Discours

Quelles évolutions souhaiter pour le cadre de régulation du secteur bancaire européen ?

Intervenant

Denis Beau Intervention

Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France

Mise en ligne le 6 Juin 2025

Denis Beau Intervention

Assemblée générale de l’OCBF
Vendredi 6 juin 2025
Discours de Denis Beau, Premier sous-gouveneur

Monsieur Le Président, Mesdames et Messieurs, 

Je voudrais commencer par vous remercier pour cette invitation à participer à ce déjeuner, à l’occasion des assemblées générales de l’OCBF et d’OCBF Services et Formation. Le contexte géopolitique est malheureusement moins réjouissant, et en particulier le niveau exceptionnellement élevé d’incertitude généré par les politiques affichées et l’imprévisibilité de la nouvelle administration américaine, qui pèse sur notre situation économique et financière. Comme le disait récemment le gouverneur de la Banque de France dans sa lettre annuelle au président de la République, ce contexte ne doit cependant pas nous accabler ; il doit au contraire nous inciter à nous mobiliser, afin de retrouver la maîtrise de notre destin économique. La France et l’Europe ont, en particulier, besoin de plus de croissance et d’innovation. Et le secteur financier peut et doit être l’un des leviers pour répondre à ce besoin. Pour l’y inciter et l’y aider faut-il faire évoluer sa régulation ? Un débat est engagé sur ce sujet et en particulier sur le contenu à donner à cette évolution, dans un contexte où aux États-Unis les intentions à tout le moins affichées sont orientées vers la dérégulation. 
De mon point de vue de superviseur, la bonne réponse à apporter à cette question ne doit pas être la dérégulation. Elle doit plutôt consister à mieux réguler, grâce à des améliorations qui contribuent d’une part à soutenir la croissance et l’innovation mais aussi d’autre part à conforter l’atout qu’est notre système bancaire- et financier plus largement -   dans un monde désormais marqué par la multiplication des chocs et une incertitude élevée.  

I) Parmi les améliorations susceptibles de contribuer à soutenir la croissance et l’innovation je voudrais en souligner trois qui me paraissent particulièrement importantes :
a) La première c’est la simplification de la réglementation et de la supervision. Nous sommes arrivés à la fin d'un cycle avec l’entrée en application en Europe de l’essentiel du paquet bancaire transposant les accords de Bâle III – CRR3 et CRD6. Cet effort de réglementation était absolument nécessaire après la crise de 2007-2008. La question n’est plus désormais celle du niveau des exigences prudentielles - elles sont appropriées et doivent donc être stabilisées - mais celle de la rationalisation d’un cadre réglementaire devenu excessivement complexe, et à la simplification duquel nous devons nous attacher, en nous appuyant sur une vision holistique.

Cet effort de simplification fait l’objet d’une impulsion forte au sein des institutions européennes, que la Banque de France et l’ACPR soutiennent vigoureusement. Il vise à la fois la réglementation, la supervision et le reporting ; le microprudentiel, le macroprudentiel et la résolution. L’un des objectifs est de maintenir un niveau d’exigence sans compromis en matière de gestion des risques, mais de rationaliser les efforts matériels demandés aux entités assujetties et en particulier aux établissements présentant les profils de risque les plus simples. Notre position en la matière reste une simplification des règles et l’application d’un principe de proportionnalité qui passe principalement par l'allégement des exigences déclaratives, et l’introduction de souplesse dans les pratiques de contrôle, sans relâcher les exigences établies par les accords bâlois.

b) Ensuite, nous devons réduire la fragmentation du marché unique financier pour mieux mobiliser nos ressources. De fait, un écart de croissance s’est creusé entre l'Union européenne et les États-Unis. Le Rapport Draghi montre que par habitant, le revenu disponible réel a augmenté presque deux fois plus aux États-Unis que dans l'UE depuis 2000. Il est manifeste aujourd’hui qu’un des grands enjeux pour l’Europe est d’accroître l’investissement productif, notamment dans la R&D.  Pour ce faire, nous disposons en Europe d'une « ressource inconnue », à savoir notre vaste excédent d'épargne privée. Cette ressource est d’autant plus précieuse que les déficits publics sont significatifs – et ne nous permettent pas, en tout cas en France, de nouveau « quoi qu’il en coûte ». Il est donc impératif de se mobiliser pour que l'Union pour l’épargne et l'investissement (UEI) devienne réalité. Pour cela, nous devons nous attaquer aux fragmentations et créer un marché unique du financement pour accroître l'efficience de l'allocation de l'épargne. Près de 40 ans après l’Acte unique (1986) et 25 ans après l’unification monétaire (1999), le marché du financement par les banques, de fait, s’opère toujours largement dans le cadre des frontières nationales. 

