Discours

Le réveil de l’Europe et le moteur franco-allemand

Les intervenants

François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

12 Décembre 2023
François Villeroy de Galhau intervention

Frankfurt School of Finance and Management – 12 décembre 2023

Discours de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Chers étudiants, chers professeurs, Mesdames et Messieurs,

C’est un grand plaisir d’être parmi vous aujourd’hui et je tiens à remercier chaleureusement l’ancien président de la Bundesbank, Jens Weidmann, ainsi que le professeur Emanuel Mönch pour leur invitation. Lieber Jens, je suis très heureux d’être avec vous ce soir, certes dans des circonstances différentes de celles que nous avons vécues pendant six ans ici à Francfort, lorsque le placement par ordre alphabétique au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE nous a amenés à être assis presque côte à côte lors des réunions. Nous avons partagé beaucoup de choses, tout en forgeant notre compréhension mutuelle et, plus important encore, notre amitié. Ce soir, nous sommes à la veille d’une réunion de politique monétaire du Conseil des gouverneurs et en « période de réserve ». En d’autres termes, dans ce discours je n’évoquerai pas la politique monétaire. Permettez-moi seulement de rappeler qu’après avoir atteint un pic à 10,6 % en octobre 2022, l’inflation a nettement ralenti pour s’établir à 2,4 % dans la zone euro le mois dernier i

Avec le recul, l’euro s’est révélé remarquablement stable au fil du temps, l’inflation s’établissant à 2,1 % en moyenne depuis son introduction en 1999 ii , par rapport à 4,9 % au cours des deux décennies précédentes. Et la monnaie unique a permis de protéger le pouvoir d’achat des citoyens européens, qui a augmenté de presque 17 % depuis 1999. L’euro inspire confiance, valeur fondamentale d’une monnaie, et s’est révélé être un succès populaire. D’après le dernier sondage Eurobaromètre flash, mené en octobre, 79 % des citoyens de la zone euro (et 80 % en Allemagne) sont favorables à l’euro, contre 63 % il y a dix ans. L’euro représente « l’Europe dans la poche des citoyens », et la forme la plus concrète et la plus avancée de l’intégration européenne. 

Ce soir, je souhaiterais précisément mettre l’accent sur l’Europe et sur le moteur franco-allemand. Ces deux aspects me tiennent particulièrement à cœur puisque je suis 100 % français, mais également 100 % de Sarre, où ma famille a ses racines... et, par conséquent, 100 % européen. Avec Joachim Nagel, qui a succédé à Jens en tant que président de la Bundesbank, nous avons récemment publié une tribune conjointe iii  demandant une relance du moteur européen, 60 ans après le traité de l’Élysée.

Et soyons lucides : ni l’Europe, ni le couple franco-allemand ne sont aujourd’hui au mieux de leur forme. La faiblesse européenne est la résultante de trois crises au moins : la crise géopolitique à l’évidence, avec le retour de la guerre sur notre continent ou à son très Proche-Orient. La crise démocratique ensuite : dans chacun de nos pays occidentaux, les citoyens sont en défiance, le leadership politique apparaît diminué, les populismes montent élection après élection – y compris récemment aux Pays-Bas, pourtant l’économie la plus performante d’Europe. Et enfin la crise économique et sociale : même si nous avons échappé au scénario noir de la récession européenne, nos concitoyens – à commencer par les plus modestes – ressentent durement l’inflation comme ayant entamé leur niveau de vie. Les chiffres s’améliorent de manière significative, la perception négative demeure. 

Les prochaines élections européennes en juin pourraient agir comme un révélateur de cette crise européenne, ou même comme un détonateur, selon une vue plus pessimiste. Dans chaque pays, la tentation pour l’opinion publique, et pour chacun de nos gouvernements affaiblis – à commencer par l’allemand et le français – est de se replier sur ses seuls problèmes domestiques, et je ne nie pas leur poids. Mais je crois profondément que ce serait une erreur : à la crise européenne, il n’est d’issue que par le haut, et non par le bas. C’est ce que je voudrais développer ce soir, dans l’ordre économique qui est le mien : (I) parce que nos défis sont plus que jamais communs (II) parce que nous avons aussi les solutions, si et seulement si nous agissons ensemble.

