Discours

Lancement du cadre conceptuel du NGFS visant à « guider l’action des banques centrales et des superviseurs en matière de risques liés à la nature »

Intervenant

François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

7 Septembre 2023
François Villeroy de Galhau intervention

Paris, 7 septembre 2023

Discours de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Il y a un an, nous étions ensemble à Amsterdam pour une conférence pionnière sur la biodiversité du point de vue des banques centrales et des superviseurs. À l’époque, notre connaissance des risques liés à la nature était à peu près la même que celle sur le changement climatique quelques années auparavant, et nous avons reconnu la nécessité d’affiner notre compréhension et notre méthodologie. En effet, notre dépendance économique vis-à-vis des ressources naturelles telles que l’eaui, et plus généralement des services fournis par la nature et, dans le même temps, l’impact de nos économies sur la nature, deviennent de plus en plus évidents et sont de plus en plus documentés. Comme Ravi Menon, président du NGFS, l’a souligné récemment, « de même que la crise climatique, la crise de la nature constitue le défi existentiel de notre époque. Nous ne pouvons pas nous concentrer sur l’une et espérer que l’autre se résoudra d’elle-même »ii.

Le nouveau cadre conceptuel publié ce jour par le NGFS marque donc une étape importante. Il offre un langage commun et dessine les contours d’une méthode commune permettant d’évaluer les risques financiers liés à la nature et de garantir la cohérence et la cohésion de nos travaux collectifs. La compréhension commune à laquelle nous sommes parvenus ensemble est fondée sur la science et vise à remédier aux lacunes en matière d’évaluation des implications économiques et financières des risques liés à la nature. Comme Frank Elderson l’a récemment déclaré, « il ne s’agit pas de ‘Flower Power’ ou d’étreindre des arbres. C’est de l’économie pure »iii.

Selon une estimation, inverser la perte de biodiversité pourrait nécessiter environ 500 milliards de dollars par an jusqu’à 2030, alors que le monde dépense actuellement moins de 150 milliards de dollars dans la conservation de la nature et que les subventions préjudiciables à l’environnement représentent 300 milliards de dollarsiv. Quels que soient les chiffres exacts, l’écart est tel qu’il est d’autant plus important que les acteurs financiers commencent à agir face aux risques liés à la nature afin de réorienter les flux financiers aveugles à la nature. À la Banque de France, nous avons commencé à agir via notre politique d’investissement durable en nous associant à un fournisseur de données afin de réaliser une évaluation détaillée de l’impact sur la biodiversité des composantes actions et obligations d’entreprises de nos portefeuilles non monétaires.  

Image Banque de France non-monetary policy portfolios' biodiversity impact
Banque de France non-monetary policy portfolios' biodiversity impact

Comme vous pouvez le voir, l’impact de nos portefeuilles d’actions sur la biodiversité a diminué en 2022 par rapport à 2021, ce qui est une bonne nouvelle. Il s’agit là d’une démonstration forte de l’engagement ferme de la Banque de France en matière environnementale, et de l’impact concret des décisions prises pour réallouer en conséquence les montants que nous investissons. C’est une première étape, mais tout voyage a un début.

Permettez-moi de féliciter vivement Emmanuelle Assouan et Marc Reinke, les deux coprésidents du groupe de travail ainsi que l’ensemble de ses membres pour cette étape décisive. Grâce à eux, le NGFS a posé les fondements qui permettront aux banques centrales et aux superviseurs de commencer à prendre en compte de manière opérationnelle la dégradation de la nature dans notre mandat. Leurs travaux peuvent nous donner l’assurance que nous apporterons des réponses aux six défis et étapes suivants :

