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France Inter : « L’Europe doit se réveiller et se réunir ; sinon, nous assisterons depuis le banc de touche au match économique mondial »
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 13 Novembre 2024
Le Gouverneur de la Banque de France était l’invité du « Grand entretien » de la matinale de France Inter mercredi 13 novembre 2024.
France Inter : « L’Europe doit se réveiller et se réunir ; sinon, nous assisterons depuis le banc de touche au match économique mondial »
Nicolas Demorand
Nous recevons, ce matin, le gouverneur de la Banque de France dans le grand entretien du 7/10. François VILLEROY de GALHAU, bonjour. Bienvenue sur Inter. La Banque de France a fait paraître, hier, son enquête mensuelle de conjoncture, toujours très scrutée, attendue. Il faut dire qu'on l'attendait encore plus en ce mois de novembre, qui voit les nuages s'accumuler sur le marché du travail, sur la situation budgétaire du pays. Avant de détailler les choses avec vous, faites-nous une photo à l'instant T de l'économie française. Et cette photo est-elle sombre, très sombre, noire, ou y a-t-il des éclaircies qui pointent ?
François Villeroy de Galhau
Cette enquête de terrain faite par les hommes et les femmes de la Banque de France, auprès de 8 500 entreprises et PME, dans tous les territoires, dans tous les secteurs, est le meilleur bulletin de santé de l'économie française. Le paysage n'est ni noir, ni bien sûr uniformément rose : il y a un peu toutes les nuances de couleurs. L'économie française confirme, mois après mois, une certaine résistance, une certaine résilience. La croissance trimestre après trimestre, tendanciellement, se situe autour de plus 0,2% par trimestre, ou proche de 1% par an. Il y avait eu plus que 0,2% au troisième trimestre, du fait de l'effet Jeux Olympiques, et par contre-coup, ce sera moins ce trimestre. Il y a une autre couleur qu'on peut introduire dans la photo, qui est plutôt une bonne nouvelle de l'enquête : il y a, aujourd'hui, au moins autant d'entreprises qui comptent baisser leurs prix, que les monter. Cela veut dire que l'inflation va rester modérée – elle est à 1,5% en France. Cela signifie aussi que les prix progressent maintenant moins vite que les salaires, et que nous, à la Banque centrale, allons pouvoir baisser les taux d'intérêt.
Léa Salamé
Quand les taux d'intérêt ?
François Villeroy de Galhau
Nous avons commencé à baisser les taux d’intérêt : nous étions à 4% au mois de juin, nous sommes aujourd'hui à 3,25%. Notre prochaine réunion du Conseil des Gouverneurs est le 12 décembre : nous verrons à ce moment-là, et nous avons beaucoup de réunions en 2025. Je relève qu'à 3,25%, les taux d'intérêt en Europe sont nettement plus bas qu'aux États-Unis ou en Angleterre, où ils sont à 4,75%, alors qu'on a à peu près le même niveau d'inflation. C'est une politique monétaire juste. Dernier élément de la photo : si l'enquête montre de la résilience, elle montre aussi des incertitudes. Il y a des incertitudes fortes chez les entrepreneurs, autour du débat budgétaire et fiscal en France, et désormais de la future politique américaine.
Léa Salamé
Vous avez dit beaucoup de choses, en une minute trente, on va essayer de reprendre point par point pour comprendre. Mais d'abord, sur cette photo : on reçoit ici des économistes, des analystes qui nous disent ces derniers jours, que ça va mal. En gros, l'économie a bien tenu pendant le Covid, pendant la guerre en Ukraine, la crise énergétique. Mais là, on paye la facture. Il y a un retournement hier, nous disait Éric Heyer, notamment sur le marché du travail. Et ce matin, vous, le gouverneur de la Banque de France, vous êtes vraiment aux premières loges, vous nous dites que ça tient.
François Villeroy de Galhau
Je dirais que l’économie a tenu, et qu’elle continue à tenir. Le socle tient, y compris dans l'industrie. Il y a l'aéronautique, ou l'agroalimentaire qui repart. Il faut maintenant parler de l'emploi. Je crois que c'est la préoccupation de ceux et celles qui nous écoutent.
Nicolas Demorand
Est-ce que la situation est en train de se retourner ? Le ministre de l'Industrie a prévenu qu'il y aurait plusieurs annonces de fermeture de sites industriels dans les prochains mois, que le bilan social va se compter en milliers d'emplois. La CGT évoque 200 plans sociaux, 150 000 emplois qui risquent de disparaître. On est dans ces ordres de grandeur-là ?