I. L’Europe doit réussir ses trois transformations économiques

Alors que certaines des crises de notre passé récent – y compris celle de l’inflation – s’estompent progressivement, libérons-nous de la tyrannie de l’urgence pour mieux nous saisir des trois défis structurels qui nous attendent. Ils sont tous d’une importance directe pour vous, la jeune génération : la transformation du travail, et les transformations numérique et verte. Et ils impliquent tous une moindre dépendance à l’égard des autres continents, et un plus grand recours à nos propres ressources – appelons cela avoir une plus grande « autonomie stratégique » pour gérer les tensions géopolitiques de 2023. 

1. La transformation du travail 

L’Allemagne est connue pour son bilan remarquable en matière d’emploi : durant deux décennies jusqu’en 2019, le taux d’emploi a augmenté deux fois plus vite que celui de la France par exemple iv , entraînant un écart considérable. Ces dernières années, la France a néanmoins commencé à combler cet écart, grâce aux réformes de la législation du travail, de l’assurance chômage et du système d’apprentissage. Malgré ces améliorations récentes, et la création de plus d’un million d’emplois depuis fin 2019, le taux de chômage se situe toujours à 7,4 %, loin du plein emploi, tandis que les difficultés de recrutement continuent d’affecter près de la moitié (45 %) des entreprises françaises. Afin de combler cet écart, une priorité élevée doit être donnée au développement rapide des compétences – en particulier les compétences scientifiques. Comme vous le savez tous, il existe une très forte corrélation entre croissance économique et éducation. En Europe, nous disposons de certaines des meilleures structures d’éducation. Toutefois, comme le montrent les scores de la dernière enquête PISA publiée la semaine dernière v , la crise Covid a eu un impact négatif sur l’enseignement et les performances dans de nombreux pays de l’OCDE : les résultats en mathématiques, en lecture et en sciences ont tous chuté en Allemagne et en France par rapport à 2018. Mais dans une perspective de long terme, l’Europe du Sud – y compris mon pays – peut s’inspirer de l’Europe du Nord, qui a généralement été en mesure de maintenir des normes plus élevées de réussite scolaire. La formation professionnelle est un autre facteur de croissance car les emplois de demain seront encore plus fluctuants qu’aujourd’hui. Prenons l’exemple des spécialistes du numérique : en 2022, leur nombre s’élevait à 9,4 millions, en hausse par rapport à 7,8 millions en 2019, mais encore bien en deçà de notre objectif de 20 millions d’ici 2030 vi .

En outre, la transformation du travail va de plus en plus renvoyer pour nos deux pays à des exigences communes. La première mutation est psychologique et managériale. Au-delà du nécessaire enrichissement collectif par le travail, nous devons trouver la voie d’un enrichissement du travail. Je ne crois pas – contrairement à ce qu’on entend souvent – que les jeunes – votre génération–, ou les Européens en général, « ne veulent plus travailler » après le Covid ; mais reconnaissons que celui-ci a agi comme un révélateur, et un amplificateur, d’un changement des motivations pour le travail. L’irruption plébiscitée du télétravail, une grande demande d’autonomie et de mobilité professionnelle ainsi que la forte inspiration à un sens du travail sont autant de leviers possibles : aucun d’entre eux n’est évident pour les employeurs, mais ceux-ci aussi devront changer. 

La seconde mutation est aujourd’hui la rareté de l’offre de travail, après l’ère de son excès qu’était le chômage élevé. Les pays européens seront bientôt directement confrontés au vieillissement démographique : le point de bascule, où la population en âge de travailler commencera à diminuer, est attendu dès 2024 en Allemagne et 2028 en France vii . Ce problème quantitatif soulève également des questions qualitatives, en particulier sur la façon dont les femmes (et les hommes) peuvent concilier plus efficacement leur travail avec d’autres impératifs, en s’appuyant sur les recherches menées par Claudia Goldin, qui a reçu le prix Nobel d’économie cette année. Cette transformation du travail serait décisive car elle permettrait à l’Europe d’augmenter son taux de croissance potentielle. Plus globalement, la question de la productivité occupe de nouveau une place centrale, ce qui m’amène à notre deuxième transformation – la transformation numérique.