  1. Certains soulignent la nécessité d’une plus grande certitude dans les méthodologies pour donner le coup d’envoi, en argumentant que ce sujet est nouveau, trop complexe, en raison de la complexité des processus naturels, de leur forte dimension locale, ou de l’absence d’une métrique unique liée à la nature qui soit comparable à l’équivalent CO2. Et nous devons reconnaître en toute honnêteté ce que nous ignorons encore, comme je l’ai fait l’année dernière, ainsi que nos lacunes en matière de données et de scénariosv. Mais incertitude ne devrait pas et ne peut pas signifier inaction. Nous pouvons capitaliser sur nos travaux sur le climat pour sauter certaines étapes.
  2. Certains sceptiques voudraient également nous faire croire qu’il existe un arbitrage entre action pour la nature et action pour le climat. À l’évidence, le climat demeure la priorité numéro un ; de précédents travaux du NGFS ont clairement établi l’importance des risques climatiques pour les banques centrales et les superviseurs. En dépit de l’impact croissant du changement climatique, je crains que cette priorité ne s’estompe, comme nous l’observons dans nos dernières discussions internationales et au G20, en raison également de la polarisation accrue des débats politiques autour des questions climatiques et environnementales aux États-Unis. L’Europe est en avance ; le reste du monde ne doit pas se laisser distancer. Mais en tant que banquiers centraux et superviseurs chargés de la stabilité financière et de la stabilité des prix, nous savons que les problèmes complexes et interdépendants entre climat et nature doivent être gérés conjointement : le cadre d’analyse approfondit cette question dans sa « Phase 1 » consacrée à l’identification des risques physiques et de transition.
  3. Afin d’évaluer correctement les risques liés à la nature, les acteurs financiers ont par conséquent besoin de disposer des bons outils et des bonnes métriques, et de nouveaux travaux seront nécessaires pour les choisir ; au-delà de l’abondance moyenne des espèces (Mean Species Abundance) par kilomètre carré utilisée actuellement, nous devons aller plus loin, car tous les risques liés à la nature ne sont pas pris en compte par cet indicateur relatif à la biodiversité – je pense par exemple à la disponibilité de l’eau. Et les professionnels ont également besoin de concepts partagés et d’un langage commun. Les travaux du NGFS fournissent un premier socle commun pour comprendre, en s’appuyant sur la science, comment les risques liés à la nature peuvent affecter l’économie et le système financier.
  4. Les nouvelles étapes futures comprennent l’élaboration de scénarios dédiés – une tâche difficile, car il s’agit de s’assurer qu’ils intègrent les aléas qui nous exposent au risque le plus élevé ou le plus significatif. Parmi les différents risques physiques possibles, nous allons devoir évaluer si nous devrions d’abord nous concentrer sur le dépérissement de l’Amazonie, sur les sécheresses dans les pays à hauts revenus ou sur la baisse de rendement des cultures dans le monde. S’agissant des risques de transition, comprendre les perturbations potentielles associées à la suppression des subventions préjudiciables à l’environnement et/ou à la protection de 30 % des terres et des océans, comme convenu dans l’accord Kunming-Montréal, constitue un défi. Le NGFS travaille actuellement à l’élaboration de narratifs appropriés, mais également à l’évaluation de la capacité des modèles existants à quantifier ces narratifs, en prenant en compte non seulement les impacts directs, mais également les impacts indirects le long des chaînes de valeur. Les résultats de ces travaux devraient être publiés en décembre et ouvriront la voie au développement de scénarios liés à la nature pertinents pour le secteur financier. Le développement de ces scénarios constitue une priorité, dans la mesure où ils sous-tendront les tests de résistance liés à la nature que nous devrons réaliser, nous le savons, d’ici quelques années, comme c’est le cas aujourd’hui pour le climat.
  5. Des recommandations sur les façons de corriger les biais actuels des modèles économiques, qui tendent à supposer que les contributions de la nature aux activités économiques peuvent être remplacées par davantage de capital industriel et de main-d’œuvre, et qui sont donc largement incapables d’évaluer les effets de nombreuses tendances ou de nombreux aléas physiques et de transition potentiels, ce qui pourrait nous mettre en porte à faux avec les conclusions scientifiques. Ces recommandations seront présentées dans le rapport mentionné précédemment, qui sera publié d’ici la fin de l’année.
  6. Enfin, et surtout, la coordination sera essentielle, car les risques liés à la nature sont un problème mondial – nous avons la chance d’avoir Klaas Knot ici avec nous, en tant que président du CSF (Conseil de Stabilité financière). Nous devons travailler ensemble, dans les secteurs public et privé, par-delà des frontières. Je réaffirmerai simplement une priorité à court terme : nous avons besoin de normes interopérables concernant la nature afin de faciliter et d’amplifier les actions prudentielles. L’International Sustainability Standard Board (ISSB) vient de clore une consultation publique sur son agenda futur, dans laquelle il était notamment proposé de se concentrer sur la biodiversité, les écosystèmes et les services écosystémiques. Dans le même temps, la Commission européenne a finalisé en juillet sa norme de déclaration relative aux exigences en matière de publication d’informations liées à la biodiversité et aux écosystèmes, sur la base des travaux du Groupe consultatif pour l’information financière en Europe (European Financial Reporting Advisory Group, EFRAG). J’espère que les travaux entrepris par la Commission et l’EFRAG, mais également par le NGFS, constitueront une source d’inspiration pour l’ISSB.

Permettez-moi de conclure en citant Theodore Roosevelt, 26e Président des États‑Unis qui attachait une grande importance à la préservation des ressources naturelles de son pays – une pensée novatrice à cette époque-là, ce qui l’a conduit à créer de nombreux programmes de préservation de la faune et de la flore.

Dès 1907, Theodore Roosevelt écrivait que « gaspiller, détruire nos ressources naturelles, surexploiter et épuiser la terre au lieu de l’utiliser de manière à accroître son utilité aura pour résultat de compromettre, le temps de nos enfants venu, cette prospérité que nous nous devons de leur transmettre, amplifiée et renforcée ». Nous sommes au XXIe siècle, il est grand temps de prendre soin de nos ressources naturelles, dans l’intérêt de nos enfants – et du nôtre. Je vous remercie de votre attention.

 

iVilleroy de Galhau, F., Biodiversité, macroéconomie et finance : ce que nous savons, ce que nous ne savons pas encore et ce que nous devons faire, discours, 29 septembre 2022
iiS&P Global (2021). Water stress is the main medium-term climate risk for Europe’s biggest economies
iiiMenon, R., Bending the curve of nature loss (allocution prononcée lors de la COP15 Finance and Biodiversity Day), 14 décembre 2022
ivElderson, F., Interview au Financial Times, 8 juin 2023
vDeutz et al. (2020). Financing nature: Closing the global biodiversity financing gap. The Paulson Institute, The Nature Conservancy, and the Cornell Atkinson Center for Sustainability