Audition

Audition de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, devant la commission des Finances du Sénat

Intervenant

François Villeroy de Galhau – Interventions

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Mise en ligne le 15 Janvier 2025

François Villeroy de Galhau intervention

Audition de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, devant la commission des Finances du Sénat

Paris, 15 janvier 2025

Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général, 
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Je vous remercie de me recevoir aujourd’hui et je souhaite vous présenter mes meilleurs vœux, d’abord personnels pour chacun de vous, et collectifs pour votre Assemblée et pour notre cher pays. Cette désormais traditionnelle audition du mois de janvier intervient à un moment particulier, entre la déclaration de politique générale du Premier ministre et la reprise au Sénat de l’examen du projet de loi de finances (PLF). Je vous partagerai donc deux vœux d’espérance lucide pour 2025 : une année de baisse de l’inflation et des taux directeurs, sans récession (I) et une année de baisse des déficits (II) ; avant de conclure sur quelques forces économiques françaises (III).

I. Une année de baisse de l’inflation et des taux directeurs, sans récession

Je commencerai par un progrès assuré : nous avons quasiment gagné la bataille contre l’inflation ; celle-ci a diminué plus encore que prévu, même si nos concitoyens restent encore sensibles à la hausse passée du niveau des prix. En France, l’inflation se situe en-deçà de notre objectif de 2%, à 1,3% selon l’indice national et 1,8% selon l’indice harmonisé i. Nous l’y attendons en moyenne annuelle en 2025 à 1,6%. Cela nous a permis avec Christine Lagarde, au Conseil des Gouverneurs de la BCE, de déjà baisser à quatre reprises notre taux directeur, passé de 4% à 3% entre juin et décembre.

À 3%, notre taux directeur est cependant encore significativement au-dessus du taux neutre, qui marque la frontière entre une politique restrictive et une politique accommodante. Ce taux n’est pas directement observable, mais se situe en moyenne proche de 2% en zone euro selon les estimations de la BCE. Si le recul de l’inflation se confirme au cours des prochains trimestres comme nous le prévoyons, le bon sens est que nous allions sans ralentir le rythme vers ce taux de 2% d’ici l’été prochain. Ceci favorisera le bon financement de l’économie, et le repli du taux d’épargne des ménages. En lien avec le reflux de l’inflation et des taux de refinancement, je propose ce matin au Ministre des Finances un taux du livret A ramené de 3% à 2,4% à compter du 1er février, soit un taux encore nettement supérieur à l’inflation. Sur le livret d’épargne populaire (LEP), qui est le produit le plus protecteur de l’épargne des plus modestes, je préconise que son taux soit fixé à 3,5%, soit significativement au-dessus de la formule mécanique à 2,9%. Le nombre de LEP a fortement augmenté pour atteindre 11,7 millions fin octobre ; mais les banques peuvent et doivent faire encore mieux avec l’appui d’une campagne d’information de l’administration fiscale vis-à-vis des 19 millions de Français pouvant être intéressés. 

Concernant la conjoncture, la croissance française ralentit mais l’activité ne recule pas. Notre dernière enquête mensuelle de conjonctureii , publiée cette semaine, étaye cette relative résilience : elle confirme que la croissance en 2024 devrait être de 1,1%, supérieure à notre prévision initiale ; et elle reste compatible avec notre prévision pour 2025 d’une croissance de 0,9%iii. Oui, les risques sur ce chiffre sont à la baisse ; mais non, nous ne voyons pas aujourd’hui de récession. La reprise attendue devrait intervenir en 2026 et 2027 avec une croissance autour de 1,3% – sous réserve d’une diminution progressive des incertitudes cette année. 

II. Une année de baisse des déficits

Notre pays a vaincu la maladie aigüe de l’inflation ; il reste sa maladie chronique des finances publiques. La maladie est ancienne, mais rien ne justifie de s’y accoutumer. Tout montre au contraire qu’elle a franchi aujourd’hui plusieurs seuils critiques d’aggravation : la France aura cette année le déficit le plus élevé de la zone euro, et reste parmi les rares pays dont le ratio de dette continue de croître. Notre spread de taux s’est dangereusement éloigné de l’Allemagne et rapproché de l’Italie. La charge d’intérêts pèsera bientôt plus lourd que le budget du ministère de l’éducation nationale.  

La gravité de notre situation budgétaire a au moins une vertu : notre pays n’a plus à choisir entre le redressement et la croissance. Réduire l’incertitude budgétaire et fiscale, qui pèse sur les entreprises et les ménages, c’est aujourd’hui devenu une condition de la confiance et donc de la croissance. 