François Villeroy de Galhau
Je voudrais dire que je comprends l'émotion des salariés d'Auchan ou de Michelin. Un plan social, c'est toujours, face à des difficultés économiques, une décision lourde. Et je souhaite vraiment, je crois que c'est l'intention des entreprises en cause, que chacun des salariés concernés puisse être accompagné pour retrouver une solution d'emploi durable.
Sur l'emploi globalement, il faut prendre à la fois la vue longue et la vue courte. Sur la vue longue, depuis 10 ans, l'économie française a créé plus de 2 millions d'emplois. C'est une performance collective que nous avons réussie tous ensemble, qu'on oublie un peu. Il faut se rappeler qu'il y a 10 ans, le taux de chômage était à plus de 10%. Ce matin, le taux de chômage pour le troisième trimestre a été annoncé à 7,4%. Depuis le Covid, depuis la fin 2019, depuis 5 ans, il y a eu aussi 1 million d'emplois créés. C'était une performance assez remarquable.
Sur la vue courte, sous l'effet du ralentissement économique nous avons un ralentissement de l'emploi, et donc une petite remontée du taux de chômage, que nous avons prévue à la Banque de France. Il est aujourd'hui à 7,4%. C'est beaucoup plus bas que les 10% du précédent ralentissement économique.
Léa Salamé
Et que prévoyez-vous pour 2025 ?
François Villeroy de Galhau
Nos prévisions seront publiées à mi-décembre. Ce sera probablement un taux de chômage qui va remonter entre 7,5% et 8% - c'est donc une remontée modérée – avant, autour du tournant 2025-2026, de rebaisser vers 7% à terme.
Léa Salamé
C'est intéressant. Vous ne lisez pas dans une boule de cristal, mais vous donnez une tendance qui n'est pas alarmante sur le front de l’emploi.
François Villeroy de Galhau
Elle est vigilante. L'économie française n'est ni noire - comme tout le monde a tendance à le dire aujourd'hui - ni rose. Nous avons eu la crise inflationniste : bonne nouvelle, nous sommes en train de gagner. Mais, quand je regarde depuis 10 ans, il y avait deux maladies de l'économie française, c'est l'emploi et les finances publiques. Nous nous sommes bien soignés sur l'emploi, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire attention, mais nous avons fait des très gros progrès. Sur les finances publiques, par contre, il faut vraiment traiter la maladie.
Nicolas Demorand
On va y venir. Alors, regardons quelques secteurs. Êtes-vous particulièrement inquiet ou pas, pour le marché de l'automobile ? L'industrie automobile est en perte de compétitivité par rapport à l'Asie et aux États-Unis. Elle est touchée à la fois par le recul des ventes sur le continent européen, la concurrence chinoise à bas prix, la lenteur de l'électrification. En Europe, 32 000 suppressions de postes annoncées au premier semestre dans ce secteur, soit plus que pendant la pandémie de Covid. Est-ce qu'il y a là, pour vous, matière à inquiétude ?
François Villeroy de Galhau
Je ne vais pas prétendre être un spécialiste de l'économie automobile. C'est une industrie très cyclique, qui sort de très bonnes années, et, vous l'avez dit, qui affronte aujourd'hui beaucoup d'incertitudes. Qu'est-ce qui va se passer sur les véhicules thermiques, les diverses normes ? Sur la politique commerciale américaine ? Sur d'autres secteurs industriels, une des bonnes surprises de notre enquête est que l'industrie, globalement, résiste relativement bien. Par exemple, l'aéronautique, que l’on pensait sinistrée au moment du Covid, est un secteur qui va bien aujourd'hui. L'agroalimentaire est un secteur qui repart. Sur l'automobile, il y a un point d’attention.
Léa Salamé
Et sur le bâtiment ? Le bâtiment, clairement, l'activité est en repli. Les carnets de commandes ne sont pas suffisamment remplis. Vous connaissez l'adage, « quand le bâtiment va, tout va. » Là, en ce moment, vous convenez que le bâtiment ne va pas très bien ?
François Villeroy de Galhau
Le bâtiment est très important. Je vais un peu relativiser l'adage, parce qu'il y a d'autres secteurs dans l'économie. Le bâtiment est un secteur très cyclique, encore plus que l'automobile, notamment parce qu'il est très sensible à l'évolution des taux d'intérêt du crédit immobilier. Donc, quand nous avons dû monter les taux d'intérêt pour vaincre l'inflation, le bâtiment a souffert. Aujourd'hui, nous avons commencé à baisser les taux d'intérêt. Les taux d'intérêt du crédit immobilier aussi ont bien baissé. Ils étaient à plus de 4%, on est à 3,5% aujourd'hui en moyenne.
