Une réponse à la numérisation des paiements
Avec la numérisation de l’économie, l’usage des espèces décline progressivement : en France, les espèces étaient utilisées dans 42 % des transactions en magasin en 2024, contre 68 % en 2016.
Si la dématérialisation des paiements apporte davantage de simplicité, de rapidité et de praticité, cette transformation soulève aussi plusieurs défis pour le secteur des paiements européens :
- Une dépendance accrue vis-à-vis d’entreprises non-européennes : les réseaux de cartes internationaux représentent 69 % des paiements par carte en zone euro (au S2 2024). Cette dépendance s’étend à d’autres acteurs, à l’instar des portefeuilles électroniques de type X-Pay. Cette situation fragilise notre souveraineté et contribue à l’augmentation des frais supportés par les commerçants.
- Une fragmentation persistante du paysage des paiements en Europe : la majorité des solutions de paiement européennes restent limitées à un pays ou à un usage spécifique. Seuls cinq États de la zone euro disposent encore d’un véritable réseau domestique de paiement par carte – tels que CB en France ou Girocard en Allemagne – dont la part de marché s’érode progressivement face aux réseaux internationaux. Ces systèmes ne sont pas interopérables et ne permettent donc pas d’effectuer simplement des paiements entre utilisateurs de solutions différentes.
- Une baisse de l’utilisation de la monnaie centrale, dont les espèces constituent la seule forme accessible au grand public
Un « billet numérique » pour des paiements souverains, confidentiels et résilients
Pour répondre à ces défis, l’Eurosystème se prépare au lancement potentiel de l’euro numérique, qui permettrait notamment de :
- Assurer la souveraineté et la résilience européennes : il s’appuierait exclusivement sur des technologies européennes, afin de renforcer l’indépendance stratégique du continent. Il permettrait d’effectuer des paiements même en cas d’interruption de réseau, grâce à son mécanisme « hors ligne ».
- Soutenir l’intégration européenne : grâce à son cours légal, l’euro numérique serait accepté partout en zone euro, pour tous les types de paiements — en magasin, entre particuliers ou en e-commerce. Sa distribution serait encadrée par des standards ouverts et harmonisés dans toute la zone euro (scheme rulebook). Ceux-ci pourraient être réutilisés par les solutions privées européennes, qui pourraient ainsi faciliter leur expansion à davantage de pays.
- Contribuer à réduire les frais pour les commerçants : en offrant une alternative européenne crédible aux réseaux internationaux, l’euro numérique stimulerait la concurrence au bénéfice des entreprises et des consommateurs. De plus, le co-législateur pourrait plafonner les commissions et imposer une plus grande transparence des frais.
- Garantir un haut niveau de confidentialité : l’euro numérique serait doté d’un niveau élevé de confidentialité. Sa fonctionnalité « hors ligne » offrirait même un niveau de confidentialité comparable à celui des espèces.
Une solution complémentaire des moyens de paiement existants
L’euro numérique reposerait sur un partenariat public-privé :
- Il serait émis par les banques centrales de la zone euro, mais distribué par les banques commerciales (et autres fintech agréées) chargées d’ouvrir et de gérer les comptes, d’exécuter les transactions et d’assurer la relation client.
- Il pourrait être intégré aux solutions privées existantes (cartes, applications mobiles) ou utilisable via une application mobile développée par la BCE, conçue dans un souci d’inclusion et d’accessibilité.
L’euro numérique renforcerait la liberté de choix des citoyens. Il compléterait les espèces et les moyens de paiement existants, sans les remplacer.
Les acteurs publics continueront de garantir durablement l’acceptation et la disponibilité des espèces :
- Le co-législateur européen prépare actuellement un projet de règlement visant à renforcer le cours légal des espèces au sein de l’Union européenne.
- La Banque de France a annoncé la construction d’une nouvelle imprimerie fiduciaire dans le Puy-de-Dôme, pour un investissement de plus de 250 millions d’euros. Ce projet dotera la France du pôle public de production de billets le plus moderne et le plus efficace d’Europe.
Vers un lancement potentiel à partir de 2029 ?
Entre 2023 et 2025, la phase de préparation a permis d’approfondir la conception, de conduire des expérimentations et des recherches auprès d’utilisateurs, et de sélectionner les fournisseurs susceptibles de développer l’architecture. La BCE a également publié des études sur les impacts potentiels du projet pour la stabilité financière et sur ses coûts pour le secteur bancaire.
Prenant acte de la réussite de cette dernière étape, le Conseil des gouverneurs de la BCE a annoncé le 29 octobre 2025 l’ouverture d’une prochaine phase, destinée à préparer techniquement son éventuel lancement. Néanmoins, à ce stade, aucune décision d’émission n’a encore été prise : une telle décision ne pourra intervenir que lorsque le cadre juridique aura été finalisé par le Conseil et le Parlement européen. Si le règlement euro numérique est adopté par le co-législateur en 2026, un « pilote » pourrait être conduit dès mi-2027, en vue d’un lancement progressif à partir de 2029.