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Pour une simplification réaliste : dénouer quelques nœuds de la règlementation bancaire en Europe
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 26 Novembre 2024
Conférence de l’ACPR – Paris, 26 novembre 2024
Discours de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France et Président de l’ACPR
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir pour cette nouvelle édition de la Conférence de l’ACPR, qui porte cette année sur le thème de l’innovation : « le secteur financier innove, la supervision évolue ». En tant que superviseur, parler d’innovation, c’est bien sûr réfléchir au bon équilibre à trouver entre des objectifs a priori opposés mais que nous voulons concilier : 2 S, Sécuriser la finance et Soutenir le développement économique. Mais il y a un troisième S, qui peut aider à trouver un chemin de compatibilité : Simplifier.
Après la crise mondiale de 2007-2009, nous avons fait un effort considérable et tout à fait nécessaire pour renforcer la réglementation du secteur financier. Nous sommes désormais arrivés à la fin d’un cycle, avec la mise en œuvre du paquet final de Bâle III. C’est donc le bon moment pour prendre le recul nécessaire : il ne suffit pas que les principes de la réglementation soient sains en eux-mêmes, il faut encore que la complexité de la réglementation existante ne constitue pas un frein aux objectifs poursuivis.
Il y a aujourd’hui un nouveau consensus de principe en Europe en faveur de la simplification. Le rapport Draghii , après le rapport Lettaii , a identifié la simplification des règles comme l’une des clés de la compétitivité européenne : plus de vitesse, pour plus d’innovation et plus de croissance ; la Commission européenne a fait de l’allègement réglementaire un des axes de son prochain mandat – en particulier réduire les obligations de reporting d’au moins 25 %iii ; le Mécanisme de surveillance unique (MSU) a décidé de modifier son processus de contrôle et d’évaluation prudentiels – le SREP – pour le rendre plus simple et plus souple. Je suis convaincu effectivement que la stabilité financière suppose maintenant une stabilisation réglementaire. Pour autant, simplifier n’est pas déréguler, et reconnaissons que simplifier n’est pas si simple. Je détaillerai ensuite plusieurs priorités pratiques pour avancer sur la simplification.
Dépasser deux idées reçues sur la simplification
La simplification n’est pas la dérégulation
Plus de quinze ans se sont écoulés depuis la grande crise financière – inutile de rappeler ses dommages sociaux, économiques et financiers. Les leçons en ont été tirées, grâce à une intense coopération internationale. Mais à mesure que le temps passe, revient la « tentation de l’oubli » avec des appels à revenir en arrière. Ces tentations sont dangereuses : les règles de Bâle III ont permis aux institutions financières de faire face à la crise de la Covid-19 et d’éviter qu’une crise financière ne vienne s’ajouter à la crise sanitaire et économique ; elles ont permis d’éviter ensuite que la remontée des taux d’intérêt ne menace la stabilité financière, et que la faillite de SVB en mars 2023 ne fasse contagion en Europe.
Aujourd’hui bien sûr, un vent de dérégulation semble annoncé outre-Atlantique. Alors soyons clairs et factuels : les règles finales de Bâle III ont déjà été publiées par plus des deux tiers des 27 juridictions membres du Comité de Bâle et sont déjà entrées en vigueur dans plus d’un tiers d’entre elles, dont le Japon, le Canada, la Chine ; l’Europe les appliquera au 1er janvier 2025iv .
Ce cadre doit rester le socle international de la réglementation bancaire. Il s’appliquera bien sûr aux filiales européennes des banques américaines. Nous gardons l’espoir que les autorités américaines transposeront Bâle III : les grandes banques américaines peuvent avoir intérêt à se situer dans le standard international. Mais face à une éventuelle exception américaine, les superviseurs et les législateurs européens resteront attentifs à préserver des règles de concurrence équitables entre grandes juridictions. Le paquet bancaire européen offre certains instruments pour ajuster si justifié notre réglementation aux enjeux de compétitivité, en particulier sur les risques de marché. La Commission a déjà récemment reporté d’un an l’entrée en application de ces nouvelles règles sur la Revue fondamentale du Trading Book (FRTB).
