Discours

Vœux 2024

Les intervenants

François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

9 Janvier 2024
François Villeroy de Galhau intervention

Discours de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France

Paris, 9 janvier 2024

Je veux d’abord vous présenter tous nos vœux, ceux de la Banque de France et de l’ACPR, à vous tous qui êtes nos partenaires quotidiens, acteurs de la place, élus et responsables publics, journalistes. Dans l’environnement turbulent de 2024, nous aurons plus que jamais besoin d’ajouter au pessimisme de l’intelligence l’optimisme de la volonté ; et de nous redire qu’une vie bonne allie engagement professionnel et enracinement personnel. Je vous souhaite donc d’abord beaucoup de joies avec ceux et celles que vous aimez, et dans tous vos nouveaux projets de l’année. 2024 s’annonce riche en événements : le 1er janvier a marqué les 25 ans de l’Union monétaire, nous fêterons les 10 ans de l’Union bancaire, la France accueillera bien sûr les Jeux Olympiques. Et deux élections par-delà nos frontières vont être clé pour notre pays : les élections européennes en juin, l’élection américaine en novembre. L’année étant « en quatre » me suggère une addition simple en partageant avec vous 2+2 vœux. 

Les deux premiers poursuivent ceux que j’avais précisément formulés devant vous il y a un an. Je voudrais ainsi revenir sur des progrès économiques de 2023, et nous inviter à « finir le travail ». 

1.1 Moins d’inflation, et plus de stabilisation

L’inflation reste la principale préoccupation de nos concitoyens, et notre principale mission en tant que banque centrale. Début 2023, j’avais dit ici-même devant vous que nous passerions le pic de l’inflation française au premier semestre – elle décélère depuis, de 7,3% en février à 4,1% en décembre ; et que nous devrions avoir atteint le taux d’intérêt terminal « d’ici l’été » – nous l’avons fait début septembre. Et j’avais pris « l’engagement » que sauf nouveau choc, nous ramènerions l’inflation vers 2% d’ici au plus tard 2025. Il y a un an, beaucoup montraient un scepticisme plus ou moins poli. Aujourd’hui, notre prévision est bien davantage entendue et crue : une inflation moyenne de 2,5% en 2024 et de 1,8% en 2025. Mais la confiance n’exclut pas la vigilance ; même si le rebond récent de l’inflation est technique et temporaire – il est d’ailleurs sur décembre moins fort que prévu. 

Face à l’inflation, la politique monétaire s’est affirmée comme un remède efficace : l’inflation sous-jacente (biens manufacturés et services, qui représentent 70% du panier de consommation) s’est repliée de 4,7% en avril à 2,9% en décembre en France. Nous avons dans le même temps réussi à éviter la récession et préserver une croissance positive, même si elle est incontestablement ralentie. Cet atterrissage en douceur à +0,9% en 2024 précéderait une reprise graduelle à partir de 2025. Dans ce contexte, et sauf surprise, l’année 2024 devrait être celle de nos premières baisses de taux. Je suis conscient que vous m’attendez sur une saison – le printemps, l’été, l’automne ? – voire sur un mois. Eh bien non : nos décisions ne seront pas guidées par un calendrier, mais par les données ; et nous ne devrons montrer ni obstination, ni précipitation. Pas d’obstination : je n’ai jamais cru aux craintes sur le « dernier kilomètre » où une inflation devenue moins réductible justifierait une politique monétaire excessivement rigide. Mais pas non plus de précipitation : si vous me permettez de paraphraser La Fontaine, « patience et longueur de temps valent mieux que maints bavardages ». Nous baisserons les taux cette année quand les perspectives d’inflation seront ancrées à 2% solidement – ce sont les données effectives – et durablement – ce sont les données prospectives. 

1.2 Moins de protection, et plus d’adaptation 

J’avais souligné l’année dernière que l’État pouvait amortir temporairement le choc énergétique mais pas le faire disparaître. Les subventions budgétaires ont depuis été partiellement démantelées grâce à l’évolution favorable des prix de gros de l’énergie et aux décisions gouvernementales. Après 37 milliards en 2023, leur coût pourrait s’établir à 10 milliards d’euros en 2024, dont le bouclier électricité devrait représenter la plus grande partie. Selon l’évolution des prix, nous pouvons espérer une réduction plus sensible encore, avant leur suppression complète.  

