Interview

RMC : « La croissance dans l’indépendance passe par le rééquilibrage de nos comptes publics »

Intervenant

François Villeroy de Galhau – Interventions

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Mise en ligne le 10 Juillet 2025

François Villeroy de Galhau – Interventions

Interview du Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Gahau, sur RMC jeudi 10 juillet 2025.

« La croissance dans l’indépendance passe par le rééquilibrage des comptes publics »

« La croissance dans l’indépendance passe par le rééquilibrage des comptes publics »

Apolline de Malherbe

Mardi, 16 h, François Bayrou présentera le budget de la France, dépenses-recettes, avec toujours un objectif : trouver des milliards d’euros d’économies, on parlait de quarante milliards, ce matin, on parlait même de 45 milliards d’euros d’économies. Bonjour François Villeroy de Galhau.

François Villeroy de Galhau

Bonjour Apolline de Malherbe.

Apolline de Malherbe

Merci d’être dans ce studio, avec nous, ce matin, vous êtes le gouverneur de la Banque de France, c’est vous qui définissez la stratégie financière de la France. Je suis un peu déçue, parce que ce matin, vous êtes venu sans votre casquette. La semaine dernière, face à un grand parterre de patrons d’économistes, vous avez sorti une casquette à l’américaine, avec marqué dessus « Make Europe Great Again », faire de l’Europe à nouveau un endroit formidable. On voit l’image, d’ailleurs, pour ceux qui nous écoutent et qui nous regardent sur RMC Story. Pourquoi cette casquette, d’abord ?

François Villeroy de Galhau

J’avais emprunté la casquette à un ami, je crois qu’elle veut dire une chose : c’est que bien sûr, la politique de l’Administration Trump perturbe l’économie mondiale et il va falloir que l’Europe trouve un accord commercial avec les États-Unis, mais qu’il y a beaucoup de choses qui dépendent de nous, Européens, qui dépendent de nous, Français, pour notre croissance économique et c’est cela dont on va parler ce matin. Donc, mobilisons-nous sur notre côté de l’Atlantique.

Apolline de Malherbe

Les 40 milliards, peut-être même 45 milliards, selon nos confrères du journal L’Opinion, c’est absolument nécessaire de les faire, ces économies ?

François Villeroy de Galhau

Peut-être dire d’abord un mot de la photo de l’économie française aujourd’hui. Nous avons une mer internationale qui reste très agitée, on le disait à l'instant. Dans cette mer internationale, je dirais que l'économie française se maintient plutôt. Nous publions ce matin notre enquête mensuelle de conjoncture. L'économie se maintient, mais il ne faut pas que nos comptes publics s'enfoncent dans cette mer agitée. Ce qui se passe du côté de l'économie va peut-être un peu nous aider. Nous voyons une croissance ralentie, mais qui reste positive.

Apolline de Malherbe

Vous maintenez les 0,6 % de perspectives de croissance ?

François Villeroy de Galhau

Nous maintenons les 0,6 % de perspectives de croissance. Ce n'est pas assez dans la durée, il faudra prendre des mesures pour muscler la croissance française et européenne. Mais quand on regarde le mois de juin, il est sensiblement meilleur que le mois de mai qui avait été très affecté par les ponts. Ce qui est intéressant, c'est que cela vaut à peu près pour l'ensemble des secteurs avec une force particulière pour l'industrie aéronautique et les industries liées à la défense.

Apolline de Malherbe

Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le commerce, le BTP, l’hôtellerie ?

François Villeroy de Galhau

En particulier pour le bâtiment qui est un secteur très sensible et qui avait beaucoup souffert jusqu'à l'été dernier. Depuis l'automne 2024, nous voyons une stabilisation du bâtiment. Je viens ce matin avec un chiffre de la Banque de France : les crédits immobiliers au mois de mai, sont à 11,5 milliards d’euros. Cela confirme la reprise parce que c'est plus de 40% par rapport à l'année précédente, par rapport à il y a un an.

Apolline de Malherbe

De crédits accordés ?

François Villeroy de Galhau

De crédits nouveaux, parce que comme les taux sont redevenus bas, autour de 3,1% en moyenne, les Français sont intelligents et viennent emprunter.

Apolline de Malherbe

Est-ce que les taux vont continuer à baisser ?

François Villeroy de Galhau

C’est peut-être plutôt la zone de stabilisation, parce qu'à 3,1 % on est nettement en dessous de ce qu'était la moyenne de longue durée, qui est autour de 3,5 %.

Apolline de Malherbe

Dans ce contexte-là, François Villeroy de Galhau, le budget de la France, c'est un moment crucial ?