Par ailleurs, sur les non-banques comme sur les crypto-actifs, ne pas réguler aujourd’hui, ce serait semer les graines de la crise financière demain. Ces deux secteurs sont en net essor; le G20 et le FSB ont adopté de clairs principes directeurs. Ce serait l’intérêt de tous de les mettre en œuvre, plutôt que de multiplier à l’avenir – y compris aux États-Unis – les aléas des décisions individuelles des différentes agences de supervision, ou des contentieux judiciaires, et des faillites d’acteurs artificiellement gonflés – n’oublions ni le fonds LTCM en 1998, ni FTX en 2022.
En un mot donc, simplifier, ce n’est pas déréguler. C’est au contraire mieux réguler : moins de normes, mais mieux mises en œuvre, et donc plus efficaces.
Simplifier, ce n’est pas si simple
La situation décevante de l’Europe à cet égard peut alimenter certains pessimismes : non seulement le nombre de propositions législatives est encore plus élevé qu’il y a vingt ans – 431 sur la période 2019-2024 contre 374 entre 1999 et 2004 – mais leur longueur a doublé : respectivement 8600 mots en moyenne contre 4500v . Ce n’est pas la simple résultante d’un aveuglement bureaucratique trop facilement vilipendé : les diverses autorités européennes font leur travail avec compétence et conscience. Mais il y a, au moins en Europe, des causes structurelles évidentes qui sont autant de leviers potentiels d’amélioration. Il y a d’abord l’addition des normes internationales, européennes et nationales, avec à chaque fois la tentation d’en faire plus. La volonté également de chaque pays de préserver la règle antérieure ne permet que rarement d’alléger au profit de la nouvelle norme. Il y a aussi les multiples responsabilités, entre le microprudentiel avec le MSU, le macroprudentiel avec la BCE et le Comité européen du risque systémique (CERS/ESRB), la résolution (avec le MRU), les agences européennes dont l’Autorité bancaire européenne (ABE/EBA) pour les banques, et les diverses autorités nationales... L’ACPR ne prétend pas non plus être parfaite, même si elle a la réputation de bien connaître son secteur, et de s’attacher au fond plutôt qu’à la procédure.
Il y a par ailleurs trop de directives appelant des transpositions nationales, et pas assez de règlements d’application directe. Ajoutons un niveau de défiance entre États qui reste trop élevé, et fait que toutes les règles sont précisées et très détaillées, parfois même à la demande aussi de l’industrie elle-même... À titre d’illustration, dans le dernier paquet bancaire, environ 140 mandatsvi ont été confiés à l’ABE – dont le travail est nécessaire ! – pour rédiger des standards techniques et des orientations. Cette défiance entraîne également une obsession de l’égalité de concurrence interne, entre États membres, alors que nous devrions au moins autant nous soucier de l’égalité de concurrence externe, avec le reste du monde.
Bien sûr, l’innovation technologique et l’intelligence artificielle pourront nous aider à gérer la profusion d’informations. Mais l’innovation ne doit pas être la béquille avec laquelle nous continuerions dans la mauvaise direction. D’abord parce que la technologie ne peut pas tout : elle ne peut pas gérer les ambiguïtés qui résultent de la complexité. Pour mettre en place des technologies efficaces, il faut des données propres, standardisées et cohérentes. Mais aussi parce qu’ajouter de la complexité technologique pour compenser la complexité réglementaire, ce serait diminuer les chances que l’humain garde le contrôle et reviendrait donc à s’éloigner de l’objectif d’une réelle sécurisation.
Simplifier pour être plus efficace : quelques priorités pour avancer
Pas de baguette magique donc, pas de grand soir de la simplification, mais une action résolue autour de quelques priorités pratiques. Je veux maintenant en proposer trois, sans prétendre être limitatif ; je sais que plusieurs de mes collègues européens, comme certains Trésors nationaux, réfléchissent dans ce sens d’une simplification réaliste.