Il y a là un enseignement plus général pour notre politique économique et budgétaire : plus que des dépenses publiques compensatrices ex-post – dont la France s’est fait une spécialité –, la véritable clé est tout ce qui musclera en amont notre capacité productive par les trois grandes transformations de l’offre : la transformation énergétique ; la transformation numérique ; et la transformation du travail, qui doit être plus abondant et plus qualifié. Notre croissance y gagnera, et notre inflation en sera mieux maîtrisée. La France peut pour la première fois depuis plus de quarante ans viser le plein emploi, à moins de 5% de chômage dans cette décennie : ne perdons pas ce cap, ne manquons pas notre chance. 
 
J’en viens maintenant à mes deux vœux additionnels pour 2024 : le bon financement de notre économie, et le réveil de l’Europe. 

2.1 Le bon financement de l’économie française 

Après la crise bancaire américaine et suisse de mars, de vraies craintes avaient été exprimées sur la liquidité ; elles n’ont plus lieu d’être : les banques françaises continuent de bénéficier d’une grande stabilité des dépôts totaux, et de ratios de liquidité à court terme ii  nettement supérieurs à 100%. Et la solvabilité du secteur financier s’est encore améliorée. La préservation de notre stabilité financière tient d’abord à votre bonne gestion que je salue ; elle s’explique aussi par un « couple européen » très sécurisant : (i) une règlementation exigeante avec en particulier Bâle 3, qui vient de connaître une nouvelle avancée législative en décembre avec l’adoption de la CRR3 et de la CRD6 (ii) une supervision unique et efficace grâce à 10 ans de MSU et à l’ACPR. La place financière de Paris a encore renforcé son attractivité, pour s’imposer sans conteste comme la première place continentale post-Brexit : la plupart des grandes banques internationales d’origine américaine ou britannique ont désormais choisi Paris pour localiser la majorité des effectifs consacrés aux activités de marché en zone euro, et trois ont décidé d’y établir leur siège européen. Ici, le succès continuera d’appeler le succès.

La résilience du secteur bancaire doit lui permettre un financement sain de l’économie française. Du côté des entreprises (y compris PME-TPE), l’accès au crédit semble globalement préservé : les encours ont crû de +2,7% en glissement annuel en novembre, un rythme nettement supérieur à la moyenne de la zone euro (+0,1%). Nous continuerons néanmoins à suivre précisément avec la Médiation du crédit la capacité des secteurs et des entreprises à se financer, avec une attention également à l’assurance-crédit. Nous développerons par ailleurs en 2024 le nouvel indicateur climat de la Banque de France, pour aider les entreprises et les banques dans leur transition. 

Du côté des ménages et du crédit immobilier, il y a nous le savons tous plus d’interrogations. La production hors renégociations est restée en novembre à un point bas à 8,7 milliards d’euros, même si les conditions d’une reprise progressive semblent aujourd’hui réunies : l’attentisme des ménages devrait peu à peu se dissiper avec le début de décrue des prix de l’immobilier. Les taux du crédit immobilier devraient se stabiliser, avec ceux de la BCE et du Livret A, le repli enfin des taux longs, et le retour à un taux d’usure trimestriel. La norme HCSF n’est pas en cause, puisque les banques ont la capacité de produire plus en utilisant davantage les flexibilités iii , a fortiori avec les trois nouveaux ajustements décidés en décembre iv . Pour dissiper le malentendu qui semble cependant demeurer sur la volonté de prêter des banques, je redis être favorable comme le Ministre à un accord de place pour un réexamen des dossiers de crédit solvables : ce dispositif peut être mis en place d’ici fin janvier, et il doit être simple, accessible, et efficace. 

J’ajoute un souhait quant à l’épargne des ménages : que sur l’assurance-vie, une rémunération suffisamment attractive soit confortée par l’utilisation – de manière proportionnée – des réserves disponibles pour favoriser une transition harmonieuse, en particulier au bénéfice du fonds euro. 

