Interview

Le Monde : « La France devrait échapper à la récession »

Intervenant

François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

20 Mars 2023
François Villeroy de Galhau intervention

Interview de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France.

La France va-t-elle échapper à la récession tant redoutée ? 

La projection que nous publions ce lundi 20 mars comprend pour 2023, par rapport à nos précédentes prévisions, un peu plus de croissance et un peu moins d’inflation.

La croissance devrait être de 0,6% sur l’année, au lieu de 0,3%. Nous devrions donc effectivement échapper à la récession. L’inflation était prévue à 6% de hausse sur l’année : elle serait désormais plutôt à 5,4%, essentiellement à cause de la modération des prix de l’énergie. Malgré ces deux bonnes nouvelles, il faut rester très mobilisé sur ces deux fronts.

Oui, l’inflation reste une préoccupation majeure... 

Je veux être clair : l’inflation reste trop élevée aujourd’hui en France, même si elle va commencer à baisser d’ici la fin de ce premier semestre, et si son recul devrait se poursuivre sur la deuxième moitié de l’année.

L’inflation, qui a touché essentiellement en 2022 l’énergie et l’alimentation, se propage à l’ensemble des biens et services. Est-ce inquiétant ?

La hausse des prix de l’énergie et des prix alimentaires est l’inflation la plus visible, et elle est douloureusement ressentie par nos concitoyens. Elle ne représente cependant qu’un quart de notre consommation moyenne et donc de l’indice des prix, et elle devrait être temporaire. Les prix de l’énergie ont déjà amorcé un net ralentissement. Les prix de l’alimentation, eux, devraient commencer à décélérer d’ici la fin de l’année, parce que les prix de gros agricoles baissent depuis la fin de l’année dernière, et qu’il y a un décalage de quelques trimestres entre l’évolution de ces prix mondiaux et celle des prix à la consommation.

Mais il faut faire aussi attention aux trois autres quarts, dont on parle moins : c’est tout le reste de notre consommation, soit pour une moitié les services – comme l’hôtellerie-restauration ou les transports – et pour un quart les produits manufacturés. Ils représentent cette fameuse inflation « sous-jacente » ou plus large, qui est actuellement autour de 4%. Elle risque de s’avérer plus persistante que la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation.

Quelles sont les armes pour la combattre ?

Combattre cette inflation plus large, sous-jacente, est le champ d’action de la politique monétaire, c’est pourquoi nous avons augmenté les taux d’intérêt depuis l’été dernier [de -0,5% à 3% pour le taux de dépôt]. Je redis notre engagement : avec la Banque centrale européenne, nous ferons ce qu’il faut pour ramener l’inflation vers 2% d’ici fin 2024 à fin 2025.

Y compris au risque de provoquer cette récession que l’on vient d’éviter ? 

Encore une fois, sauf événement mondial majeur, la France va échapper à la récession - ce qui, souvenez-vous, était la grande inquiétude d’il y a quelques mois. Nous traitons la maladie inflationniste à temps: si elle s’installait de façon persistante, elle serait le pire ennemi de la croissance en minant la confiance des consommateurs comme des entrepreneurs. 

Faut-il, comme le disait Christine Lagarde jeudi 16 mars, ouvrir un débat sur un « partage adéquat du fardeau » de l’inflation ?

L’équité, c’est que tout le monde prenne sa part de l’effort. Pour les marges des entreprises dont a parlé Christine Lagarde, il y a de grandes différences entre secteurs et entre tailles d’entreprises. En France, globalement, les marges ont baissé par rapport à 2021, qui était une année record, et sont revenues à leur niveau de 2018. Mais il faut être attentif à ce qui se passe dans l’énergie bien sûr, et aussi sans doute dans l’industrie agroalimentaire ou certains services. La concurrence et un peu de vigilance devraient inciter à modérer les prix en faveur des consommateurs. 

Qui paie aujourd’hui la facture de l’inflation en France ?

Nous avons collectivement subi, avec la guerre en Ukraine et la crise énergétique, un prélèvement extérieur de près de 1,5 % du PIB. Jusqu’à présent, c’est en grande partie l’État qui a payé le choc. Les ménages ont heureusement été en moyenne relativement préservés: les transferts budgétaires et le bouclier tarifaire ont été mis en place en France plus tôt qu’ailleurs. Mais avec plus de 110% de dette publique, et 5 % de déficit, l’État ne pourra pas continuer à dépenser indéfiniment.  A la faveur du ralentissement des prix énergétiques, il faut progressivement sortir des subventions, en les ciblant vers ceux qui en ont le plus besoin.

Dans ce contexte, faut-il augmenter les salaires ?