Léa Salamé
Ça reste beaucoup 3,5% quand on veut acheter.
François Villeroy de Galhau
Oui, mais il faut dire les choses honnêtement. On ne retrouvera pas les taux d'intérêt exceptionnellement bas, entre 1% et 1,5% qu'on avait au moment du Covid.
Léa Salamé
Mais est-ce qu'en 2025, on retrouvera des taux d'intérêt pour du crédit immobilier à 2,5%, 3% ?
François Villeroy de Galhau
Je ne vais pas faire de pronostics. Il y a un repère, quand on regarde les taux du crédit immobilier, je fais appel à la mémoire longue. Quand on regarde sur les 20 dernières années, le crédit immobilier est plutôt en moyenne entre 3 et 4%. La Banque de France mesure la production de crédit immobilier, et nous notons que celle-ci est repartie depuis le printemps. J'en profite pour dire, car c'est une question très souvent posée par les Français, que les banques ont, aujourd'hui, la volonté de prêter. Il peut y avoir encore des doutes. Si certains ont des projets de crédit immobilier, c'est le moment d'aller tester les banques et aussi de les mettre en concurrence pour avoir les taux les plus bas possibles.
Léa Salamé
Et puisqu'on est à la banque, une question rapide sur le taux du livret A. On sait qu'il est basé, pour moitié, sur l'évolution des prix des six derniers mois et pour une autre moitié, sur un taux d'échange entre les banques avec le recul de l'inflation. Il est inévitable que le taux du livret A baisse ?
François Villeroy de Galhau
J'essaie de suivre les règles du jeu de la République et les calendriers de la République ! Je ferai une proposition au ministre des Finances mi-janvier. Je relève que le taux du livret A, que nous avions fixé avec le ministre précédent, est aujourd'hui à 3%. Il est très bien protégé contre l'inflation qui est à 1,5%. Nous verrons au mois de janvier ce que je proposerai au vu des chiffres à ce moment-là.
Nicolas Demorand
Donald Trump a été réélu pendant la campagne. Il n'a pas fait mystère de sa volonté d'augmenter les droits de douane fortement contre la Chine, mais aussi contre l'Europe. Comment cette nouvelle donne américaine rentre en compte dans votre analyse de la conjoncture économique ?
François Villeroy de Galhau
Concernant l’élection américaine, il faut attendre un peu pour voir quelle sera la politique exacte. Mais prenons ces intentions. Le résultat de l'élection américaine augmente à la fois les risques pour l'économie mondiale, y compris pour l’économie américaine, mais aussi la nécessité pour l'Europe de se remobiliser. Ce doit être un appel au réveil.
Si je regarde du côté des États-Unis, c'est un programme économique avec du protectionnisme et un certain nombre de contradictions potentielles. Pour en citer une, il semble qu'une des causes du résultat de l'élection américaine est le poids de l'inflation passée auprès des électeurs, mais le programme de M. Trump risque de relancer l'inflation aux États-Unis. Il y a beaucoup de débats sur le protectionnisme et les droits de douane, mais à peu près tous les économistes sont d'accord pour dire que cela risque d'augmenter l'inflation aux États-Unis, et de faire baisser la croissance un peu partout dans le monde. Reste à savoir si cela baissera plus aux États-Unis, en Chine ou en Europe. Cela dépendra des modalités.
Léa Salamé
Trump n'a pas l'air d'être très inquiet de relancer l'inflation dans son pays, quand on l'écoute depuis trois-quatre jours, le message est très clair.
François Villeroy de Galhau
Je ne prétends pas vous dire ce qui se passe dans la tête du Président élu des États-Unis... Mais l'analyse convergente de la plupart des économistes est que cela risque de relancer l'inflation et de faire payer les consommateurs américains. Je ne dis pas qu'il faut que le commerce se fasse sans règles. Regardez ce qui se passe à l'intérieur de l'Europe. Nous avons le marché unique, mais nous avons aussi des règles, y compris sanitaires et environnementales : il faut un commerce ouvert avec des règles. Le protectionnisme, c'est presque toujours moins de pouvoir d'achat pour les consommateurs.
Léa Salamé
Elon Musk nommé ministre de l'Efficacité gouvernementale, un commentaire ?
François Villeroy de Galhau
Je n’ai pas beaucoup de commentaires. C'est un homme d'affaires innovant. Il a par ailleurs des méthodes qui sont ce qu'elles sont.
Nicolas Demorand
On promet 2 000 à 3 000 milliards d'économies sur les dépenses fédérales.
