Interview

Ouest-France : « Il est nécessaire de tenir cette année notre objectif de réduction du déficit à 4,4 % »

Les intervenants

François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

8 Février 2024
François Villeroy de Galhau intervention

Retrouvez ci-dessous l'interview donnée par François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, à Ouest-France.

Chaque mois, la Banque de France interroge 8 500 chefs d’entreprise partout en France afin de dresser un état de lieu du paysage économique de l’Hexagone. Quelles sont les remontées pour début février ?
Au sein d’un ralentissement général, les situations sont relativement différentes selon les secteurs : globalement les services résistent mieux que l’industrie. Sur le bâtiment, il y a un freinage sensible sur le gros œuvre ; le secteur de la rénovation résiste. Au total, nous prévoyons une croissance légèrement positive, de 0,1 à 0,2 % ce trimestre, et proche de 0,9 % sur l’ensemble de l’année.

Comment se situe la trésorerie des entreprises ?
Le sentiment des entreprises sur leur trésorerie est assez dégradé depuis plusieurs mois, mais cela ne se traduit pas forcément dans leurs variables financières : globalement les marges des entreprises résistent encore plutôt bien. On ne voit pas à ce stade de remontée très significative des incidents bancaires.

En 2024, faut-il craindre une récession ?
Non, sauf choc. Il y a une conjoncture ralentie, mais nous allons échapper au scénario noir que certains redoutaient. La baisse de l’inflation va générer plus de pouvoir d’achat pour les ménages donc plus de consommation. Dès à présent, les prix augmentent moins vite que les salaires, en moyenne.

L’inflation recule. Le plus difficile est-il passé ?
L’inflation reste la première préoccupation des Français. À la suite de l’invasion russe de l’Ukraine, elle avait atteint jusqu’à 7 %. L’inflation est aujourd’hui heureusement redescendue autour de 3 %, mais c’est encore trop. Je redis fermement notre détermination et notre confiance à la ramener à 2 % en France et en Europe d’ici l’an prochain, au plus tard. 

Le « dernier kilomètre » pour atteindre ces 2 % sera-t-il le plus difficile ?
Je ne crois pas, car désormais la désinflation ne porte plus seulement sur l’énergie et les matières premières, mais aussi sur tout le reste de notre consommation : les biens et les services. Sur les services, le mouvement est juste un peu plus lent. Avec la Banque centrale européenne, nous avons à la fois la confiance et la patience nécessaires. Nous avons remonté les taux depuis 2022 et cela a été efficace contre l’inflation. Nous devrions donc les baisser cette année.

Quand ?
Nous baisserons les taux quand les perspectives d’inflation seront suffisamment ancrées autour de 2 %. La politique monétaire n’est pas un robot qui suit un calendrier préfixé ou une règle automatique. Nous portons un jugement, basé sur un bouquet de données dont aussi l’évolution de l’activité économique.

Les manifestations agricoles ont-elles eu un impact négatif sur notre économie ?
Cela a pu freiner certains secteurs : transport, agroalimentaire… Mais nous ne pensons pas que cette crise aura un impact significatif sur la croissance du premier trimestre et donc de l’année.

2024 sera aussi l’année d’une manifestation d’envergure internationale avec les Jeux olympiques. Faut-il s’attendre à un impact positif sur l’économie ?
C’est un événement favorable pour l’économie, car il y aura beaucoup de visiteurs, et le monde entier va regarder la France ! Mais cela ne change pas spectaculairement notre prévision de croissance. Le mouvement le plus positif pour2024, c’est la désinflation (baisse de l’inflation, NDLR).

Les entreprises investissent-elles ?
Certaines semblent plus prudentes sur leurs investissements. Au sein de l’industrie, le secteur des biens d’équipement souffre un peu plus. Au fur et à mesure que viendra la baisse de taux d’intérêt et que la demande se raffermira, le contexte sera probablement plus favorable pour investir. Pour l’heure, l’investissement reste un point d’interrogation.

À quelle évolution des taux d’intérêt immobiliers faut-il s’attendre ?
Les taux de la Banque Centrale Européenne (BCE) sont stabilisés depuis septembre dernier. Ceux du livret A le sont depuis début 2023 et les taux longs sur les marchés financiers ont baissé. Donc
les taux immobiliers devraient se stabiliser puis baisser au cours de l’année 2024. Il y a d’autres éléments pour que la production de crédits immobiliers reparte progressivement cette année. Les emprunteurs, souvent attentistes depuis 2022, peuvent être encouragés par la baisse observée des prix de l’immobilier.

