Interview

France Inter : « Déficits : il y a un risque aujourd’hui qu’il n’y ait pas assez d’économies durables de dépenses au regard du bon dosage de l’effort »

Intervenant

François Villeroy de Galhau – Interventions

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Mise en ligne le 21 Octobre 2024

François Villeroy de Galhau intervention

L’intervention de François Villeroy de Galhau dans l’émission « On n’arrête pas l’éco » sur France Inter samedi 19 octobre 2024. 

France Inter : « Déficits: il y a un risque aujourd’hui qu’ il n’y ait pas assez d’économies durables de dépenses au regard du bon dosage de l’effort »

L’intervention de François Villeroy de Galhau dans l’émission « On n’arrête pas l’éco » sur France Inter samedi 19 octobre 2024.

Alexandra BENSAÏD
Le gouverneur de la Banque de France est l'invité du « Mag Eco ».C 'est la bonne nouvelle de la semaine : la désinflation est en bonne voie, dit la Banque centrale européenne. Vous y siégez, vous êtes au Conseil des gouverneurs. La BCE vient de baisser ses taux directeurs pour la troisième fois depuis juin. Alors dites-nous, est-ce qu'en effet l'inflation est presque vaincue et est-ce qu'elle va même être vaincue plus tôt que prévu ?
 
François VILLEROY de GALHAU
La victoire contre l'inflation est en vue et effectivement, c'est une bonne nouvelle. Nous sommes descendus à 1,7 % d'inflation moyenne en Europe. C'est même moins en France, à 1,4%. Il y aura peut-être des remontées temporaires dans les mois qui viennent, mais c'est un effet technique. Sauf gros choc extérieur, nous serons à 2 % d'inflation l'an prochain, sans doute plutôt vers le début de l'an prochain. Cela veut dire du pouvoir d'achat, et aussi que nous pouvons poursuivre cette baisse des taux, ce qui est une autre bonne nouvelle. Prenons l'exemple du crédit immobilier : les taux sur le crédit immobilier ont baissé et les volumes de crédits immobiliers repartent à la hausse ces derniers mois.
 
Alexandra BENSAÏD
Quand vous dites qu’en France, on est à 1,4 % d'inflation, la cible de la BCE, vous dites souvent que la bonne température, c'est 2 % d'inflation, ça veut peut-être dire que vous avez tapé un peu fort à la BCE, si on est plus bas que les 2 % ?
 
François VILLEROY de GALHAU
Non, je crois que nous sommes dans le bon rythme. Prenons la comparaison avec les Etats-Unis ou l'Angleterre : aujourd'hui, les taux aux Etats-Unis ou en Angleterre sont à 5% alors que la BCE est à 3,25%. Vous voyez que nous avons eu des résultats aussi bons contre l'inflation, mais en montant moins les taux d'intérêt. Pourquoi faut-il rester attentif ? Il y aura peut-être des remontées temporaires, et l'inflation hors énergie et alimentation reste un peu supérieure à 2 %. Je suis donc tout à fait confiant sur le fait que nous revenons à la cible, mais attentif sur le rythme. Il y aura probablement d'autres baisses de taux, mais nous les déciderons en fonction des données. J'appelle à un pragmatisme agile : agile parce que je crois qu'il faut bouger et baisser les taux quand on peut ; pragmatisme, parce qu'il faut regarder les données et ne pas lâcher la proie pour l'ombre.
 
Alexandra BENSAÏD
Ça veut dire qu'à chaque réunion, la prochaine est en décembre, selon les données, si elles sont bonnes, vous direz : on continue à baisser les taux !
 
François VILLEROY de GALHAU
Ce doit être cela …mais je ne ferai pas de commentaire sur les prochaines réunions. 
 
Alexandra BENSAÏD
Alors néanmoins François VILLEROY de GALHAU, la remontée des taux, ça a pour effet de refroidir l'économie, c'est l'effet secondaire, l'économie atone, la croissance faible, les Français qui épargnent plutôt que de dépenser, ils ont perdu confiance, ils se disent que le loyer de l'argent sera plus cher. Est-ce que vous êtes inquiet de cette situation ?
 