François Villeroy de Galhau
On promet beaucoup de choses. Nous savons aussi en France que faire des économies sur les dépenses publiques, c'est nécessaire mais ce n'est pas si facile, quand je regarde nos débats budgétaires. Il ne faut jamais sortir le carton rouge vis-à-vis de quelqu’un a priori. On verra si Elon Musk a des idées effectivement efficaces.
Nicolas Demorand
Un mot sur le Bitcoin qui dépasse désormais les 88 000 dollars, poursuivant une ascension record depuis la victoire de Trump. Comment expliquez-vous cette ascension ? Est-ce que le Bitcoin devient un actif sûr ? Il faut acheter du Bitcoin, Monsieur le Gouverneur de la Banque de France ?
François Villeroy de Galhau
Expliquer la montée du Bitcoin aujourd’hui, c’est assez facile : le Président élu lui-même et son entourage ont dit qu’ils étaient favorables et qu'il y aurait de la régulation « light » pour prendre un terme américain, légère, voire pas de régulation du tout. Pour autant, le Bitcoin ne devient pas un actif sûr. Je redis ce que mes collègues et moi avons souvent dit : c'est un actif risqué. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas investir en Bitcoin, cela fait partie de la liberté, mais le conseil est de le réserver à des investisseurs avisés. Et il y a d'ailleurs eu dans le passé, souvenez-vous, il y a deux ans, des baisses sensibles du Bitcoin.
Léa Salamé
C’est important, le message ce matin, parce qu'on va voir le Bitcoin exploser avec Elon Musk et Donald Trump, à ceux qui nous écoutent ce matin et qui se disent : « Tiens, je vais investir dans le Bitcoin maintenant qu'il est dérégulé aux Etats-Unis. Je vais faire de l'argent facilement » : vous dites quoi ?
François Villeroy de Galhau
C’est un message plus général, qui est fondé sur des décennies, des siècles d'expérience financière. Si quelqu'un, un jour, vous promet un produit financier qui rapporte beaucoup et qui ne comporte aucun risque, fuyez. La loi la plus sûre de la finance dans la durée, c'est qu'il y a un arbitrage entre le rendement et le risque. Il y a des produits qui rapportent plus, mais ils sont en règle générale plus risqués.
Léa Salamé
Donc, gérer en bon père de famille ?
François Villeroy de Galhau
Ce n'est pas une gestion de père de famille, c'est un arbitrage conscient. Il y a des gens qui sont en situation et qui souhaitent prendre plus de risques. C'est leur droit, mais qu'ils sachent que c'est plus risqué. Au passage, sur le Bitcoin, il y a en Europe une régulation, et nous avons proposé ce matin avec Marie-Anne Barbat-Layani, la présidente de l'Autorité des marchés financiers, que la mise en œuvre de cette régulation en Europe, ce qu'on appelle la supervision, soit confiée d'emblée à une autorité européenne plutôt qu'à 27 autorités nationales différentes.
Nicolas Demorand
L'UE, va-t-elle, peut-elle décrocher encore plus fortement avec TRUMP et sa libéralisation de l'économie ? En septembre, le rapport Draghi laissait planer le spectre d'une lente agonie de l'économie européenne avec des chiffres. Les États-Unis ont enregistré 2,9 % de croissance en 2023, 0,4% seulement en zone euro. On risque ce décrochage, selon vous ?
François Villeroy de Galhau
L'Europe doit se réveiller. Mario Draghi a parlé d'une lente agonie, je pourrais parler d'un long sommeil, mais c'est la même idée. C'était vrai avant l'élection de Donald Trump, c'est encore plus vrai aujourd'hui. Pour résumer la feuille de route européenne, je dirais d'abord que l'Europe doit se reprendre : arrêtons de nous auto-flageller - c'est un sport national actuellement, ou un sport européen, on ne voit que ce qui va mal. Les Américains sont peut-être dans l'excès inverse, ils voient tout ce qui va bien, mais nous avons des atouts en Europe.
L'Europe doit se reprendre, l'Europe doit aussi se réunir, c'est très important. On oublie qu'ensemble, nous Européens, nous pesons autant que les États-Unis. Notre économie est l'équivalent du marché américain. Par contre, si nous sommes séparés, et notamment la France et l’Allemagne, cela veut dire que nous resterons assis sur le banc de touche du match économique mondial. Je n'ai pas envie que mon pays et que l'Europe soient assis sur le banc de touche.
Dernière chose, l'Europe doit se muscler, c'est l'invitation du rapport Draghi. Il y a toute une série de mesures dans le rapport Draghi qui ne coûtent pas, des mesures de renforcement de l'économie européenne, approfondir le marché unique, mobiliser notre épargne, et simplifier : c'est vrai que nous avons trop de normes trop compliquées.