François Villeroy de Galhau

C'est un moment extrêmement important parce qu'il y a une alerte : il faut arrêter cet enfoncement continu de nos comptes publics. Avoir de plus en plus de dettes, c'est avoir de moins en moins de libertés. Nos prêteurs internationaux sont extrêmement vigilants et la France risque par exemple de voir encore son petit avantage de taux d'intérêt par rapport à l'Italie se réduire si nous n'agissons pas.

Apolline de Malherbe

On est en train d'être dépassé par l'Italie.

François Villeroy de Galhau

L'écart s'est réduit, il reste d'environ 0,2 % sur les taux à 10 ans, mais il est très important d'agir pour garder la place de la France...

Apolline de Malherbe

Mais pourquoi ? Est-ce que ça veut dire que l'Italie a fait le boulot qu'on n'a pas fait ?

François Villeroy de Galhau

L'Italie va vers le rééquilibrage de ses comptes publics effectivement plus vite que nous. Et donc si nous voulons la croissance dans l'indépendance, au fond c'est ce à quoi nous aspirons, cette croissance dans l'indépendance, elle passe par le rééquilibrage de nos comptes publics.

Apolline de Malherbe

Il y a en gros deux leviers, les dépenses et les recettes. On parle d'abord d'un chiffre, je le disais, quarante milliards, peut-être même 45 milliards d'euros d'économies. Est-ce que ce chiffre vous paraît solide ? Est-ce qu'avec cette économie-là, si elle est véritablement faite, ça va dans le bon sens  ?

François Villeroy de Galhau

Oui, mais je vais le formuler un peu autrement. Vous parliez des dépenses et des recettes, je vais parler de la différence entre les deux qui est le déficit. Et là, le cap doit être clair. Au-delà du jeu des intérêts politiques personnels, il y a deux impératifs d'intérêt national, vraiment d'intérêt national. Le premier, c'est de ramener ce déficit, qui est aujourd'hui de plus de 5% du PIB, rapporté à la taille de notre économie, à moins de 3% d'ici 2029.

Apolline de Malherbe

Ça doit rester le cap.

François Villeroy de Galhau

Cela doit absolument rester le cap. Là, je parle vraiment d'intérêt national, parce que c'est à partir de ce moment-là que nous stabilisons le poids de la dette relativement au poids de notre économie. Et puis par rapport à ce cap de 2029 de 3%, il faut une étape significative de réduction du déficit l'an prochain, passer nettement sous 5%, le plus proche possible de 4,5%.

Apolline de Malherbe

Comment est-ce qu'on y arrive ?

François Villeroy de Galhau

Ce n'est pas facile, mais je crois que c'est possible. Pour le dire un peu différemment de ces quarante milliards, qui sont mesurés par rapport à une trajectoire hypothétique si on ne faisait rien, je vais simplement comparer par rapport aux dépenses de cette année. Il ne faut pas que le total des dépenses publiques, y compris les dépenses sociales et les dépenses locales, augmente plus que l'inflation l'an prochain. Et on attend l'inflation à un peu plus de 1%. Il faut ensuite regarder selon la nature des dépenses, parce qu'il y a certaines dépenses qui vont augmenter plus que l'inflation. C'est malheureusement les intérêts de la dette, puisque notre dette nous coûte de plus en plus cher, la défense, la santé, etc. Donc, il faut que d'autres dépenses augmentent nettement moins que l'inflation.

Apolline de Malherbe

Il y a une piste qui commence à être évoquée, qui est la question de cette année blanche, c'est-à-dire geler tous les barèmes de l'État. Est-ce que ça vous paraît être une option solide ?

François Villeroy de Galhau

Ce n'est pas à la Banque de France d'en décider, mais je crois que comme il y a moins d'inflation, c'est moins difficile. Et ce peut être une idée utile pour, vous le disiez, certaines dotations des ministères, certaines dotations aux collectivités, peut-être certaines dépenses sociales. Mais cela ne suffit pas. Il faudra aussi des économies précises, documentées. La Cour des comptes a fait beaucoup de travail là-dessus. Je vais citer deux exemples : des dépenses d'apprentissage qui sont aujourd'hui très coûteuses pour des étudiants des grandes écoles ou regardons du côté des dépenses de santé, pourquoi certains de nos voisins européens ont l'air d'avoir des dépenses plus efficaces.

