Discours

« Les fintechs et l’innovation pour la maîtrise de notre destin économique »

Intervenant

Denis Beau Intervention

Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France

Mise en ligne le 22 Mai 2025

Denis Beau Intervention

Discours de Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France
 

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais commencer par remercier France Fintech, et son président Alain Clot, pour leur invitation à intervenir ici. Nous fêtons cette année les 10 ans de France Fintech, et c’est l’occasion pour moi de saluer le travail considérable accompli par l’association au cours des années écoulées, pour porter la voix de l’écosystème français des fintechs, et mettre en lumière ses réussites.

Le contexte géopolitique est malheureusement moins réjouissant, et en particulier le niveau exceptionnellement élevé d’incertitude généré par les politiques affichées et l’imprévisibilité de la nouvelle administration américaine, qui pèse sur notre situation économique et financière. 

Comme le disait récemment le gouverneur de la Banque de France dans sa lettre annuelle au président de la République, ce contexte ne doit cependant pas nous accabler ; il doit au contraire nous inciter à nous mobiliser, afin de retrouver la maîtrise de notre destin économique. La France et l’Europe ont, en particulier, besoin de plus de croissance ; or l’accélération de l’innovation constitue l’une des mesures les plus efficaces pour parvenir à cet objectif.

Le secteur financier peut et doit être l’un des principaux relais  de cette accélération de l’innovation. Les fintechs qui, dans leur jeune histoire, ont montré tout le parti qu’elles pouvaient tirer des nouvelles technologies pour inventer de nouveaux modèles d’affaire – ou pour rendre plus efficaces les modèles bien établis – ont évidemment un rôle crucial à jouer. 

Les autorités financières doivent également contribuer à relever ce défi collectif – et la Banque de France et l’ACPR sont déjà fortement engagées pour ce faire. Pour vous en convaincre, je voudrais aujourd’hui vous en donner trois illustrations, tant à l’échelle nationale qu’européenne : d’abord, en matière de simplification des règles (I) ; ensuite, de soutien à l’adoption de l’intelligence artificielle (II) ; enfin, d’accompagnement de la tokénisation de la finance (III). 

I/ Mon premier exemple concerne la simplification de la réglementation.

1/ Commençons par un bref rappel historique : au cours des quinze dernières années, la règlementation européenne a permis une large couverture du secteur financier. Ainsi, les directives DSP1 et DSP2, le règlement relatif au crowdfunding, le règlement MiCA, ou encore le « Régime Pilote » ont permis l’entrée de nouveaux acteurs sur  le marché, et en particulier la création de nombreuses fintechs – ce dont de nombreux participants à cet évènement peuvent sans doute témoigner. De manière complémentaire, le superviseur financier qu’est l’ACPR a mis en place un accompagnement innovant des fintechs, afin notamment de leur permettre d’obtenir les autorisations nécessaires dans de bonnes conditions. C’est ainsi que l’ACPR a créé le Forum Fintech en 2016, et a mis sur pied sa « charte Fintech » en 2021.

Après cette phase d’ouverture, il est temps, aujourd’hui, de simplifier la réglementation. Les rapports Draghi et Letta ont identifié la simplification des règles comme l’une des clés de la compétitivité européenne : plus de vitesse, c’est davantage d’innovation et de croissance. Mais simplifier, ce n’est pas déréguler - n’oublions pas les leçons de la Grande Crise Financière - mais mieux réguler : moins de normes, mieux mises en œuvre et donc plus efficaces.

Dans cette perspective, parmi les voies de simplification possibles je voudrais en souligner deux qui concernent directement l’écosystème des Fintechs. D’abord, moins de statuts et d’enregistrements. Cela veut dire fusionner certains statuts proches, comme les statuts d’établissement de paiement et  d’établissement de monnaie électronique, envisagé par la DSP3, éviter le cumul systématique de statut, par exemple entre établissement de monnaie électronique et émetteur d’EMT, et réduire le nombre d’entités devant s’enregistrer comme agents de services de paiement, par exemple en n’exigeant l’enregistrement que de la tête de réseau. 

Une seconde voie consiste à alléger les reporting. Pour ce faire, des équipes de l’ACPR mènent actuellement des entretiens, notamment avec des fintechs, pour identifier et préciser des pistes concrètes, parmi lesquelles figurent une réduction de la complexité des nomenclatures ou des formats, ou encore d’éventuelles mesures dites de proportionnalité, c’est-à-dire d’allègement pour les jeunes entreprises du secteur financier. Un travail similaire a lieu actuellement à l’échelle européenne, la Commission s’étant engagée à réduire les obligations de reporting d’au moins 25 % au cours de son mandat.

II/ Mon deuxième exemple concerne le soutien à l’adoption de l’IA.

L’Europe s’est montrée pionnière en adoptant à l’été 2024 un règlement sur l’IA qui constitue, au niveau mondial, le premier cadre règlementaire protecteur des droits des citoyens. On le dit moins souvent, mais ce règlement a un second objectif fondamental : créer un marché européen unique de l’« IA de confiance ». De fait, contrairement à ce que l’on entend parfois, il n’y aucune raison de penser que la bataille de l’IA est d’ores et déjà perdue face aux mastodontes américain et chinois. Je suis pour ma part persuadé que la voie européenne, consistant à concilier innovation et confiance, et qui permet donc à l’innovation de s’inscrire dans la durée, fera ses preuves sur le long terme.