Léa Salamé
Il nous reste quelques minutes et on voulait absolument avoir votre regard sur le projet de budget. Vous le savez mieux que nous, le Gouvernement cherche 60 milliards d'euros face aux déficits qui ont dérapé. Des impôts seront prélevés sur les entreprises qui font des profits et sur les contribuables les plus fortunés au nom de la solidarité nationale. Ça fait réagir les patrons. Dans « le Figaro », hier, Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, prévient qu'il sera contraint de moins investir dans les magasins, dans les baisses de prix, qu'il créera moins d'emplois avec ces hausses d'impôts. Même tonalité chez l'armateur, Rodolphe Saadé, qui prévient qu'il risque de revoir certains de ses investissements, et notamment en France. Vous leur dites quoi ce matin ? Vous avez raison d'avoir peur ?
François Villeroy de Galhau
Je rencontre beaucoup d'entrepreneurs, y compris de patrons de PME. J'étais à Lyon la semaine dernière. Ce qui a surtout fait réagir les entrepreneurs est la créativité fiscale qu'il y a eu dans le débat parlementaire ces dernières semaines.
Léa Salamé
Vous voulez dire ce que la gauche a rajouté au projet de budget ?
François Villeroy de Galhau
La créativité a été sur bien des bancs politiques, et la Banque de France est indépendante des différents partis politiques. J'ai été un des premiers, il y a deux mois, à appeler à lever le tabou de hausses d'impôts, parce qu'on doit absolument diminuer notre déficit, absolument le ramener à 5 %. 80 % des Français sont inquiets de la situation de la dette publique. Réduire le déficit à 5 % l’an prochain est un impératif absolu. Cela restera le déficit le plus élevé d'Europe, mais en 2025, c'est le seuil de crédibilité pour les investisseurs, c'est la condition pour que la France soit respectée en Europe. Donc des hausses d'impôts ciblées, peut-être temporairement sur certaines grandes entreprises, et certains hauts revenus.
Mais lever le tabou des hausses d'impôts ne veut pas dire prendre le marteau fiscal et avoir dix nouvelles idées d’impôt par jour.
Léa Salamé
Là, il y a un délire fiscal comme on a pu l'entendre à l'Assemblée nationale ?
François Villeroy de Galhau
Je ne vais pas qualifier. Je note simplement que ce débat-là a vraiment suscité l'inquiétude des chefs d'entreprise. Le premier ingrédient de la croissance c’est d'abord la confiance. Il faut créer un choc de confiance positif dans l'économie française si on veut que les entrepreneurs reprennent leurs investissements et reprennent leurs embauches. Réduire le déficit, reprendre le contrôle de la dette, ce sont les éléments d'un choc de confiance positif. Multiplier la créativité fiscale, c'est provoquer le choc contraire.
Nicolas Demorand
Sur l'application Radio France, Yves vous pose la question suivante : que pensez-vous de la politique de Bruno Le Maire ? A-t-il été un bon ministre de l'Économie ?
François Villeroy de Galhau
La Banque de France est indépendante, son rôle n'est pas de distribuer les bons ou les mauvais points à tel parti politique ou à telle personnalité, que ce soit Bruno Le Maire, le président de la République, le Premier ministre, etc. Je vais revenir sur le diagnostic long de l'économie française, parce que le rôle de la Banque de France dans un débat qui va souvent trop vite, est de donner un peu de profondeur. Nous avons eu une maladie aiguë, c'est l'inflation, nous l’avons vaincue. Nous avons maintenant deux maladies chroniques qui durent. Sur l'emploi, la France a fait des vrais progrès, par contre sur les finances publiques, il faut absolument corriger.
Léa Salamé
Quitte à mettre un coup d'arrêt à la croissance ? Pour boucler la boucle, on a commencé l'entretien en disant la croissance tient, on est à 1 %, peu ou prou.
François Villeroy de Galhau
C'est une question souvent posée, mais je vais me permettre de la relativiser un peu. Cela fait quarante ans qu'on dit que ce n'est pas le moment de mettre en ordre nos finances publiques à cause de la croissance. Le résultat, comme ce n'est jamais le moment, c'est qu'on a plus de 110 % de dette publique. Le moment n'est pas défavorable, parce qu'à cause de la victoire contre l'inflation, nous aurons la baisse des taux d'intérêt, du pouvoir d'achat, et cela aide l'économie française à tenir. Avec un sérieux point de vigilance quand même qui renvoie au rapport Draghi : il faut muscler l'économie française et européenne, donc il faut faire des réformes de fond pour produire mieux.
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Mise à jour le 14 Novembre 2024