Aller au bout du « SREP de demain »
Commençons par un exemple concret, avec ce que le MSU a commencé à faire pour que son processus de contrôle et d’évaluation prudentiel – le SREP – reflète mieux une approche par les risques impliquant une plus grande priorisation des actions de supervision. Le Conseil de surveillance du MSU a adopté deux grandes orientations. Premièrement, le développement d’une approche pluriannuelle du SREP, avec la possibilité d’actualiser les décisions tous les deux ans plutôt que chaque année si aucun changement important n’intervient dans le profil de risque d’une banque. Deuxièmement, une plus grande attention accordée aux attentes et aux résultats clés, avec une meilleure utilisation des échelons d’escalade si les déficiences ne sont pas corrigées après une longue période. Le processus SREP sera donc plus court, avec des décisions envoyées à la majorité des banques dès septembre . Je soutiendrai aussi toute démarche qui conduirait à uniformiser les outils de supervision à l’échelle du MSU, source d’utilisation au mieux des ressources et d’efficience. S’agissant de notre fonctionnement interne, il existe encore une marge pour affiner l’articulation entre les activités de supervision verticales et horizontales, afin de réduire la « charge prudentielle » tant pour les banques que pour les superviseurs. Ces mesures de simplification peuvent constituer de réelles avancées, qui restent bien sûr à bien mettre en œuvre en pratique – nous y veillerons – mais dont l’objectif est de rendre la surveillance prudentielle plus réactive et centrée sur les risques prioritaires.
Développer une vue d’ensemble des règles pour les rationaliser
Nous simplifions la supervision, il faut maintenant rationaliser la réglementation, dans le respect de Bâle qui reste la norme de référence. Il faut tout d’abord reconnaître qu’il n’est pas facile de comparer les exigences en capital entre les grandes juridictions. Les différences de business model, les spécificités juridiques, les éventuelles déviations et les autres exigences cumulées hors Bâle III rendent les comparaisons rapidement hasardeuses. Constatons juste qu’en niveau les grandes banques européennes affichent un ratio de fonds propres CET1 supérieur à celui des grandes banques américaines : 14,3 % contre 13,9 % en moyenne.
Par contre, il est plus facile de comparer la complexité de la réglementation. Le rapport de l’ABEvii publié à l’été le montre bien : il y a en Europe bien plus d’empilements parallèles d’exigences en capital microprudentielles comme macroprudentielles, et de déclencheurs de restrictions automatiques aux distributions qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni.
Nous avons en Europe multiplié les instances et les exigences, là où Bâle et nos homologues font plus simple. Aurions-nous systématiquement raison envers et contre tous ?
Puisque nous sommes arrivés à la fin d’un cycle de réglementation post grande crise financière, la priorité pourrait être désormais de parvenir à une vue d’ensemble – « holistique » – de toutes les règles qui s’appliquent aux banques européennes, qui nous permettra de nous comparer au plan international. C’est un chantier qui devrait évidemment être mené sous l’égide de la Commission européenne et impliquer toutes les autorités de surveillance européennes. Nous avons besoin d’une analyse complète de l’impact de toutes les nouvelles normes qui ont été produites en Europe, y compris aux niveaux 2 et 3, pour nous assurer qu’elles n’ajoutent pas une couche d’exigences en fonds propres en surplus de ce que prévoit l’accord politique trouvé pour le texte de niveau 1.
Ensuite, il faudra avoir le courage et la lucidité nécessaires pour simplifier la réglementation là où l’Europe est en décalage notable. Je pense notamment, pour la résolution, à l’articulation des dispositifs d’absorption des pertes TLAC issus de Bâle et le MREL qui est une invention européenne. Il s’agit aussi des différents cadres parallèles de restriction automatique des distributions qui peuvent créer de l’incertitude dans la gestion prévisionnelle du capital des établissements. Il faudra ne pas exclure non plus une réflexion au besoin plus radicale sur la simplification des exigences en capital, avec en regard l’expérience des autres grandes juridictions, comme aux États-Unis, où le « stress capital buffer » à la main de la FED fait la synthèse entre plusieurs objectifs micro et macroprudentiels. Comparaison n’est pas toujours raison, mais pas non plus mauvaise inspiration ! Au terme de son analyse d’ensemble, la Commission pourrait mettre sur la table une proposition législative de simplification du cadre prudentiel européen, toujours conforme à Bâle mais plus efficace.
