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Financement des entreprises : gérer les turbulences puis relever les défis d’avenir
Intervenant
Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 1 Mai 2024
Conférence Annuelle de l’OFEM – Paris, 30 avril 2024
Discours de Denis BEAU, Premier sous-gouverneur de la Banque de France
Madame la Présidente, chère Agnès,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
C’est avec un plaisir toujours renouvelé que je m’adresse à vous aujourd’hui pour ce rendez-vous annuel de la finance de marché. Depuis notre dernier rendez-vous il y a un an, nous avons obtenu dans la ZE et en France des succès dans la bataille contre l’inflation, qui a nettement reflué, le resserrement fort et rapide de la politique monétaire entre juillet 2022 et septembre 2023 ayant permis d’éviter la propagation et la persistance de l’inflation provoquée par les chocs sur les prix de l’énergie et des matières premières intervenus en 2021 et début 2022. En l’absence de nouveau choc externe important, le temps d’entamer la baisse des taux semble venu pour la BCE, ce qui devrait avoir lieu début juin. En outre, ces succès dans la bataille sur l’inflation ont été obtenus en évitant que cela se fasse au prix d’une récession. Un atterrissage en douceur parait donc bien engagé. Pour introduire cette conférence, je voudrais vous dire comment, à la Banque de France, nous voyons cet atterrissage pour l’économie française, et la contribution que notre système financier doit se mettre en mesure d’apporter pour que nous réussissions ainsi que François Villeroy vient de fortement souligner dans sa Lettre annuelle au Président de la République, les trois transformations du travail, du numérique et du climat, qui sont nécessaires pour que nous retrouvions durablement en France et en Europe une croissance dynamique et de premier plan au sein de l’économie mondiale.
I. Une économie résistante dans un environnement instable
a. L’atterrissage en douceur de l’économie française se confirme
Le contexte macroéconomique de ce printemps 2024 nous offre en effet un tableau plus positif qu’il y a un an.
Sur le front de l’activité, le cycle de resserrement monétaire a indéniablement pesé sur la croissance et l’emploi. Mais nous avons évité en France et en zone euro le scénario de la récession, avec une croissance de + 0,9 % et + 0,5 % respectivement constatée sur l’année 2023, puis prévue pour 2024 à + 0,8 % et + 0,6 % [Slide 1, gr.1].
Tirée principalement par la consommation des ménages à la faveur du repli de l’inflation et de la progression attendue en conséquence des salaires réels, l’activité devrait ensuite accélérer significativement en 2025 et en 2026. La remontée des taux d’intérêt a affecté l’investissement des ménages (– 5,1 % en 2023, – 4,3 % en 2024), après plusieurs années de très forte hausse depuis 2015. Cela concerne principalement l’investissement immobilier, ce qui se reflète dans la production de nouveaux crédits à l’habitat (7,3 milliards d’euros en février). Mais il s’agit désormais pour l’essentiel d’un problème de demande et d’attentisme des ménages, qui devrait peu à peu se dissiper avec le début de décrue des prix de l’immobilier.
Du côté des entreprises, l’investissement a également été affecté, mais plus légèrement, de – 0,6 % en 2024. Il devrait se remettre à croître progressivement, notamment grâce au maintien de leur taux de marge et à la baisse des taux d’intérêt.
Avec le resserrement de politique monétaire, le crédit bancaire aux entreprises en France a évolué de façon différenciée suivant le type d'entreprise ou l'objet du crédit. Mais il est resté globalement un facteur de soutien à l’activité. En effet sur les 12 derniers mois, il a cru de +1%.
Le financement sous forme de titres de dette des SNF est pour sa part resté quasi stable sur un an (0,2% en février 2024). Son coût (toutes maturités confondues) a augmenté de 20 points de base (3,69% en février vs 3,48 % en janvier), tout en restant inférieur au coût moyen de l'endettement bancaire.
En revanche, concernant le crédit inter-entreprises, qui représente un montant supérieur aux encours de dette obligataire en France, on observe que les comportements de paiement se sont tendus en 2023 en France et en Europe. Le taux d’entreprises françaises payant leurs fournisseurs avec un grand retard a augmenté, pour atteindre 8,3% fin décembre 2023 mais à contrario le taux d’entreprises françaises payant leurs fournisseurs sans retard a approché 50% en 2023, au taux jamais connu jusque-là.