2. La transformation numérique 

Nous devons combler notre retard technologique vis-à-vis des États-Unis et, désormais, de la Chine également. En termes d’innovation, en témoigne le nombre de brevets portant sur les TIC (technologies de l’information et de la communication), qui était presque deux fois plus élevé aux États-Unis qu’en Europe entre 2014 et 2018. À l’évidence, toutes les grandes Bigtechs sont américaines ou chinoises, pas européennes. Cela vaut également en termes d’adoption : les entreprises, en particulier les PME, ont tendance à afficher des niveaux de numérisation plus faibles par rapport aux États-Unis, et partant une plus faible croissance de la productivité globale des facteurs. 

Les évolutions continues des nouvelles technologies, et en particulier les tendances actuelles en matière d’intelligence artificielle (IA), ouvrent quant à elles de nouvelles perspectives viii . Beaucoup s’inquiètent de la manière dont l’IA générative impactera certaines professions et bouleversera les marchés du travail. En effet, pour certaines tâches, il est probable que l’IA permette au capital de remplacer la main-d’œuvre à court terme. Mais l’IA stimulera la productivité, faisant ainsi baisser les prix des biens et croître la demande. C’est pourquoi j’ai tendance à être un « techno-optimiste » prudent : l’approche la plus sage, tirée de l’histoire économique, est de considérer l’IA comme une potentielle nouvelle révolution technologique conduisant traditionnellement à une « destruction créatrice », pour citer Joseph Schumpeter, et donc comme une opportunité plutôt que comme une menace. Il s’agit à la fois de réguler l’IA et de la développer, plutôt que de la craindre. 

L’enjeu est donc de savoir comment nous pouvons aider les services numériques européens à changer d’échelle afin de devenir des acteurs mondiaux. Une condition préalable à cela est l’essor du capital-risque dans l’UE, qui reste cinq fois moins développé qu’en Amérique du Nord ix

3. La transformation verte

Nous avons tiré des leçons difficiles de notre dépendance passée aux hydrocarbures russes : l’impératif d’autonomie stratégique s’ajoute à la menace avérée du réchauffement climatique. Cela signifie que nous devons réduire notre consommation de combustibles fossiles et importés. L’Europe a pris des engagements forts en ce domaine, premièrement avec la réforme en cours du marché de l’électricité de l’UE, qui encourage les investissements dans les énergies renouvelables grâce à des contrats à long terme, et deuxièmement avec l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Ce chemin est défini très concrètement par le paquet « Ajustement à l’objectif 55 » de l’UE, qui vise à réduire d’au moins 55 % les émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2030. La France et l’Allemagne partagent bien évidemment le même objectif d’un mix énergétique décarboné, indépendant et compétitif. Mais elles divergent sur les moyens d’y parvenir : la France ne renoncera pas à l’énergie nucléaire et utilisera les énergies renouvelables en complément, tandis que l’Allemagne a commencé sa sortie définitive de l’énergie nucléaire. Comme nous ne parviendrons pas à surmonter ces différences, nous devons les accepter, plutôt que de les exporter au reste de l’Europe.

Réussir une transformation énergétique radicale nécessite une adaptation considérable de tous les agents économiques. La mise en place de mesures d’incitation de marché appropriées est primordiale. Je dois ici rappeler une évidence économique, même si elle est politiquement impopulaire : un prix du carbone plus élevé est indispensable. Les États-Unis de Joe Biden ont pris un autre chemin : leurs efforts en matière de réglementation et de subvention publique – le fameux IRA (Inflation Reduction Act) – vont dans la bonne direction, mais ne suffiront pas. Quelle qu’en soit la forme – quotas payants d’émission, taxation, etc. –, un pricing du carbone devrait être global – pas seulement national –, et socialement équitable : l’Europe doit inlassablement plaider pour cette « nouvelle frontière ». Une tarification du carbone est nécessaire pour aligner le comportement des entreprises, mais également développer le financement privé, via des rendements attrayants sur les investissements verts. Ceci m’amène à nos solutions européennes partagées. 