La Banque de France et l’ACPR soutiennent ainsi quatre axes de réforme très concrets pour créer un véritable marché unique du financement dans l’UE : i) le développement de fonds de capital-risque véritablement transfrontières, ii) la relance de la titrisation dans un cadre transparent et sécurisé, iii) une supervision européenne unique afin de garantir un cadre juridique commun et d’éviter la fragmentation, iv) un registre unifié européen afin de réduire la fragmentation du post-marché. 

Par ailleurs, l’expérience réussie de l’Union bancaire et du mécanisme de surveillance unique doivent nous inciter à faciliter désormais l’usage de waivers transfrontières, pour que la liquidité et le capital puissent enfin mieux circuler au sein des groupes bancaires en Europe. 

c) Ces adaptations réglementaires sont nécessaires, mais elles ne suffiront pas à elles seules pour réussir les évolutions que nous souhaitons. Il est indispensable de mobiliser l’ensemble des parties prenantes — autorités, acteurs financiers, mais aussi citoyens et épargnants.  

Parmi les défis majeurs figure ainsi celui de l’illettrisme financier, frein réel à l’accès à une épargne productive et à la pleine participation des individus au système financier. L’illettrisme financier peut engendrer une méfiance envers les marchés, un recours excessif aux placements peu performants, et freiner ainsi la mobilisation de l’épargne au service de la croissance. Mieux éduquer financièrement les citoyens est donc un enjeu crucial : il s’agit de développer des programmes accessibles et concrets, qui renforcent la confiance et encouragent une meilleure gestion individuelle des ressources. C’est tout l’objectif de la stratégie nationale EDUCFI, portée par la Banque de France depuis 2016. 

Parallèlement, il faut responsabiliser davantage les épargnants et les intermédiaires. L’approche actuelle, trop centrée sur des processus rigides et la seule conformité, tend à déresponsabiliser les acteurs et à freiner l’initiative. Nous devrions plutôt promouvoir une relation fondée sur la confiance et l’autonomie, où chacun connaît ses droits et devoirs, et agit en pleine conscience des enjeux. À titre d’exemple concret, la stratégie EDUCFI met à disposition des outils de simulation personnalisés en amont de la souscription pour aider les épargnants à mieux comprendre l’impact de leurs choix (rendement, risque, horizon), et ainsi renforcer leur autonomie dans la décision.


II) Mieux réguler implique également des améliorations qui doivent aussi contribuer à conforter l’atout qu’est notre système bancaire pour une Europe maîtresse de son destin.
a) Pour cela, il nous faut d’abord rester fermes sur notre niveau d’exigence en matière de stabilité financière. Il ne faut évidemment pas céder à la tentation d'une dérégulation à l'américaine, qui sèmerait les graines de crises financières futures. Nous devons éviter un nivellement vers le bas et préserver la conformité au cadre de Bâle III.

En Europe, les exigences de capital des banques sont globalement au bon niveau, comme le montrent les tests de résistance de l'ABE.  Mais nous sommes réceptifs à l’ACPR aux demandes d'allègement des reportings et de contrôle de la part des plus petites banques.
 
