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Une approche européenne de la simplification : éviter trois idées fausses et proposer quelques jalons concrets
Intervenant

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 11 Avril 2025

Eurofi
Varsovie, 11 avril 2025
Discours de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de participer à ce sommet Eurofi ici à Varsovie, lieu de naissance de Marie Skłodowska-Curie, scientifique franco-polonaise renommée et double lauréate du prix Nobel. Elle est aussi une grande figure européenne et l’une des personnalités actuellement présélectionnées pour figurer sur les futurs billets en euros. Permettez-moi de débuter par une forte conviction sur l’Europe, qui est notre refuge commun. Dans ce nouveau monde chaotique, nous avons un devoir absolu et une opportunité unique d’accroître notre pouvoir économique, ce qui signifie accélérer sur au moins deux solutions positives : (i) bâtir un euro numérique afin d’ancrer notre souveraineté monétaire en partenariat avec les banques commerciales, (ii) disposer maintenant d'un paquet législatif complet proposé par la Commission pour renforcer l’intégration du Marché unique et de l’Union pour l’épargne et l’investissement, à la suite des Rapports Draghi et Letta. Sur ces deux fronts, la tétanie ou la stupéfaction seraient fatales, et la vitesse est essentielle : agissons plus vite et plus fort.
Pour en revenir à la science, la stabilité financière et la réglementation bancaire doivent également s’appuyer sur la rigueur, mais aussi sur la clarté. En période d’incertitude accrue, nous ne devons pas perdre de vue le « pourquoi » fondamental qui sous-tend notre architecture réglementaire.
Je vais tout d’abord évoquer trois idées fausses et une juste conclusion en faveur de la simplification (I), avant de suggérer quelques jalons concrets pour nous engager sur cette voie (II).
1. Trois idées fausses et une juste conclusion en faveur de la simplification
1.1. Première idée fausse: nous avons besoin d’une dérégulation à l’américaine
La première idée fausse serait de suivre la voie de la dérégulation. Aujourd’hui, un vent fort souffle d’outre-Atlantique avec la tentation dangereuse d’oublier les leçons de la crise bancaire mondiale de 2008.
La dérégulation pourrait semer les graines de futures crises financières, et ce d’autant plus à un moment où les crypto-actifs et le rôle croissant des intermédiaires financiers non bancaires (non-bank financial intermediaries, NBFI) élargissent le périmètre du risque systémique. Soyons clairs, au cas où quelqu’un ici serait encore tenté de suivre l’« exemple » donné par l’équipe de M. Trump : ce serait une grave erreur. L’administration Trump s’engage sur la mauvaise voie avec son programme économique et financier – et l’instabilité financière importante déclenchée après le 2 avril en constitue une démonstration évidente. Nous ne devons pas nous engager dans un nivellement par le bas, et nous ne le ferons pas.
1.2. Deuxième idée fausse : rien ne devrait changer en Europe
La deuxième idée fausse, à l’inverse, est que rien ne doit changer – que même des ajustements modestes ouvriraient inévitablement la porte à une dérégulation plus large et reviendraient à céder au « lobbying du secteur bancaire ». Cette crainte est infondée : les régulateurs et superviseurs européens sont suffisamment compétents pour savoir où procéder à des ajustements – et où rester fermes. Dix ans après sa création, l’Union bancaire est devenue suffisamment forte pour reconnaître qu’il existe des améliorations possibles.
Au fil des années, un nombre croissant d’exigences, d’orientations et de couches techniques ont été ajoutées au cadre réglementaire.

Ce n’est pas simplement le résultat d’un aveuglement bureaucratique trop aisément décrié : les différentes autorités européennes remplissent leur mission de manière compétente et consciencieuse. Mais en Europe au moins, il existe des causes structurelles. Premièrement, on constate une accumulation de normes internationales, européennes et nationales, avec la tentation constante d’en ajouter davantage. Chaque pays souhaite également préserver sa règle antérieure, ce qui rend difficile un allégement de la charge. Il existe aussi de nombreux organismes en charge – le MSU avec son rôle microprudentiel, la BCE et le Comité européen du risque systémique (CERS) avec leur rôle macroprudentiel, le MRU pour la résolution, les agences européennes, y compris l’Autorité bancaire européenne (ABE) pour les banques, et diverses autorités nationales.