Apolline de Malherbe

Donc là-dessus, on peut faire des économies. Mais je reviens sur cette question d'année blanche. Effectivement, si l'inflation n'est que de 1 %, ça veut dire que le décrochage par rapport à l'inflation serait moins douloureux. Mais enfin, tout de même, ça veut dire un gel des budgets, certes, mais aussi des pensions, gel des salaires des fonctionnaires, gel des prestations sociales. Tout cela, vous estimez que c'est nécessaire ?

François Villeroy de Galhau

Le périmètre, on peut en discuter et ce n'est pas la Banque de France qui en décide, c'est le Gouvernement et le Parlement. Mais globalement, le message important, c’est qu’il ne faut pas que l'ensemble de nos dépenses publiques augmente plus vite que l'inflation. Sinon, nos comptes publics vont continuer à s'enfoncer. Et nous allons être de plus en plus liés, dépendants, prisonniers de notre dette.

Apolline de Malherbe

François Villeroy de Galhau, vous aviez évoqué la question de la contribution des plus riches. La présidente de l'Assemblée nationale a dit la semaine dernière qu'il faudrait, à un moment ou à un autre, passer par la case augmentation d'impôts. Est-ce que, dans le contexte actuel, vous estimez qu'on peut augmenter encore un peu les impôts ?

François Villeroy de Galhau

Je suis extrêmement sensible à la justice sociale, et nos concitoyens le sont légitimement. Sur tout l'effort dont on parlait sur les dépenses à l'instant, je crois que ce doit être un critère de regarder d'abord certaines dépenses qui, peut-être, profitent davantage aux plus favorisés ou dont les plus favorisés n'ont pas vraiment besoin. Sur les impôts, il faut redire d'abord que le cœur du problème français dans la durée, c'est les dépenses. Pourquoi avons-nous tout ce problème de dépenses publiques ? Parce que nous dépensons beaucoup plus que nos voisins européens, qui pourtant ont à peu près le même modèle social que nous. Donc il faut d'abord traiter ce sujet de dépenses. Sur les impôts, il y a eu des mesures exceptionnelles qui ont été décidées pour cette année, dont la surtaxe d'impôts sur les sociétés. Elle devrait être retirée, c'est ce qui a été annoncé.

Apolline de Malherbe

Est-ce que c'était censé être exceptionnel ?

François Villeroy de Galhau

Il ne faut pas exclure certains ajustements sur les fameuses niches fiscales et sociales pour compenser ce retrait.

Apolline de Malherbe

Pour compenser ce retrait, un mot d'une question posée par un auditeur tout à l'heure, qui est patron d'une entreprise de nettoyage à Tours, qui a une cinquantaine de salariés. Et il disait : « J'ai demandé à mon comptable, pour que mon salarié, si je voulais l'augmenter de 500 euros nets, que lui touche vraiment 500 euros dans sa poche, combien est-ce qu'il faudrait que je paye à l'URSSAF ? Il dit pour 500 euros dans la poche du salarié, c'est 900 euros que je dois donner à l'URSSAF ». Est-ce que le pays peut fonctionner comme ça ?

François Villeroy de Galhau

Cela, c'est le problème de notre niveau de dépense. Nous avons des charges sociales aussi élevées, parce que nous avons en face des dépenses sociales très importantes. C'est vrai aussi des dépenses locales, ou de certaines dépenses de l'État. Donc, c'est là il faut faire la comparaison. Vous savez, je me méfie beaucoup de l'idéologie, des batailles politiques sur ce sujet. Regardons de façon très pratique, politique par politique, politique sociale par politique sociale, ce qui marche le mieux chez nos voisins. Je citais l'exemple de la santé, on pourrait parler de la retraite, de l'assurance-chômage, etc. Je crois qu'il faut viser d'être le plus efficace possible. Ce n'est pas pour viser l'austérité, c'est pour que chacun en ait pour son argent.

Apolline de Malherbe

Plus efficace ? Les politiques, vous les trouvez à la hauteur, là, en ce moment ?

François Villeroy de Galhau

La Banque de France est indépendante de tous les politiques, donc je n'ai pas à commenter leur comportement. Mais je me souviens, Apolline de Malherbe, quand j'étais venu une fois à votre micro, avoir dit qu'il fallait plutôt qu'on vise l'union et ce que j'appelle l'intérêt national, plutôt que le syndrome d'Astérix. Vous vous souvenez, Astérix et la zizanie, c'était déjà dans les années 70. On passe son temps à se disputer et pendant ce temps-là, on n'avance pas. Et ce sont les autres pays qui avancent. C'est le moment de dépasser la zizanie française.

Apolline de Malherbe

C'est le moment de dépasser la zizanie. Merci François Villeroy de Galhau d'être venu sur RMC ce matin. 

Mise à jour le 10 Juillet 2025