La MNBC interbancaire, un moyen de préserver le rôle d’ancrage de la monnaie de banque centrale

Le pouvoir sécurisant de la monnaie centrale sur les marchés financiers a été l’un des enseignements de la crise financière de 2008 : les pays membres de la Banque des règlements internationaux (BRI) se sont depuis engagés à favoriser l’usage de la monnaie centrale sur les marchés financiers pour sécuriser le règlement des actifs financiers, et ainsi diminuer les risques de liquidité et de contrepartie. Ce pouvoir sécurisant fait partie intégrante de la fonction régalienne de souveraineté monétaire assurée par les banques centrales, quelles que soient les évolutions technologiques.

Toutefois, la tendance émergente à la « tokenisation » de la finance, repose la question de l’actif de règlement utilisé pour régler les transactions sur actifs tokenisés. Cette tokenisation consiste en l’émission de titres financiers sous forme de jetons numériques (appelé tokens) sur des technologies de registre distribué (DLT) dont la blockchain fait partie. En effet, en l’absence d’une monnaie de banque centrale disponible sur DLT, ce sont des actifs privés (notamment des cryptoactifs et des stablecoins) qui pourraient être utilisés comme actifs de règlement pour régler de telles transactions.

Dans ce contexte, préserver le rôle d’ancrage de la monnaie de banque centrale sur les marchés financiers apparaît crucial pour la stabilité financière. En effet, l’absence de réponse publique au développement des nouveaux usages de la finance tokenisée pourrait favoriser un processus de fragmentation des marchés par une multiplication non coordonnée de solutions de règlement.

« Dans une approche d’innovation partenariale, notre défi commun comme Européens est d’exploiter pleinement, et ensemble, le formidable potentiel d’innovation qui se profile devant nous : le développement d’une MNBC interbancaire prolongerait le rôle d’ancrage de la monnaie centrale dans l’univers tokenisé. »
François Villeroy de Galhau
,
gouverneur de la Banque de France

La Banque de France à l’origine d’un programme d’expérimentation pionnier

Ce sont ces raisons qui ont mené la Banque de France à lancer, dès 2020, un programme d'expérimentation ambitieux sur la MNBC interbancaire. La Banque de France a été l’une des premières banques centrales à lancer des expérimentations dans une démarche d’apprentissage par la pratique. Ainsi, ce programme, mené en partenariat avec des acteurs du marché, publics comme privés – qu’il s’agisse d’acteurs bancaires, de banques centrales, de FinTechs ou de fournisseurs de technologie – a permis d’explorer divers cas d’usage sur une large gamme d’actifs, utilisant des technologies variées, dans une configuration nationale mais également transfrontière, impliquant potentiellement plusieurs MNBC.

Il a permis aux équipes de la Banque de France de mieux comprendre le fonctionnement des technologies DLT et les avantages susceptibles d'en découler pour les marchés financiers. Le règlement européen, dit « Régime Pilote », entré en vigueur en mars 2023, permettra de poursuivre ces expérimentations au sein d'un cadre réglementaire simplifié.

Une réflexion portée par de nombreuses banques centrales à travers le monde

La Banque de France n’est pas la seule à se pencher sur ces questions. Les rapports successifs de la BRI ont souligné l’intérêt croissant des banques centrales pour la question de MNBC – ainsi, 93 % d’entre elles exploraient les possibilités offertes par la mise en place de cette monnaie. La BRI elle-même y voit l’opportunité d’une amélioration des paiements transfrontières. En effet, ces derniers sont actuellement réglés selon le modèle de correspondance bancaire qui induit un nombre important d’intermédiaires : le règlement en est long et coûteux. Fortes de ce constat, la BRI et la Banque de France se sont associées dans deux projets d’expérimentation, Jura et Mariana, dans l’objectif d’améliorer des paiements transfrontières par l’utilisation de plusieurs MNBC sur des systèmes interopérables. Bien sûr, afin de permettre une véritable amélioration des paiements transfrontières, la mise en production de tels systèmes nécessiterait une importante coopération internationale.

Dans le prolongement de ces réflexions, la Banque centrale européenne (BCE) a également annoncé, le 28 avril 2023, des travaux exploratoires sur le règlement en monnaie de banque centrale d’actifs financiers tokenisés, qui pourraient débuter dès 2024. L’objectif de ces travaux exploratoires est de tester différentes solutions de MNBC interbancaire, y compris sur DLT, pour mieux comprendre comment ces solutions pourraient faciliter les interactions entre les services Target et les DLT. Pour y parvenir, l’Eurosystème échange régulièrement avec l’industrie au travers d’un Market contact group dont l’objectif est d’alimenter les réflexions de l’Eurosystème sur les avancées de l’utilisation de la DLT et de toute nouvelle technologie sur les marchés financiers.