Il est clair, cependant, que cette bataille ne se gagnera pas sans une adoption productive de l’IA dans les différents secteurs économiques. Dans le secteur financier, l’IA peut engendrer de nombreux bénéfices. D’importants gains de productivité, d’abord, via l’automatisation accrue de tâches administratives : que l’on pense, par exemple, à ce que la lecture de documents par ordinateur peut accomplir pour la constitution de dossiers de crédits, ou encore à ce que l’analyse automatisée de photographies peut permettre pour le traitement des sinistres en assurance. L’IA permet également d’offrir de meilleurs services à la clientèle, notamment via une personnalisation accrue. L’IA peut enfin permettre de renforcer la sécurité, en particulier dans le domaine des paiements, où elle permet d'identifier plus efficacement et plus rapidement les schémas de fraude – un sujet sur lequel nous travaillons en ce moment avec les membres de l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiements (OSMP). Les fintechs et les acteurs traditionnels ont déjà commencé à s’emparer de ces nouvelles technologies : il faut continuer, et accélérer.

De son côté, l’ACPR devrait être chargée de faire respecter ce règlement dans le secteur financier, en tant qu’autorité de surveillance du marché. Elle le fera dans l’esprit de conciliation  entre innovation et sécurité qui est celui du règlement lui-même, et qui correspond aux principes habituels de maîtrise des risques et de gouvernance à la mise en œuvre desquels nous veillons comme superviseur. L’ACPR veillera, en outre, à ajouter le moins possible au fardeau règlementaire des établissements, en adoptant une approche par les risques – c’est-à-dire en proportionnant les moyens mis en œuvre aux résultats attendus –, et en utilisant toutes les synergies possibles avec ses contrôles habituels. Dans cette perspective, l’ACPR a associé le marché dans sa réflexion sur la mise en œuvre du règlement.

III/ J’en viens à présent à mon troisième et dernier exemple, l’accompagnement de la tokenisation de la Finance.

Un rappel, tout d’abord : nous bénéficions en Europe du règlement MiCA et du règlement dit « Régime Pilote », qui permettent d’accompagner le développement de nouvelles activités sur blockchain – et de nouveaux acteurs – dans un cadre harmonisé au niveau européen. C’est un atout, car ils nous donnent un instrument important pour que les risques pour les utilisateurs comme pour le système financier restent maîtrisés.

Dans ce cadre, la tokénisation des actifs financiers pourrait conduire à des gains d’efficacité dans les activités post-marché, avec plus d’automatisation, de disponibilité et de transparence, et une meilleure traçabilité. La tokénisation des actifs non financiers – l’immobilier par exemple –, pourrait accroître la liquidité et l’accessibilité des marchés sous-jacents.

Mais le développement de la finance tokénisée est actuellement handicapé par l’absence d’un actif de règlement sûr. Les stablecoins adossés au dollar, qui dominent pour l’instant les solutions de règlement dans la sphère des crypto-actifs, ne bénéficient à ce jour aux États-Unis d’aucun cadre fédéral protecteur, ce qui expose leurs utilisateurs à de nombreux risques, en particulier de liquidité. En outre, le recours à de tels actifs pose d’importantes questions de souveraineté de l’Europe sur son système monétaire, en particulier son système de paiement.

C’est pourquoi l’Eurosystème s’est engagé à fournir aux acteurs de marché une monnaie numérique de banque centrale « de gros » dès 2026. Cette initiative devrait contribuer à soutenir la croissance d'un marché européen intégré et solide pour les actifs numériques. Mais si les autorités financières peuvent fixer le cadre – voire fournir des services essentiels –, tout dépend in fine de la manière dont les acteurs de marché s’en saisissent. Sur ce sujet, ma conviction profonde est que l’écosystème français a une vraie carte à jouer pour développer des cas d’usage à forte valeur ajoutée.

Pour conclure, je souhaiterais vous dire que, sur ce sujet des crypto-actifs comme sur d’autres, les orientations économiques et financières de la nouvelle administration américaine risquent d’aboutir à bien des déconvenues. Malgré de probables turbulences, c’est donc le moment pour les Européens de prendre leur destin en main. 

Évidemment – et ce sera mon dernier mot –, cela suppose de résoudre les difficultés de financement de nos entreprises, et je sais combien ce sujet est important pour les fintechs. Ces difficultés tiennent notamment aux faiblesses du capital-risque en Europe ; c’est pourquoi, à la Banque de France, nous plaidons de longue date pour muscler nos capacités en la matière, en particulier via le projet d’Union pour l’épargne et l’investissement poussé par la Commission européenne. Il nous reste encore bien du travail. Mais, sur ce sujet comme sur d’autres, je suis convaincu que nous pouvons trouver ensemble des solutions, car là où il y a une volonté, il y a un chemin ! 

Je vous remercie pour votre attention.

Mise à jour le 22 Mai 2025