1.3. Troisième idée fausse: nous devons imposer des exigences supplémentaires aux banques européennes
La faiblesse de cette architecture européenne tient au fait qu’il n’existe pas d’autorité unique véritablement chargée d’avoir une vision holistique du niveau approprié de fonds propres.
Et il existe peut-être un postulat selon lequel une augmentation des fonds propres est toujours préférable, indépendamment du contexte ou du calibrage.
Cette dynamique résulte souvent d’une optimisation en silos : chaque autorité, agissant avec les meilleures intentions, introduit des couches de garanties supplémentaires. Une telle optimisation « locale » peut conduire à une course vers l’excellence sous optimale.
Mais en réalité, les banques européennes dans leur ensemble ne manquent ni de fonds propres ni de liquidité. Au contraire, au cours de la dernière décennie, le ratio CET1 moyen des banques européennes est passé de 12,5 % à 16,1 %.

Leur résilience a été testée et confirmée à plusieurs reprises – récemment par le biais des tests de résistance conduits en 2023, qui sont crédibles et bien reconnus par les marchés, et fondés sur un scénario très sévère, correspondant à une baisse du PIB environ deux fois plus importante que lors de la Grande récession. De plus, l’exercice 2025 en cours ancrera cette crédibilité, car il s’appuie sur un narratif intégrant une aggravation des tensions géopolitiques, avec des chocs importants, négatifs et persistants sur les échanges commerciaux et sur la confiance.
1.4. Une conclusion juste: nous avons besoin d’une approche européenne de la simplification
Ces trois idées fausses nous amènent à une conclusion plus fondée, c’est à dire la nécessité d’une approche européenne de la simplification qui soit ferme sur les objectifs, mais plus agile dans la conception. La différence par rapport à la dérégulation est de trois ordres :
Premièrement, nous nous en tenons aux objectifs fondamentaux : la stabilité financière doit rester primordiale. Le coût des crises bancaires est trop élevéi pour être traité à la légère. Il en va de même pour le changement climatique, qui n’est plus un risque éloigné, mais une réalité économiqueii. Un mot sur l’objectif de compétitivité : il est important pour l’industrie, et à juste titre; mais il existe une hiérarchie des objectifs. Tout comme la stabilité des prix est l’objectif principal de la politique monétaire, la stabilité financière doit rester notre objectif principal, avant le soutien à la croissance. Une fois cela assuré, nous devons effectivement soutenir la compétitivité.
Deuxièmement, nous nous en tenons aux normes internationales : Bâle 3 pour les banques, les orientations du CSF pour les non-banques et les cryptos. La plupart des juridictions les mettent en œuvre : le nouvel unilatéralisme américain est l’exception, et ne peut devenir la règle.
Troisièmement, la simplification consiste à réduire la complexité, et pas nécessairement les exigences. Nous devons examiner comment les règles interagissent, comment elles sont appliquées et si leur effet combiné et holistique sert vraiment l’objectif visé. Cela vaut tant pour la régulation que pour la surveillance prudentielle. La simplification n’est pas une diminution de notre ambition, mais un moyen de la rendre plus efficace.
2. S’engager sur la voie de la simplification : des jalons concrets
Dans cet esprit, permettez-moi de définir quelques jalons concrets vers une simplification européenne.
2.1. À court terme : supervision et reporting – y compris ESG
À court terme, il est possible de réduire la charge administrative des banques et des autorités compétentes.
Concernant la supervision, nous saluons l’initiative « SREP de demain » du MSU et les travaux sur la simplification du reporting. Ils constituent d’importantes avancées et doivent maintenant être pleinement mis en œuvre et renforcés. En parallèle, l’ABE a entrepris des efforts concrets pour rationaliser les textes de niveaux 2 et 3, ainsi que les exigences de reporting, avec des actions concrètes à mener d’ici fin 2025. Je salue également la décision de la Commission d’avancer à 2026 le rapport sur l’état du système bancaire dans le marché unique, en mettant l’accent sur la compétitivité.