II. L’Europe a les solutions pour réussir, si elle agit unie   

Sur les défis, les Européens sont probablement d’accord. Mais quand on en vient aux solutions, un sentiment d’impuissance menace, l’Europe étant prisonnière de ses agendas trop domestiques et trop court-termistes. Cet engourdissement européen est d’autant moins supportable face à la vitesse américaine x , et à l’affirmation chinoise. Mais il n’est nullement une fatalité : à partir de la fin du 19e siècle, l’Europe a construit un narratif politique unique, conciliant croissance économique et justice sociale au sein d’un « modèle social européen » pionnier – ou « soziale Marktwirtschaft ». Le narratif européen du 21e siècle – pour nos concitoyens comme pour le reste du monde – devrait être de trouver comment concilier croissance et soutenabilité, prospérité et écologie. Et pour tenir cette promesse, je suis fermement convaincu que nous devons activer le plein potentiel de deux leviers économiques puissants : le marché unique et l’Union de financement.

a) Le marché unique

Le marché unique est souvent considéré comme appartenant au passé, un grand héritage économique de Jacques Delors. Au contraire, le marché unique est clairement un sujet d’avenir : c’est l’un des marchés les plus vastes au monde, mais il n’a pas encore été pleinement exploité. Un marché unique plus profond permettrait d’utiliser la combinaison unique d’innovation et de forces de production manufacturière dont bénéficie l’UE, renforçant ainsi la croissance ainsi que la résilience dans un monde fragmenté. Dans une étude récente, le FMI xi  estime que la réduction des obstacles et des frictions internes, par exemple en harmonisant les taxes et subventions d’un pays à l’autre, engendrerait d’importants effets sur le bien-être, de l’ordre de 7 % du PIB. Cela bénéficierait à la fois aux pays producteurs et aux pays innovants, et aux pays du Nord comme aux pays du Sud.

Sur cette base, Gita Gopinath, première directrice générale adjointe du FMI, a formulé des recommandations fortes dans un récent discours à Berlin xii. Il existe en effet une large marge de manœuvre pour renforcer l’intégration au sein de l’UE et, je la cite, « une meilleure harmonisation des taxes et des subventions entre les pays renforcerait l’investissement dans les infrastructures transfrontières et découragerait des arbitrages selon les « aides d’État ». Au contraire, la récente multiplication des mesures nationales, notamment face au choc sur les prix de l’énergie, risque de porter atteinte au marché unique en donnant aux pays qui apportent un soutien budgétaire important à leurs secteurs un avantage compétitif par rapport aux autres pays de l’UE ». Je voudrais faire écho à cet appel : le contrôle des aides d’État dans l’UE ne constitue pas un fardeau bureaucratique ; c’est une condition essentielle pour parvenir à une allocation équitable et optimale des ressources au sein de notre marché unique. Il devrait à présent être intégralement réinstauré.

« Le domaine de la décarbonation en est le meilleur exemple. Compte tenu des externalités liées aux émissions de carbone, des objectifs de décarbonation devraient être fixés au niveau de l’UE, plutôt qu’au niveau de chaque pays membre, afin de garantir que les efforts soient concentrés là où les coûts d’abattement marginaux sont les plus bas dans l’UE. Cela garantira les réductions d’émissions les plus importantes possibles pour un montant donné d’investissement vert. Les gouvernements ont sans doute un rôle à jouer en intervenant pour réduire l’exposition au risque lié à l’approvisionnement en énergie et pour ralentir le changement climatique, notamment en soutenant la production d’énergie renouvelable et en mettant en place l’infrastructure critique de réseaux intelligents et de stations de recharge pour les véhicules électriques. Pour financer ces interventions, une capacité budgétaire centrale à l’échelle de l’UE, de taille significative, peut permettre de garantir que les ressources seront dirigées là où leur apport sera le plus bénéfique, et non là où les gouvernements sont davantage en mesure et désireux d’apporter un soutien public ».

