Tribune

« Le couple franco-allemand est nécessaire »: l’appel du gouverneur de la Banque de France et du président de la Bundesbank

Intervenant

François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

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Joachim Nagel, Président de la Bundesbank

20 Novembre 2023
François Villeroy de Galhau intervention

Le Figaro : Face à l'inflation et aux fortes tensions géopolitiques, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France et Joachim Nagel, président de la Bundesbank, appellent l’Europe à s’appuyer sur l'amitié franco-allemande. En parlant d’une seule voix, nous aurons plus de poids dans le monde, plaident-ils.

Que signifie l'amitié ? Cela ne signifie pas toujours voir les choses de la même façon, mais plutôt avoir la capacité d'établir un socle commun. La France et l'Allemagne sont des amis efficaces. En œuvrant ensemble, nos deux pays ont contribué à faire progresser l'Europe. Dans cette tribune, nous souhaitons illustrer l'essence et la force de l'amitié franco-allemande à travers deux thèmes qui sont au cœur de notre travail quotidien : l'économie et la monnaie.

Plus de 60 ans se sont écoulés depuis que le président Charles de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer ont signé le traité de l'Élysée. Mais la coopération étroite entre nos deux pays avait commencé bien avant : en 1950, le ministre français des Affaires étrangères Robert Schuman proposait la Communauté du charbon et de l'acier, destinée à unir les industries lourdes françaises et allemandes et à garantir la paix. L'alliance forgée entre nos deux pays a constitué un premier pas sur la voie de l'intégration européenne : la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et l'Italie ont ensuite rejoint la Communauté du charbon et de l'acier. En 1993, l'intégration économique de notre continent a abouti à un marché intérieur commun. Au tournant du millénaire, elle a atteint un stade supplémentaire avec l'union monétaire. Aujourd'hui, l'euro est une monnaie utilisée par plus de 340 millions de personnes dans 20 pays.

À partir de 2009, la crise financière mondiale a évolué vers une crise de la dette souveraine dans la zone euro. Certains États membres très endettés de la zone euro ont été confrontés à la perspective de perdre l'accès aux marchés de capitaux et le danger d'un éclatement a pesé sur la zone euro. À l'inverse, l'Europe est devenue plus solide : les États membres ont instauré un bouclier de sauvetage, créé le Mécanisme européen de stabilité et l'Union bancaire. La résolution de la crise s'est faite grâce aux efforts de beaucoup. Dans le même temps, elle témoigne de la force de l'amitié franco-allemande. Nos pays avaient en effet des opinions différentes. La France était favorable à une plus grande mutualisation de la dette, tandis que l'Allemagne insistait sur la responsabilité individuelle des États membres. Mais dans un dialogue fondé sur la confiance, nos gouvernements ont réussi à trouver des compromis. La France et l'Allemagne sont une nouvelle fois parvenus à un compromis fructueux en 2020 quand, face à la crise du coronavirus, il a été décidé de créer le fonds «Next Generation EU» doté de 750 milliards d'euros et d'investir dans l'avenir de l'Europe.

Nous – les gouverneurs des vingt banques centrales nationales de la zone euro et les membres du directoire de la BCE, aux côtés de Christine Lagarde – faisons preuve de respect et de confiance les uns envers les autres au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE, cette instance au sein de laquelle nous prenons les décisions de politique monétaire. Notre objectif est la stabilité des prix, c'est-à-dire une cible d'inflation de 2 % à moyen terme. Avec un taux d'inflation de 2,9 %, mais qui baisse rapidement au moment de la mise sous presse de cet article, nous n'avons pas encore atteint cette cible. L'inflation touche particulièrement durement les membres les plus faibles de la société et elle rend également plus difficiles les investissements à long terme nécessaires pour assurer la viabilité future de nos économies.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles l'inflation est trop élevée. Notre politique monétaire expansionniste des années précédentes a-t-elle contribué à la hausse des prix ? Entre 2013 et 2020, nous avons vu que l'inflation était trop faible, parfois même négative. Jusqu'à récemment, il nous incombait donc de veiller à ce que les prix augmentent plus fortement. Ce qui importe, c'est qu'aujourd'hui aussi, nos actions s'alignent sur la cible d'inflation de 2 % – et c'est ce que nous faisons : en l'espace de 14 mois, nous avons augmenté les taux d'intérêt de 450 points de base, plus rapidement et plus fortement que jamais. Tous les deux, nous n'avons pas toujours été pleinement d'accord sur toutes les mesures qui ont été prises, mais avec nos collègues au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE, nous avons pu parvenir à une décision. Et l'inflation diminue significativement.

Les défis auxquels sont confrontés l'Europe et l'euro s'intensifient et se complexifient. Outre les missions à long terme liées au changement climatique, au vieillissement de notre population et à la numérisation, nous devons faire face à des crises géopolitiques. Des acteurs représentant différentes parties du globe font entendre leur voix. Dans ce contexte, l'amitié franco-allemande ne perd pas de son importance, bien au contraire. Nous diviser, ce serait nous condamner, et condamner l'Europe. Si, au contraire, nous parlons d'une seule voix, nos mots auront plus de poids. Et si l'Europe parvient à parler d'une seule voix, peut-être en s'appuyant sur le noyau franco-allemand, elle aura un rôle important à jouer dans le monde.
L'intégration économique a conduit à l'unification de l'Europe. Nous avons encore beaucoup de progrès à faire dans ce domaine : une véritable union des marchés des capitaux pour financer la transition verte – pour laquelle nous avions plaidé ensemble il y a un an ; des règles communes et équilibrées en matière de politique budgétaire – la zone euro a besoin d'un cadre de stabilité ; un marché unique numérique, qui combinerait la réglementation, le financement et le développement des talents afin que l'avantage unique que constitue notre taille européenne bénéficie à l'innovation européenne.

Mais la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine nous montre avec brutalité que l'intégration ne garantit pas la paix. Une Europe stable bénéficie grandement d'une coordination étroite entre la France et l'Allemagne au-delà de la politique économique. Il est vrai que nos pays ont parfois des opinions divergentes dans des domaines tels que les affaires étrangères, la sécurité et l'énergie. Nous saluons le compromis obtenu en octobre pour réformer le marché de l'électricité de l'UE. Il s'agit d'un exemple parmi tant d'autres de la capacité constante de la France et de l'Allemagne à trouver un terrain d'entente. Si notre amitié conserve cette qualité, nous pouvons continuer d'aider l'Europe à aller de l'avant. Nous nous consacrons tous deux pleinement à l'atteinte de cet objectif essentiel.