Le chemin est difficile, mais il est possible en visant un effort juste et partagé pour atteindre deux balises, deux ancres. Il faut d’abord revenir cette année à un déficit proche de 5% du PIB, et inférieur à 5,5%. Je veux ici saluer les travaux du Sénat sur le PLF, au moment où ils vont reprendre. Vous avez terminé l’examen des recettes – en contenant ce déficit sous 5,5% – et largement entamé celui des dépenses. Je salue aussi la déclaration du Premier ministre hier, avec pour objectif un déficit ramené à 5,4% cette année, et basé sur une prévision de croissance à 0,9%. Bien sûr, il sera essentiel de documenter précisément les économies et les mesures fiscales, de voir ensuite ce qui sera voté par le Parlement, et tout autant enfin ce qui sera effectivement exécuté. Notre pays a connu hélas, ces deux dernières années, des écarts lourds dans l’exécution, qui ont atteint notre crédibilité en Europe. Mais la France a besoin d’un budget, et d’un budget qui réduise clairement notre déficit cette année ; je le dis avec toute l’indépendance de la Banque de France : c’est l’intérêt national qui doit dépasser les divers intérêts personnels ou partisans.

L’autre ancre fondamentale est de moyen terme, et elle a aussi positivement été réaffirmée hier. Il faut ramener notre déficit public à 3% en 2029. Cela correspond à nos engagements européens, mais aussi et surtout au niveau qui nous permettra enfin de stabiliser notre ratio de dette. La première étape 2025 pourra comporter pour partie certaines hausses d’impôts ciblées ; mais la seconde dans la durée devra reposer essentiellement sur des dépenses mieux maîtrisées et plus efficaces, de l’État, mais aussi des dépenses sociales et des collectivités locales qui représentent ensemble 64% des dépenses totales. L’effort de maîtrise des dépenses ne peut pas durablement porter sur le seul État. Au total, et avec le même modèle social européen – auquel je crois –, notre pays dépense plus de 9% de PIB de plus que ses voisins, soit un « écart d’efficacité » allant jusqu’à 260 Mds€. La Banque de France n’a pas à commenter telle ou telle mesure, et en particulier pas une possible « remise en chantier » de la réforme des retraites. Elle ne peut qu’accueillir une méthode de dialogue, incluant les partenaires sociaux ; mais elle se doit de souligner qu’une telle réflexion collective ne peut pas dégrader l’équilibre financier déjà très imparfait de nos retraites : cela aussi a été dit hier.

III. Les forces de l’économie française

L’économie française a bien sûr ses difficultés : un problème spécifique de finances publiques – je viens d’en parler – ; comme toute l’Europe, un retard de croissance et d’innovation par rapport aux États-Unis; et jusqu’à l’an dernier, la hausse des prix, durement ressentie par certains des plus défavorisés. Mais ces doutes, amplifiés par la situation politique actuelle et nos zizanies, ne doivent pas nous faire oublier des forces économiques durables de notre pays, septième puissance économique mondiale en termes de PIB :

- Il n’y a jamais eu autant de Français au travail qu’aujourd’hui (30,6 millions) ; c’est vrai aussi en heures travaillées. Et notre pays a créé depuis 10 ans 2,2 millions d’emplois nets, depuis cinq ans et la crise COVID 1,1 million d’emplois nets.

- Il y a en France 4,5 millions d’entreprises et d’entrepreneurs de toute taille, des TPE et PME – avec beaucoup plus de créations qu’avant (plus de 1,1 million sur douze mois à fin novembre 2024, y compris des start-up de la French Tech, contre 600 000 sur l’année 2016) – jusqu’aux grandes entreprises puissantes sur la scène internationale. Pour ces dernières, nous en avons autant que l’Allemagne et nettement plus que l’Italie.

- L’épargne financière brute des Français représente un total de 6300 milliards. Le taux d’épargne des ménages est un des plus élevés d’Europe, et plus élevé qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni (18% en France, contre 4% aux États-Unis et 10% au Royaume-Uni). Les institutions financières françaises (banques, assurances, gestionnaires d’actifs) sont au premier rang en Europe.

- Le pouvoir d’achat des Français a augmenté en moyenne de +30 % par habitant depuis 25 ans et la création de l’euro. Ceci est bien sûr une moyenne, et les perceptions sont différentes. Mais les inégalités demeurent à un niveau plus contenu en France que chez nos voisins, et plus encore qu’aux États-Unis. De ce fait, le coefficient de Gini français, après transferts, est parmi les plus bas à 0,3 et est resté globalement stable depuis 1975. 
Ces forces, et ces quelques succès, sont les nôtres à tous. La Banque de France indépendante ne prétend pas les attribuer à telle ou telle force politique, ni occulter aucun de nos défis. Mais qu’ils nous donnent, en ce début d’année, parfois un peu plus de confiance en nous-mêmes et notre capacité à nous redresser. Je suis maintenant à votre disposition.
 

 

i Insee, Indice des prix à la consommation – résultats définitifs – Décembre 2024, 15 janvier 2025
ii Banque de France, Enquête mensuelle de conjoncture – Début janvier 2025, 13 janvier 2025
iii Banque de France, Projections macroéconomiques – Décembre 2024, 16 décembre 2024
 

Télécharger l'intégralité de la publication

Mise à jour le 23 Janvier 2025