2.2 Le réveil de l’Europev  

Reconnaissons-le : ni l’Europe, ni le couple franco-allemand ne sont aujourd’hui au mieux de leur forme, à quelques mois des élections européennes. Dans chaque pays la tentation est de se replier sur les – très réels – problèmes domestiques, mais je crois profondément que ce serait une erreur : nos défis sont plus que jamais communs, et nos solutions le sont tout autant. Le succès pionnier du modèle européen du 20e siècle, c’est d’avoir réconcilié croissance économique et justice sociale. Notre promesse pour le 21e siècle devrait être d’allier croissance et soutenabilité, prospérité et écologie ; pour tenir cette promesse, nous pouvons et devons activer trois leviers puissants.

Le marché unique est souvent considéré uniquement comme un legs du passé, de Jacques Delors, ce grand Européen d’abord enraciné à la Banque de France. Sa mémoire nous invite, pour citer le Président de la République, à « réconcilier les Français avec l’économie, la France avec l’Europe, et l’Europe avec son avenir ». Précisément, le potentiel du marché unique est loin d’avoir encore été pleinement exploité. Une intégration plus poussée engendrerait selon le FMI jusqu’à 7 points de PIB supplémentaires pour l’UE vi . Il faut en particulier réinstaurer un contrôle des subventions nationales pour mettre fin au « shopping des aides ». Couplé à une véritable politique industrielle, cela permettra une allocation optimale des ressources, notamment en matière de décarbonation. Nous devrions aussi avoir pour cible un marché numérique unique qui combinerait régulation, développement des talents – nous avons besoin de 20 millions d’experts digitaux, contre moins de 10 aujourd’hui – et financement. 

Le deuxième levier, c’est en effet le financement privé et la mutualisation des capitaux vii . J’appelle à une « Union de financement verte et numérique », en élargissant l’invitation de Christine Lagarde et de Bruno Le Maire sur l’Union des marchés de capitaux (UMC) viii . La « révolution kantienne » ici, c’est de dépasser les détails techniques et un peu étroits du plan d’action actuel, et d’oser une finalité supérieure, le financement de nos transformations écologiques et numériques : nous permettrons ainsi une bien meilleure appropriation politique et une mise en œuvre plus rapide. Alors nous pourrons mobiliser la plus grande ressource cachée de la zone euro : son excédent d’épargne de 370 milliards d’euros en 2023 ix . Et alors l’Union de financement européenne pourra être une des réponses à l’IRA américaine. 

Reste le troisième levier qu’est la repriorisation de nos financements publics. Face au niveau élevé de la dette publique, l’Europe a besoin d’une stratégie budgétaire de moyen-terme, et d’un cadre de stabilité commun pour retrouver de la marge de manœuvre. Je salue l’adoption au Conseil Ecofin le 20 décembre dernier de nouvelles règles européennes, même si elles restent hélas complexes. L’essentiel est maintenant de les appliquer, et donc pour la France de respecter ses engagements budgétaires d’ici 2027 : ce serait très nouveau et très bienvenu. En parallèle de cette discipline nationale retrouvée, une capacité budgétaire commune serait alors légitime pour diriger les ressources vers les biens publics européens. 

Je conclurai avec Henri Bergson : « L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire. » Alors, au risque d’être minoritaire, je souhaite ardemment que chacun de nous, notre pays, notre Europe puisse attaquer 2024 sous le signe de la confiance, et non de la peur. Non pas la peur de subir, mais la confiance dans nos atouts, et dans notre volonté d’agir. Bonne année à vous et à tous ! 

 

iInsee, estimation provisoire du taux d’inflation en décembre (en glissement annuel et en indice harmonisé IPCH)
iiRatio de liquidité à court terme : LCR (liquidity coverage ratio)
iiiL’utilisation de la marge de flexibilité reste nettement en dessous du plafond de 20%, à 14,3 % au troisième trimestre 2023
ivHaut Conseil de Stabilité financière, communiqué de presse, 4 décembre 2023
vVilleroy de Galhau, F., Le réveil de l’Europe et le moteur franco-allemand, discours, 12 décembre 2023 
viDe l’ordre de 7% du PIB selon une récente étude du FMI, Geoeconomic fragmentation: what’s at stake for the EU, 30 novembre 2023
viiSelon la Commission européenne, la transformation verte et la transformation numérique nécessiteront respectivement des investissements de 620 et 125 milliards d’euros par an jusqu’en 2030. 
viiiLagarde (C.), Une révolution kantienne pour l’union des marchés de capitaux, discours, 17 novembre 2023 
ixCommission européenne, Prévisions économiques de l’automne 2023Annexe statistique, novembre 2023