Sur le front de l’inflation, après avoir connu une forte résurgence depuis 2021, celle-ci a désormais nettement reflué. Elle a atteint un pic à 10,6 % en octobre 2022 pour la zone euro et à 7,3 % en février 2023 pour la France, et s’est depuis repliée à 2,4 % en zone euro et en France en mars 2024 [Slide 1, gr.2].
Sauf choc inattendu, ce recul devrait se prolonger dans les prochains mois. Selon nos prévisions de mars pour la France, l’inflation se replierait en moyenne annuelle à 2,5 % en 2024, puis à 1,7 % en 2025.
Le retournement des chocs d’offre initiaux, sur les prix de l’énergie et des produits alimentaires, a bien sûr puissamment aidé. Mais la politique monétaire a aussi joué un rôle très important, en limitant la propagation de l’effet de ses chocs aux prix des biens manufacturiers et des services.
b. Mais gardons-nous d’un excès de confiance face aux incertitudes et au vulnérabilités de l’économie mondiale
Dans ce contexte, de manière concomitante au resserrement de politique monétaire, la France est demeurée sur une dynamique de rattrapage de la forte baisse du nombre de défaillance enregistrée pendant la période Covid : le nombre annuel de défaillances reste encore inférieur mais se rapproche de son niveau moyen tendanciel mesuré sur la période 2010-2019 (59 342). J’observe néanmoins que ce phénomène de rattrapage n’empêche pas le processus de sélection des entreprises de fonctionner : ce sont bien les entreprises les moins productives qui disparaissent, alors que dans le même temps les créations d’entreprises sont très dynamiques. Au cours de ces deux dernières années, deux millions d’entreprises ont été créées.
Mais gardons-nous d’un excès de confiance face aux incertitudes et au vulnérabilités de l’économie mondiale. Comme l’a souligné le FMI dans ses rapports de printemps, l’ajustement des trajectoires de taux d’intérêt anticipés au vu d’une inflation sous-jacente plus persistante que prévu dans certaines juridictions contribue au maintien d’un niveau d’incertitude élevé autour du scénario de sortie de l’inflation sans récession qui se déroule pour l’instant en ZE. En outre, les tensions au Moyen-Orient, la fragmentation commerciale, et le niveau inquiétant des dettes publiques et privées assombrissent le tableau des risques auxquels l’économie mondiale fait face.
II. Pour assurer le financement des entreprises, nous devons disposer d’un système financier complet, résilient et diversifié
J’en viens maintenant à la contribution que notre système financier doit se mettre en mesure d’apporter pour que nous réussissions les trois transformations du travail, du numérique et du climat, qui sont nécessaires pour que nous retrouvions durablement en France et en Europe une croissance dynamique et de premier plan au sein de l’économie mondiale. Celle-ci sera d’autant plus forte qu’elle s’inscrira dans le respect des 2 priorités suivantes :
a. D’abord, la préservation de la forte résilience aux chocs acquise par notre système financier:
Cette résilience est un atout qui a facilité « l’atterrissage en douceur » dont nous avons bénéficié jusqu’ici.
[Slide 2] Encadré par une réglementation européenne robuste et supervisé de manière rigoureuse, le système bancaire français a fortement accru sa résilience depuis la crise de 2008, ce dont témoigne notamment l’augmentation de près de 50% des ratios de fonds propres des grands groupes bancaires français depuis la création du SSM, ou les résultats des stress tests menés en 2023 par l’EBA. Notre secteur bancaire a ainsi pu contribuer à limiter l’impact des chocs qui ont affecté notre économie.
Ainsi, par exemple, alors que le premier trimestre 2023 a été marqué par la défaillances de certaines banques régionales américaines, provenant de la matérialisation des risques de liquidité et de taux, la contagion en Europe et particulièrement en France a été limitée.
Toutefois, les banques françaises avec leur superviseur doivent rester vigilants.
La remontée des taux d’intérêt n’a pas été aussi profitable pour les groupes français que pour leurs pairs européens. Si le coût du risque des établissements français reste faible à ce stade, à 0,23% des encours clientèles et moins élevé que celui des banques comparables au sein de la zone euro, la remontée des défaillances d’entreprises va inévitablement peser sur le risque de crédit.
Enfin, et c’est un élément que nous devons garder à l’esprit, nous avons identifié depuis quelques années déjà de nouveaux risques structurels auxquels sont exposés les banques, et qui se renforcent [Slide 3].
Les menaces de cyberattaques restent élevées pour le système financier et face aux risques climatiques, les institutions financières doivent à la fois maîtriser leurs expositions au risque de transition comme au risque physique, tout en assurant le financement de l’économie en faveur de la décarbonation de l’économie.