Si les taux se stabilisent ou viennent à diminuer, les prix de l’immobilier risquent-ils de ne pas poursuivre leur fléchissement ?
Les taux d’intérêt ne retrouveront pas le niveau exceptionnellement bas de 2021, qui avait entraîné une montée forte des prix de l’immobilier. Le plus probable est qu’on aille vers des
taux comme des prix plus raisonnables. 

Les banques recommencent-elles à prêter ?
J’observe qu’elles ont commencé à tenir un discours fort sur leur volonté de prêter. Maintenant, il faut que cela se traduise dans les chiffres. L’un des signes positifs, c’est aussi la mise en place d’une procédure de réexamen pour les ménages ayant une demande solvable mais ayant subi un refus de prêt.

Si le dossier a été refusé une première fois, pourquoi demander aux banques qu’elles le réexaminent ?
Il faut casser l’idée trop répandue que les banques ne veulent plus prêter : elle est perdante pour tout le monde.

Les règles du Haut Conseil de Stabilité financière (HCSF) ces derniers mois n’ont cessé d’être réajustées avec parfois des dérogations aux dérogations. Un peu plus de lisibilité ne serait-elle pas bienvenue ?
Les règles de bon sens émises par le HCSF ont été ajustées à la demande de certains ; elles sont désormais stabilisées… et tout à fait lisibles par les banques.

Une proposition de loi déposée par des députés de la majorité mais aussi LR souhaite ouvrir le HCSF à des députés et des sénateurs. Est-ce une bonne idée ?
Il ne faut en tout cas pas modifier son rôle. Le HCSF, qui a été mis en place par le Parlement dans la loi de 2013,fonctionne bien. Il limite pour notre pays les risques de crise financière, et pour les Français les risques de surendettement. Il n’est pas en cause aujourd’hui dans la situation du logement en France : il y a bien d’autres sujets plus importants que le financement. Ce que le Premier ministre a annoncé la semaine dernière pour déverrouiller l’offre de logements me paraît aller dans la bonne direction.

En 2024, donner des signes de confiance dans l’économie française aux chefs d’entreprise ou aux ménages semble important…
Ces derniers temps, la confiance en l’avenir a été doublement érodée : par l’inflation, et par les incertitudes géopolitiques. Nous sommes en voie de régler au moins le premier problème.

Comment se situe actuellement le niveau d’épargne des Français ?
L’épargne des ménages reste relativement haute, plus qu’avant le Covid. Elle est plus élevée en Europe qu’aux États-Unis, et plus en France que dans le sud de l’Europe. C’est un atout pour financer nos besoins d’investissement, dont la transition écologique. Mais si l’épargne remontait davantage du fait des incertitudes, ceci pèserait sur la consommation et la croissance.

Le poids de la dette publique est aussi un motif d’inquiétude pour les ménages. Qu’en pensez-vous ?
C’est effectivement une source d’inquiétude. J’insiste déjà sur la nécessité de tenir cette année notre objectif de réduction du déficit à 4,4 % : cela resterait un des plus lourds d’Europe ! À plus long terme, pour avoir moins de dettes, inspirons-nous de beaucoup de nos voisins européens : ils ont le même modèle social que nous, mais il leur coûte moins cher.

Quels sont les autres leviers de la Banque de France pour soutenir la confiance des ménages et des entreprises dans notre économie ?
Il faut voir plus loin pour voir juste. À mesure que nous sortons de l’urgence inflationniste, nous donner un cap de moyen terme pour réussir les trois grandes transformations économiques qui sont devant nous : la transition énergétique et écologique, la transition numérique, la transformation du travail.
Par exemple sur le chômage, la France a fait d’énormes progrès : 7 %, c’est le taux de chômage le plus bas depuis des décennies. Mais c’est encore trop : en poursuivant les réformes engagées, nous avons une chance historique d’atteindre le plein-emploi dans la décennie. 
Beaucoup de ces défis sont communs à tous les pays européens. L’échelle européenne est donc indispensable pour trouver les meilleures solutions. Nous sortons de la crise inflationniste, c’est le moment de jouer nos atouts. Et la France avec l’Europe en a plus qu’elle ne croit.