Cette fermeté doit s’appliquer aux banques, mais aussi au secteur financier non bancaire et aux secteurs émergents comme les crypto-actifs – là non plus la dérégulation ne serait pas la bonne réponse aux défis actuels. En outre, les interconnexions au sein du système financier, entre acteurs non bancaires et entre ces derniers et le système bancaire, sont nombreuses, complexes et en permanente évolution et il est impératif d’améliorer l’accès et la qualité des données permettant d’évaluer les principaux enjeux auxquels nous sommes confrontés. C’est pourquoi nous travaillons actuellement à la réalisation d’un exercice de stress test dit « system-wide », afin de mieux appréhender les risques liés aux interconnexions du secteur financier et je veux ici remercier les banques qui ont participé aux ateliers de co-construction de l’exercice, avec les équipes de l’ACPR, de la Banque de France et de l’AMF. Nous comptons sur la bonne volonté des banques et leur sens de l’intérêt collectif pour s’engager dans cet exercice dont la réussite repose sur une adhésion large.

b) Nous devons également maintenir un cap ambitieux concernant les risques liés aux grandes transitions.
C’est le cas en premier lieu des risques climatiques et de notre engagement ESG. Malgré l'effacement des États-Unis, nous devons persévérer car nous ne pouvons pas faire comme si le dérèglement climatique et les risques financiers qu’il emporte n’étaient pas réels. La Commission européenne a récemment proposé des mesures de rationalisation avec le projet Omnibus, qui nous semblent largement bienvenues, malgré certains points d'attention. Mais toujours est-il que simplifier ne doit pas signifier abandonner nos objectifs de long-terme.

Ensuite, il est crucial de poursuivre nos travaux sur la gestion du risque cyber et sur les enjeux de la numérisation au sens large.  Nos paiements du quotidien dépendent trop largement d’acteurs non-européens, avec notamment 66% des paiements par carte en zone euro qui reposent sur des réseaux cartes internationaux. De plus, l’essor des stablecoins – quasi-exclusivement adossés au dollar et encouragés par le gouvernement américain – pose, au-delà des questions de stabilité financière que ces produits alimentent - ils ne sont ni « stable » ni des « coins » -  un sérieux risque de « privatisation » de notre monnaie.

c) Enfin il nous faut concilier innovation et souveraineté, pour réaffirmer notre souveraineté monétaire et préserver la confiance dans nos paiements via trois leviers.
 
Le levier de la réglementation : nous sommes attentifs à la promotion de conditions de concurrence équitable entre les acteurs des paiements, par un cadre clair et équilibré. C’est dans cet esprit que fut décidée l’ouverture de l’accès aux antennes NFC, sur les iPhones, à d’autres opérateurs qu’Apple, afin de garantir un cadre de concurrence ouvert. Pour les nouveaux acteurs innovants, le règlement MiCA apporte des règles harmonisées pour les prestataires de crypto-actifs, tout en veillant à protéger les utilisateurs de ces services en encadrant les risques. 

Le levier de l’offre de services des acteurs privés : le renforcement de notre souveraineté s’inscrit aussi dans le soutien à l’émergence de solutions de paiement pan-européennes, pour assurer que les paiements sûrs et innovants de demain soient européens. C’est le cas d’initiatives privées comme le portefeuille numérique « Wero », dont nous saluons le potentiel d’apporter une solution européenne de paiement innovante à nos concitoyens.

Enfin, le levier des services en monnaie de banque centrale. Dans les paiements « de détail », l’Eurosystème se prépare à mettre à disposition du grand public un « billet numérique + », qui contribuera à garantir notre souveraineté en matière de paiements et de monnaie, et il travaille activement avec les banques commerciales pour maximiser les synergies entre leurs solutions privées et l’euro numérique. En parallèle, la future MNBC interbancaire européenne offrira une alternative au règlement en stablecoins pour le règlement de transactions tokenisées, qui permettra aux acteurs privés d’innover dans un cadre de confiance.

*** 

En conclusion, je voudrais vous dire ma conviction que nous vivons un moment-charnière dans lequel la Finance a un rôle important à jouer pour nous permettre de retrouver la maitrise de notre destin économique. Pour cela, avec vous et nos partenaires européens, nous avons l’opportunité et la responsabilité de faire évoluer avec justesse le cadre de régulation du système bancaire et financier européen, pour contribuer à faire pleinement de celui-ci un outil de croissance, de stabilité et de souveraineté. Merci de votre attention.
 

Mise à jour le 6 Juin 2025