Les gouvernements nationaux doivent éviter de créer des avantages compétitifs au détriment d’autres pays de l’UE. Nous devons plutôt canaliser nos forces en faveur d’une politique industrielle véritablement européenne, soutenue entre autres par des partenariats public-privé, et accroître les investissements dans des infrastructures transfrontières. Pour y parvenir, la politique européenne en matière de concurrence doit être orientée de façon plus stratégique. Nous devrions notamment avoir pour cible un marché numérique unique, qui combinerait régulation, financement et développement des talents. 

b) Une union pour le financement

L’idée reçue est que les trois transformations précitées sont souhaitables, mais non finançables. Je voudrais ici la réfuter. 

La transition climatique sera de loin celle qui nécessitera la plus forte intensité en capital. Les montants impliqués peuvent sembler impressionnants, en particulier lorsqu’ils sont présentés en termes absolus : possiblement environ 620 milliards d’euros supplémentaires par an dans l’UE jusqu’en 2030 selon les dernières estimations de la Commission européenne xiii . Cela représente jusqu’à 3,9 % du PIB de l’UE, que le secteur public ne peut financer que partiellement en raison du niveau élevé de la dette publique. À cet égard, l’Europe a besoin d’un cadre de stabilité commun pour retrouver une certaine marge de manœuvre, avec de nouvelles règles budgétaires espérées dans les tout prochains jours : permettez-moi d’insister sur le fait que nous avons besoin de règles, qui soient à la fois pragmatiques et pas trop complexes. 

La transition climatique peut être financée, sous réserve d’une condition préalable indispensable : que le secteur privé supporte l’essentiel de l’effort financier, et que nous libérions les flux transfrontières de capitaux pour la transition. Il s’agit de l’argument le plus fort en faveur d’une Union verte des marchés de capitaux (UMC), pour laquelle j’ai également plaidé dès 2019 avec Jens Weidmann xiv , et plus récemment avec Joachim Nagel xv . Mais pourquoi ne faisons-nous pas davantage de progrès ? Je suis tout à fait d’accord avec la présidente de la BCE Christine Lagarde sur le fait que l’Europe devrait opérer une « révolution kantienne » de notre approche à l’égard de l’UMC xvi . Comme elle l’a souligné avec force, Emmanuel Kant affirmait que ce n’est pas le monde qui crée notre perception mais bien notre perception – et notre volonté – qui détermine notre expérience du monde. En langage UMC : dépassons les détails relativement techniques et « ascendants » du plan d’action actuel et osons une grande ambition politique « venant du haut ». Une finalité supérieure – financer les transitions verte et numérique – permettrait une bien meilleure appropriation et favoriserait une mise en œuvre plus rapide. 

De son côté, la transformation numérique nécessitera 125 milliards d’euros supplémentaires chaque année. Un financement mixte est nécessaire pour ces deux transformations : la bonne combinaison de financement public et privé pourrait nécessiter plus spécifiquement un type de contrat d’investissement qui encourage le financement privé dans le sillage du financement public. 

En outre, l’Union bancaire, qui a jusqu’à présent été mise en œuvre pour moitié seulement, est un complément naturel de l’UMC. J’appelle, haut et fort, à une « Union pour le financement vert et numérique ». Ensemble, les banques et les marchés de capitaux paneuropéens constitueront un puissant vecteur permettant aux fonds de circuler librement dans la zone euro, en particulier pour l’utilisation de l’excédent d’épargne rapporté à l’investissement dans la zone euro qui devrait s’élever en 2023 à environ 370 milliards d’euros, soit 2,6 % du PIB xvii