François VILLEROY de GALHAU
Je réagis quand vous dites que les Français ont perdu confiance, ils épargnent plus . C'est vrai que nous voyons une remontée des taux d'épargne, mais ce n'est pas du tout à cause de la politique monétaire. Au contraire, quand la Banque de France, la Banque centrale européenne contribuent à vaincre l'inflation, cela remet de la confiance. La grande crainte que nous avions il y a deux ans était que cette vague d'inflation dure. On craignait aussi une récession de l'économie. Nous ne l'avons pas eue: nous voyons au contraire un atterrissage en douceur. La croissance cette année devrait être de 1,1 %. Nous pourrons parler de la prévision pour l'année prochaine, sans doute pas très différente de ce chiffre. L'élément numéro un qui pèse sur la confiance des Français, et le problème numéro un de l'économie française aujourd'hui, c'est la dérive de nos déficits et de notre dette. C'est cela dont il faut reprendre le contrôle.
 
Alexandra BENSAÏD
On en arrive au budget évidemment. Tout d'abord, vous dites que sans doute, l'année prochaine, on sera encore vers 1,1 %.
 
François VILLEROY de GALHAU
Il y a un débat à ce sujet. Notre prévision Banque de France publiée en septembre était une croissance de 1,2%, qui intégrait une partie seulement du redressement budgétaire. La prévision du gouvernement est de 1,1% et la prévision de l’OFCE, un institut qui vient de sortir ses chiffres cette semaine, c'est 0,8%. Je relève que les écarts sont plutôt moins importants que d'habitude concernant l'année à venir. Nous actualiserons notre prévision au mois de décembre. Il n'y a pas que l'effet du redressement budgétaire, il y a beaucoup d'incertitudes dans l'environnement international - l'élection américaine, ce qui se passe au Proche-Orient, le prix du pétrole. Vu d’aujourd'hui, l'analyse de l’OFCE sur le seul effet budgétaire nous paraît un peu pessimiste. Il y a des éléments plus favorables sur les réserves d'épargne disponibles ou sur la baisse des taux, mais il n'y a pas d'écart énorme aujourd'hui sur la prévision 2025.
 
Alexandra BENSAÏD
On en vient au budget. Il arrive ce lundi dans l'hémicycle. Vous aviez recommandé un effort avec trois quarts de baisse de dépenses et un quart de hausses d'impôts. Le gouvernement a décidé de communiquer sur deux tiers de baisses de dépenses et un tiers de hausses d'impôts. Il y a en effet un gros débat sur la réalité de cet effort et à qui il est demandé. Est-ce que pour vous, question globale, la copie est bonne ?
 
François VILLEROY de GALHAU
Je crois qu'en tout cas, le projet de budget du gouvernement va dans la bonne direction: nous avons un déficit de plus de 6 % en 2024, c'est beaucoup trop. Vous parliez tout à l'heure, à votre micro, de l'Italie qui va revenir à 3 % de déficit, probablement en 2026. Pour la France, ce ne sera qu’en 2029 ! Passer par une étape à 5 % de déficit l'an prochain est indispensable. De ce point de vue, le projet du gouvernement va dans la bonne direction. Il reste la question de la façon de bien répartir l'effort entre hausses d'impôts et économies de dépenses. J'avais appelé il y a un mois à lever un tabou sur les hausses d'impôts….
 
Alexandra BENSAÏD
Ça n’a pas l'air facile !
 
François VILLEROY de GALHAU
Attention aujourd'hui, si vous me permettez l'expression, de ne pas passer de l'autre côté du cheval. Il faut le bon dosage, la bonne proportion entre deux remèdes. Il faut une minorité de hausses d'impôts et une majorité d'économies de dépenses. Pourquoi faut-il une majorité d’économies de dépenses ? Parce que c'est le cœur de notre problème français. Si nous avons trop de déficit et trop d'impôts, c’est parce que nous avons beaucoup plus de dépenses que nos voisins européens. Les chiffres sont importants. Nous avons le même modèle social que nos voisins - je crois profondément au modèle social européen – mais il nous coûte à peu près 9 % de PIB de plus que la moyenne européenne. Cela peut paraître abstrait, disons-le en milliards : il y a un écart d'à peu près 260 milliards d'euros de dépenses supplémentaires en France par rapport à la moyenne européenne,. Il faut d’abord travailler sur cela.
 
Alexandra BENSAÏD
Qu'est-ce qui explique principalement cet écart ?
 
François VILLEROY de GALHAU
Il y a à peu près tous les postes : cela vaut pour les dépenses sociales, pour les dépenses locales, pour certaines dépenses de l'État.
 
Alexandra BENSAÏD
Il y a les aides aux entreprises aussi...
 
