en trouver les bons traitements. Quand elle est réapparue en Europe à l’automne 2021, elle était d’abord due à des chocs d’offre importés sur le coût de l’énergie et des produits agricoles. Notre Lettre explique comment ces phénomènes se réduisent : c’est déjà le cas pour l’énergie et ce devrait l’être au deuxième semestre pour l’alimentation car les prix agricoles mondiaux commencent à baisser. Mais ces chocs se sont entre-temps diffusés à l’ensemble de l’économie et l’inflation a donc changé de nature :  elle risque d’être plus persistante sur le reste de la consommation, les 70% de composants moins volatils (services et produits manufacturés), ce qu’on appelle l’inflation sous-jacente. C’est là précisément que la politique monétaire peut et doit agir, avec un délai de transmission d’un à deux ans : c’est pourquoi nous nous engageons à ramener l’inflation vers 2% d’ici fin 2024 à 2025.  Elle deviendrait en effet une maladie grave si elle s’installait, avec des maux prolongés sur le pouvoir d’achat et l’emploi. 

Voit-on un rattrapage salarial susceptible de déclencher une spirale inflationniste ?

Les négociations salariales en France sont heureusement décentralisées, à part le smic qui est indexé sur l’inflation. Mais la tendance moyenne a été de près de 4% d’augmentation sur 2022 et pourrait atteindre 6% cette année. En 2022, les salaires ont augmenté un peu moins que l’inflation et en 2023, ce devrait être l’inverse. S’il y a logiquement une « boucle » où les prix influent sur les salaires et réciproquement, on n’est pas face à une spirale, c’est-à-dire un emballement où il y aurait toujours plus d’augmentations tant de prix que de salaires. Les anticipations d’inflation des ménages, comme des entreprises, restent assez proches de notre cible de 2%. Cela montre une certaine confiance de leur part dans l’action de la banque centrale.

Avez-vous constaté des abus sur les marges des entreprises ?

Les situations sont différentes entre les pays. En Allemagne et en Espagne, les marges semblent avoir augmenté significativement en 2022 et contribué à l’inflation. Ce n’est pas le cas en France où, au contraire, les marges ont diminué: il n’y a pas globalement de spirale prix-marges. Pour autant, dans certains secteurs comme l’énergie, le transport maritime, voire divers services ou l’industrie agroalimentaire, et pour certaines grandes entreprises, il est souhaitable qu’une vigilance et une concurrence accrues aident à modérer les prix.

Cette persistance de l’inflation nécessite-t-elle une nouvelle hausse de taux significative de la BCE en mai ?

 Nous avons mené depuis juillet 2022 une hausse accélérée de notre principal taux directeur, passé de -0,50% à 3%. L’essentiel des effets à venir pour l’économie tient à ce qui est ainsi déjà « dans le tuyau » : nous avons donc fait la majeure partie du chemin. Il peut y avoir besoin de quelques hausses supplémentaires; mais elles doivent à mon sens être limitées tant dans leur nombre que désormais dans leur taille. Être plus modéré sur les niveaux ne veut cependant pas dire être moins déterminé dans la durée : nous maintiendrons aussi longtemps que nécessaire ces taux justes pour vaincre l’inflation.

Approuvez-vous l’exigence de certains pays comme l’Allemagne d’imposer des objectifs chiffrés de désendettement aux États dans le cadre de la réforme des règles budgétaires de la zone euro ?

Le Pacte de stabilité relève de négociations entre gouvernements. Il est indispensable d’avoir des règles : l’euro ne peut s’accommoder de politiques budgétaires trop divergentes. Mais si nous devons nous désendetter, nous Français, c’est surtout dans notre intérêt à nous, et pas d’abord pour répondre à telle ou telle norme « bruxelloise ». S’y jouent nos marges de manœuvres futures : dès les prochaines années, la charge d’intérêts supplémentaires sur la dette, c’est autant de moins pour les services publics. À plus long terme, la dette est une charge, transférée aux générations qui viennent : elle n’est légitime que si elle finance pour celles-ci des dépenses d’avenir comme la transition climatique ou l’éducation. 

Les gouvernements doivent-ils s’engager dans la consolidation budgétaire, voire l’austérité ?

Je ne crois pas à l’austérité, qui impliquerait le recul général des dépenses et des services publics. Je crois à l’efficacité: nous devons viser enfin, en volume après inflation, une stabilisation globale de nos dépenses publiques, y compris dépenses locales et sociales. La transformation et le management publics, c’est possible, comme le montrent les exemples de l’administration fiscale ou modestement de la Banque de France. Et nous ne sommes pas enfermés dans un dilemme entre le désendettement d’un côté et notre modèle de société de l’autre: beaucoup de nos voisins européens proches y sont arrivés.

Le programme de stabilité indique que la charge de la dette française augmenterait de 10 milliards en 2027. Une telle hausse n’exige-t-elle pas une réponse plus drastique ?

Cette augmentation n’a rien d’une surprise. L’exception était les taux d’intérêt extrêmement faibles il y a quelques années: j’avais alors dit clairement que cela ne durerait pas. Nous devons donc absolument sortir du quoi qu’il en coûte.  Les mesures budgétaires prises pour lutter contre l’envolée des coûts de l’énergie ont pu avoir un effet d’amortisseur, mais elles ne sont pas le traitement durable de la maladie de l’inflation.

La réforme des retraites valait-elle la crise politique et sociale qu’elle a créée?

La Banque de France est indépendante, et n’a pas à prendre position sur ce sujet politique. Mais après cette réforme difficile, notre Lettre dit un motif d’espoir : il y a heureusement pour notre pays bien d’autres projets économiques positifs et nécessaires. Et beaucoup de progrès passent maintenant par des mises en œuvre efficaces plutôt que par de nouvelles lois.

Votre lettre évoque la nécessité d’augmenter les capacités de production du pays. Pouvez-vous en préciser les moyens?

Depuis trois ans notre pays gère des crises et des urgences ; il est essentiel de retrouver un cap de long terme. L’augmentation de notre offre productive générerait un double bénéfice : augmenter notre croissance et donc notre pouvoir d’achat, mais aussi mieux maîtriser l’inflation en ayant davantage de biens et services disponibles. Il y a pour cela quatre leviers du succès. Les deux premiers, la transformation énergétique et écologique comme la transformation numérique, s’appliquent à toute l’Europe. En France plus spécifiquement, nous devons réussir une transformation publique – j’en ai parlé – et une transformation du travail. Malgré des progrès significatifs, notre pays souffre encore d’un paradoxe : à la fois un chômage trop élevé, et des difficultés de recrutement fortes. Je ne crois pas que les Français, ou les jeunes, « ne veulent plus travailler » : ils n’ont jamais été aussi nombreux à le faire. Mais les sujets de compétences, de place des seniors, de télétravail, de sens du travail doivent être au cœur d’un dialogue social rénové.