S’agissant du reporting ESG, la direction prise par la directive Omnibus est encourageante. L’allègement de la charge de reporting est bienvenu, mais nous pouvons trouver le juste équilibre, notamment pour la directive CSRD. En particulier, pour les entreprises de taille moyenne (de 250 à 1 000 employés), un cadre de reporting approprié reste à définir. En outre, la prochaine rationalisation du premier ensemble de normes ESRS préparée par l’EFRAG devra toujours inclure les données les plus nécessaires pour faire face aux risques financiers liés au climat, telles que les informations liées au plan de transition des entités. En effet, nous soutenons fermement le développement de plans de transition crédibles pour les institutions financières. À cet égard, la cohérence entre les directives CSRD et CSDDD constitue une avancée majeure. Le report des règles sectorielles à ce stade est, selon moi, un choix raisonnable et proportionné.
2.2. À moyen terme : la réglementation
Les victoires rapides sont importantes, mais nous devons également garder à l’esprit une perspective plus large.
Comme nous l’avons souligné en février dernier dans notre lettre conjointe adressée à la Commission avec les gouverneurs de la Bundesbank, de la Banca d’Italia et du Banco de Españaiii , la simplification doit débuter par une évaluation holistique du cadre actuel. Cela pourrait ensuite mener à une discussion constructive sur les textes de niveau 1 et à un examen critique des surtranspositions (gold-plating) et des niveaux de complexité propres à l’Europe.
Si nous ne devons pas préjuger des résultats de cet examen, un certain nombre de candidats à la simplification bien connus se distinguent déjà à mon sens. Tout d’abord, en matière de résolution, la coexistence des exigences TLAC et MREL, qui constitue un cas évident de surtransposition et de complexité. Ensuite, la multiplication des seuils de déclenchement du MMD, qui génère de l’incertitude pour la planification des fonds propres. En particulier, la suppression des seuils de déclenchement du MMD basés sur le MREL et sur le ratio de levier mérite toute notre attention. En outre, il convient de conserver notre ambition de simplifier, même sur des sujets plus complexes tels que la structure du total des fonds propres et, en particulier, l’architecture macroprudentielle.
S’agissant de Bâle 3, je suis et resterai un fervent partisan de sa mise en œuvre, à une exception près : compte tenu de l’incertitude au niveau international, il me parait opportun de reporter d’une année supplémentaire, à 2027, la mise en œuvre de la révision fondamentale du portefeuille de négociation (FRTB). Ce délai devrait permettre d’ajuster une partie de la conception du FRTB. Enfin, les discussions européennes actuelles sur l’impact du plancher de fonds propres (output floor) sur les exigences au titre du pilier 2 (P2R) doivent s’inscrire dans l’esprit du texte de niveau 1 et éviter la surtransposition.
Pour conclure, nous pouvons être fiers de ce qui a été accompli depuis la crise de 2008 : le système bancaire européen est désormais plus robuste, mieux capitalisé, soumis à une supervision plus forte et mieux coordonnée, nous donnant une plus grande confiance face aux incertitudes actuelles. Nous pouvons maintenant nous pencher sur ce qui reste à faire : réduire la complexité de notre cadre sans l’affaiblir. Simplifier, ce n’est pas baisser la garde, mais renforcer nos fondations. Discutons-en ensemble, avec un peu moins de passion et de suspicion mutuelle, et un peu plus de pragmatisme dans l’action. Comme l’a dit Marie Curie : « Rien dans la vie n’est à craindre, tout est à comprendre ». Nous devons nous montrer moins craintifs et plus compréhensifs les uns envers les autres. C’est, à la différence de la récente dérive américaine, la voie européenne en laquelle je crois.
i « Par exemple, le coût médian des plus de 150 crises bancaires systémiques intervenues sur la période 1970 2017 s’établit à 6,7 % du PIB pour les économies avancées et à 10 % pour les économies de marché émergentes (Laeven et Valencia, 2020) ». Source : BIS Working Paper n° 1090. Monetary and Economic Department. Claudio Borio, Marc Farag et Fabrizio Zampolli. « Tackling the fiscal policy-financial stability nexus ». avril 2023.
ii Le coût estimé des dommages physiques liés au climat devrait passer de 5 % du PIB mondial aujourd’hui à 15 % d’ici 2050. Source : Réseau pour le verdissement du système financier (NGFS), « NGFS long-term climate scenarios – High-level Overview », novembre 2024.
iii Joint Letter from Banque de France, Bundesbank, Banca d’Italia and Banco de España, to the European Commissioner Albuquerque. 19 Mars 2025.
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Mise à jour le 22 Avril 2025