François VILLEROY de GALHAU
Quand on voit la discussion publique des dernières semaines, il y a un risque qu'il n'y ait pas assez d'économies de dépenses au regard du bon dosage. 
Si on veut le rectifier, j’exprime deux souhaits : le premier, pour le budget 2025, c'est qu'on arrête de jouer au chamboule-tout, si j'ose dire, avec les diverses pistes d'économies publiques qui sont sur la table. Vous l’avez noté comme moi : tout le monde souhaite des économies de dépenses, mais chez les autres, personne ne les accepte chez lui. Quand il y a une piste d'économies de dépenses sur la table, tout le monde dit que ce n'est pas la bonne ! Mais à la fin, cela fera zéro économie …
Le deuxième souhait s’inscrit dans la durée : la France va devoir présenter d'ici la fin du mois d'octobre un programme de stabilité à Bruxelles d'ici 2029. C’est important : il faut aller aux 3 % en 2029. Dans ce programme de stabilité, il faudra qu'il y ait un certain nombre de réformes de fond qui permettent des économies de dépenses. C'est vrai, celles-ci prennent plus de temps, donc il est souhaitable de rééquilibrer le dosage sur les années suivantes. Ce n'est pas à la Banque de France de décider les mesures.
 
Alexandra BENSAÏD
Vous allez loin cependant, vous dites qu’il va falloir quand même dans ce programme des réformes de fond. Réformes de fond : on pense système social... 
 
François VILLEROY de GALHAU
La Banque de France donne son expertise globale. Pour prendre des exemples de réformes possibles aussi en regardant ce qui marche le mieux chez nos voisins européens, la réforme de l'Etat, la simplification des diverses compétences territoriales...
 
Alexandra BENSAÏD
Cela fait 30 ans qu'on en parle !
 
François VILLEROY de GALHAU
Oui, mais il est peut-être temps de le faire ! Nous avons un génie en France de la parole et du débat, très bien, mais nous ne devons pas être plus bêtes que les autres sur l'action. Il y a aussi la meilleure efficacité de nos dépenses sociales….
 
Alexandra BENSAÏD
On a eu tout un débat en commission des finances, à l'Assemblée nationale, où beaucoup plus de hausses d'impôts ont été décidées. Les députés ont complètement détricoté et retricoté le budget, le projet de PLF. Et de l'autre côté, on a par exemple le MEDEF qui s'angoisse et qui dit que si on augmente le coût du travail, on va avoir des centaines de milliers de suppressions de postes. Vous les renvoyez tous dos à dos ?
 
François VILLEROY de GALHAU
Je ne renvoie pas tout le monde dos à dos, je dis simplement qu’il y a un temps pour le débat -  il a lieu en commission des finances, il continuera en Assemblée plénière, puis au Sénat, donc il y aura plusieurs semaines de discussions et c'est très bien. A la fin, regardons la réalité : nous devons diminuer nos déficits. Il faut descendre à 5 % en 2025. La bonne façon d'y arriver, c'est un effort qui soit juste, réparti et bien partagé entre une minorité de hausses d'impôts et une majorité d'économies de dépenses. C'est du pragmatisme, ce n'est pas du tout de l'idéologie ou de la préférence politique. La Banque de France est totalement indépendante. Le pragmatisme consiste à dire que pour le même modèle social que nos voisins – qui est un bon modèle social, le modèle social européen est le meilleur du monde - d’autres y arrivent de façon plus efficace, avec des dépenses publiques mieux ciblées.
 
Alexandra BENSAÏD
Dernière question : il devrait y avoir une commission d'enquête parlementaire sur le dérapage budgétaire. C'est une bonne idée pour vous ?
 
François VILLEROY de GALHAU
C'est une idée légitime du débat démocratique. Je n’ai pas à me prononcer sur ce que décide le Parlement.
 
Alexandra BENSAÏD
Mais si vous avez tout compris au dérapage budgétaire, dites-nous !!
 
François VILLEROY de GALHAU
Non, la Banque de France n'est pas en charge de l'exécution budgétaire. Je comprends tout à fait que l'on se pose des questions sur ce qui s'est passé, parce que ce dérapage de 2023 et surtout le dérapage de 2024 plus important, sont évidemment très mal venus. Cela nuit à notre crédibilité en Europe et aussi à notre crédibilité sur les marchés. Depuis que ce dérapage est connu, l'écart de taux d'intérêt de la France avec l'Allemagne s'est encore accru. Avant le mois de juin, nous étions beaucoup plus proches de l'Allemagne en taux d'intérêt. Nous avions environ 0,50 % d’écart ; aujourd'hui, nous sommes malheureusement beaucoup plus proches de l'Italie, nous sommes à moins de 0,50 % de l'Italie. C 'est cela qu'il faut redresser, par notre crédibilité collective.
 

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Mise à jour le 24 Octobre 2024