Dans le cadre d’une UMC, il est nécessaire d’augmenter l’offre d’actifs sûrs libellés en euros. Après le lancement bienvenu en 2021 du programme Next Generation EU (NGEU), un premier pas vers une approche unifiée pour le financement des emprunts de l’UE a été franchi par la Commission en 2023. Dans le cadre de cette approche, les obligations xviii  peuvent être émises sous l’appellation unique « obligations de l’UE », ce qui a pour intérêt d’éviter la fragmentation et de renforcer la liquidité des émissions. Mais il est nécessaire d’aller beaucoup plus loin, en visant à combiner les émissions de la Commission, du Mécanisme européen de stabilité (MES) et peut-être de la Banque européenne d’investissement : le gisement serait de 1100 milliards d’euros, et nous créerions alors de véritables gisement et référence européens. 

 
Je terminerai en citant un grand Américain, né Allemand, qui vient de mourir. Henry Kissinger est réputé avoir posé la question « Qui dois-je appeler si je veux appeler l’Europe? » (« Who do I call if I want to call Europe? »). La citation exacte semble apocryphe, mais l’interrogation demeure : celle du leadership en Europe, et plus encore celle du leadership de l’Europe. Le monde dangereux de 2023 a besoin du réveil de l’Europe, puissance de paix et de coopération. Les Européens inquiets de 2023 ont besoin du réveil de l’Europe, si nous voulons tenir notre promesse d’une prospérité durable. Pour ce réveil de l’Europe, j’ai proposé devant vous quelques solutions économiques communes. Je souhaite qu’elles fassent partie du débat des élections européennes ; je souhaite tout autant qu’elles nourrissent une ambition franco-allemande commune. Nous diviser entre France et Allemagne, ce serait nous condamner, et condamner l’Europe à l’inexistence. Mais nous rapprocher sur un agenda pragmatique, nous avons su le faire en 1950 face au défi de la reconstruction, et en 1990 face au défi de la réunification. Si nous y parvenons face au défi actuel de l’autonomie stratégique, nous saurons commencer à répondre à la question de Kissinger.
 

iEurostat, estimation provisoire de l’inflation totale au mois de novembre 2023
iiMoyenne des taux d’inflation en glissement annuel entre janvier 1999 et octobre 2023
iiNagel (J.) et Villeroy de Galhau (F.), Gedanken für französisch-deutschen Freundschaft, Le couple franco-allemand est nécessaire, tribune conjointe, 13 novembre 2023
ivEnviron 1 % par an entre 1998 et 2019, contre 0,5 % en France
vOECD, Résultats du PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) 2022, 5 décembre 2023
viCommission européenne, Décennie numérique de l’Europe : objectifs numériques pour 2030
viiOECD, Projections de la population
viiiPar exemple pour la synthèse, l’extraction et la classification d’informations, ou encore la génération de texte ou de code informatique
ixBruegel, Venture capital: a new breath of life for European entrepreneurs?, 10 février 2022
xVilleroy de Galhau, F., Europe’s growth gap: reconciling Keynes and Schumpeter, conférence de haut niveau, Collège d’Europe, Bruges, 31 mars 2021​​​​​​​
xiFMI, Geoeconomic fragmentation: what’s at stake for the EU, 30 novembre 2023​​​​​​​
xiiGopinath (G.), Europe in a fragmented world, discours, 30 novembre 2023
xiiiCommission européenne, 2023 Strategic foresight report, juillet 2023​​​​​​​
xivVilleroy de Galhau (F.), et Weidmann (J.), Vers une véritable Union des marchés de capitaux, 4 avril 2019
xvVilleroy de Galhau (F) et Nagel (J.), Le temps est venu d’une véritable Union des marchés de capitaux, publié en français dans Les Echos et en allemand dans Handelsblatt le 14 novembre 2022
xviLagarde (C.), Une révolution kantienne pour l’union des marchés de capitaux, discours, 17 novembre 2023 
xviiCommission européenne, Prévisions économiques de l’automne 2023 – Annexe statistique, novembre 2023​​​​​​​
xviiiPar exemple pour le financement du programme de relance NGEU et de l’assistance macrofinancière en faveur de l’Ukraine