La résilience du secteur de l’intermédiation financière non-bancaire est une exigence tout aussi capitale pour garantir le financement sain des entreprises. Ce secteur, à forte croissance1, dont nous avons besoin pour financer des projets innovants est cependant exposé à plusieurs risques, principalement le risque de liquidité et celui d’un recours excessif au levier. Par ailleurs, les interconnexions, notamment avec les banques, donnent à ces risques une dimension systémique.
C’est pourquoi au-delà de l’adoption récente des directives AIFM et UCITS, qui renforceront la régulation microprudentielle de tous les fonds d’investissement alternatifs (FIA) européens à la Banque de France nous militons pour que la régulation micro prudentielle soit complétée par une approche macroprudentielle qui inclue notamment l’identification des entités ou des activités systémiques, la conduite de stress tests avec les autres composantes du système financier, pour mieux comprendre les vulnérabilités du secteur et les interconnexions avec les autres intermédiaires financiers, et l’introduction de pouvoirs d’activation de certains outils à la main des autorités. En définitive, la résilience de ce secteur est un prérequis pour le financement sain des entreprises et plus largement pour assurer le succès de l’Union des marchés de capitaux. Cette observation me conduit à la seconde priorité qui doit nous guider.
b. Notre seconde priorité doit être en effet de continuer les efforts de diversification des sources de financement, ce qui appelle un développement des financements de marché.
La résilience, qu’il nous faut garantir, doit être mise au service d’une diversification des modes de financement des entreprises européennes. C’est l’une des finalités de l’Union des marchés de capitaux initiée en 2015. Malgré des progrès en termes de renforcement du Single Rule Book, l’impact en termes d’intégration financière n’est pas au rendez-vous. L’Europe reste très en deçà de son potentiel en termes de puissance financière. L’un des moyens de poursuivre l'approfondissement de l’UMC, est de renouveler le narratif et de se donner pour première finalité le financement de la double transition écologique et numérique (745 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an d’ici 2030)2. Ce nouveau narratif, soutenu François Villeroy et par l’ensemble des Gouverneurs des banques centrales de l’Eurosystème3, semble aujourd’hui partagé au niveau politique4. C’est, comme l’a proposé Enrico Letta dans son récent rapport sur le marché unique5, et le Gouverneur Noyer dans son propre rapport, une Union de l’épargne et de l’investissement, qu’il nous faut renforcer et pérenniser.
Reste désormais à déterminer les modalités de mise en œuvre de ce renouveau.
Pour conclure mon intervention je voudrais évoquer deux pistes plus directement liées au financement des entreprises, qui permettraient de capitaliser sur la complémentarité entre financements bancaire et non bancaire. En premier lieu, nous devons développer de façon ambitieuse le financement par fonds propres qui constitue l’outil le mieux adapté aux projets innovants. Or, au troisième trimestre 2023, le financement par fonds propres ne représentait que 84 % du PIB de la zone euro contre 173 % aux États-Unis.
L’un des leviers possibles pour avancer serait de développer des partenariats public-privé beaucoup plus solides, soutenant les investissements transfrontières.
En second lieu, la titrisation verte est aussi une voie prometteuse compte tenu des besoins d’investissement considérables pour les infrastructures de mobilité et d’énergie auxquels nous devons répondre. L’Union a récemment adopté un label pan-européen (EuGB) pouvant être mobilisé dans des opérations de titrisation dans lesquelles les fonds dégagés par la mobilisation d’actifs verts ou non verts doivent ensuite être alloués à des activités durables au sens de la Taxonomie européenne. Encore peu nombreuses en Europe à ce jour, ces opérations représentent une véritable opportunité d’accroître de plusieurs milliards les capacités de financement des banques au service de la transition.
Merci pour votre attention et bonne conférence.
1 Les acteurs de la NBFI représentaient en moyenne 47,8% des actifs des juridictions du G20 fin 2022 (Banque de France, Évaluation des risques du système financier français, décembre, 2023, p.78).
2 Commission européenne, 2023 Strategic Foresight Report – Sustainability and people’s wellbeing at the heart of Europe’s Open Strategic Autonomy, juillet 2023
3 Statement by the ECB Governing Council on advancing the Capital Markets Union, 7 mars 2024.
4 Conclusions du Conseil européen, 17 et 18 avril 2024
5 Rapport Enrico Letta, « Much more than a market », avril 2024
Mise à jour le 25 Juillet 2024