La rémunération par salarié a significativement augmenté en 2022, de près de 4% en moyenne annuelle. Sauf pour le SMIC qui est pleinement indexé, cette hausse a été un peu moindre que l’inflation. Néanmoins, le pouvoir d’achat du revenu total par habitant a finalement résisté en 2022, grâce au soutien budgétaire et aussi aux créations d’emplois encore dynamiques. En 2023, les hausses de rémunérations par salarié pourraient culminer vers 6 % à 7 % avant de décélérer avec l’inflation, et le pouvoir d’achat total resterait globalement stable cette année à nouveau. Je mesure que tout le monde ne se retrouve pas dans ces moyennes : il faut être attentif à ceux qui sont le plus touchés, et il y a logiquement des différences salariales significatives entre les entreprises. Mais c’est notre intérêt collectif d’éviter une spirale prix-salaires, où tout le monde serait perdant. 

Sur la croissance, vous parlez encore des réformes structurelles au milieu du débat sur les retraites ?

Je vais dire les choses différemment : nous gérons depuis trois ans les urgences face aux crises ; mais les stimulants budgétaires et monétaires initiés avec le Covid ne sont plus aujourd’hui le remède efficace. Notre vrai défi français, c’est de muscler notre capacité productive. Nous devons maintenant pour cela avoir une stratégie de transformation de l’économie française, globale, durable, juste, selon trois dimensions : la transformation écologique et énergétique bien sûr, la transformation numérique, et aussi la transformation du travail. Le travail doit être accessible en plus grand nombre, alors que la moitié des entreprises ont des difficultés à recruter et que nous sommes encore loin du plein emploi ; mais il doit être surtout plus qualifié et plus attractif: c’est notamment toute la bataille des compétences et de la formation.

« La supervision de certaines banques américaines était trop partielle »

Aux États-Unis, la banque SVB (Silicon Valley Bank) a fait faillite. En Europe, Crédit Suisse a fortement chuté en Bourse, entraînant toutes les valeurs bancaires avec elle dans la chute boursière, avant une stabilisation ces derniers jours. Faut-il craindre une nouvelle crise bancaire ? 

Il y a deux problèmes très différents, tous les deux hors de la zone euro. Le premier touche les banques américaines de taille moyenne pour lesquelles il y a eu un manque de réglementation et de supervision. L’application des règles dites de Bâle 3 (les exigences en fonds propres et en liquidité des banques) y est beaucoup trop partielle depuis une décision de l’administration Trump.

Du côté de Credit Suisse, c’est une banque qui avait depuis plusieurs années un problème de modèle d’activité et de rentabilité, et qui souffrait de contrôles internes insuffisants. Les autorités suisses se sont fortement mobilisées ce week-end pour l’adosser à UBS , ce qui est une solution bienvenue.

Parmi les banques françaises, aucune ne présente ces caractéristiques de sous-régulation propre aux États-Unis, ou de non rentabilité que connaissait Credit Suisse. L’industrie bancaire en France est concentrée autour de six grandes banques qui ont toutes un modèle d’affaires stable et profitable, une forte maîtrise des risques, et un haut degré de conformité aux règles. Pour redire une évidence, les banques françaises sont solides.

Les banques européennes sont dans des situations différentes, certes, ne vont elles pas être fragilisées par la soudaine remontée des taux d’intérêt, de -0,5% à 3% en zone euro ? Ce n’est pas rien...

Il ne faut pas se tromper, la remontée des taux d’intérêt est globalement favorable au secteur bancaire. Dans leur bilan, les banques ont en général des dépôts à vue qui ne leur coûtent pas plus cher quand les taux remontent, et des crédits, qui leur rapportent plus au fur et à mesure que ceux-ci seront renouvelés. Le modèle de SVB était différent : des dépôts coûteux et concentrés d’entreprises du secteur de la tech, et peu de crédits ; SVB avait ainsi investi son excédent de trésorerie dans des obligations qui ont subi des moins-values avec la remontée des taux. Les banques françaises et plus généralement européennes sont au contraire des banques diversifiées, avec une large base de déposants et un gros portefeuille de crédits.

Néanmoins, était-il bien prudent dans ce contexte mouvementé que la BCE augmente jeudi 16 mars son taux d’intérêt de 0,5 point ?

C’était la décision de cohérence, qui a été bien accueillie y compris par les marchés. La banque centrale est responsable de la stabilité des prix comme de la stabilité financière.  Les instruments qui servent chacun de ces deux objectifs sont différents. L’instrument majeur pour assurer la stabilité des prix, ce sont de fait les taux d’intérêt. Pour la stabilité financière, nous disposons notamment d’instruments pour fournir de la liquidité aux banques, que nous sommes prêts à renforcer autant que de besoin.