Je redis enfin l’impératif d’avancer enfin en faveur de l’intégration bancaire transfrontalière au sein de l’Union européenne autour de deux axes : lever les obstacles des pays « hosts » à la circulation transfrontière de la liquidité, mais aussi du capital, avec des garanties suffisantes sur les mécanismes de soutien intragroupe en cas de crise ; et mettre en place un système de garantie des dépôts hybride pour assurer le soutien européen en dernier ressort des systèmes nationauxviii .
Rendre cohérentes les diverses régulations sur le climat
Il y a en Europe un domaine crucial où nous sommes heureusement en pointe, mais qui est emblématique d’un certain empilement des normes : la réglementation relative au changement climatique. Je le redis fort et clair : celle-ci est indispensable pour que le secteur financier soit en mesure de faire face aux risques réels auquel il est exposé. Nul ne peut douter de l’engagement pionnier de la Banque de France et de l’ACPR en ce domaine. Mais si cette règlementation devient trop complexe et difficilement compréhensible, nous courons le risque qu’elle soit mal ou pas appliquée.
C’est pourquoi il nous faut impérativement poursuivre les efforts autour de deux objectifs. D’abord, il faut aboutir à une règlementation la plus unifiée possible en Europe, au lieu d’une multiplication de normes avec pour n’en citer que quelques-unes la réglementation SFDRix , les directives CSRDx et CSDDDxi , ou encore la loi française LECxii qui avait précédé la réglementation européenne. Chacun de ces textes, issu souvent d’instances différentes, a constitué en son temps un progrès très légitime ; mais aujourd’hui leur accumulation manque clairement de cohérence. Gardons-en l’objectif, mais rapprochons à tout le moins les définitions et ne dupliquons pas les demandes de données. Ensuite, il faut parvenir à un seul plan de transition par établissement, faisant la synthèse des exigences prudentielles issues de la directive CRDxiii et d’alignement net-zéro issues de CSRD et de CSDDD. C’est un impératif pour fixer des caps crédibles aux établissements financiers. Et un jour, nous pourrons peut-être aller plus loin dans le rapprochement des normes européennes EFRAGxiv et internationales ISSBxv .
En conclusion, je suis convaincu qu’un secteur bancaire plus sûr et des règles plus simples peuvent aller de pair. Pas moins de sécurités en capital et en liquidité, mais moins de charges de procédure. Pas moins de Bâle III – assurément –, mais moins parfois de sophistications européennes. Nos règles ne pourront qu’y gagner en légitimité et en efficacité. René Char, dans le recueil Les Matinaux, parlait de « l’énigmatique maladie [des hommes] de faire des nœuds »xvi . Il est temps maintenant de nous efforcer de les dénouer.
Draghi (M.), The future of European competitiveness, rapport, septembre 2024
Letta (E.), Much more than a market, rapport, avril 2024.
Cf. Lettre de mission du Commissaire Valdis Dombrovskis en charge de la simplification (17 septembre 2024), ainsi que le programme « Better Regulation ».
https://www.bis.org/bcbs/implementation/rcap_reports.htm
Marcus (J.S.), How to achieve better EU laws, Centre for European Policy Studies (CEPS), octobre 2024.
Autorité bancaire européenne, « The EBA publishes roadmap on the implementation of the EU banking package », décembre 2023.
Autorité bancaire européenne, Stacking orders and capital buffers, Reflections on management buffer practices in the EU, juillet 2024.
Villeroy de Galhau (F.), « Les services financiers : le mystérieux écart européen », discours, 4 septembre 2024.
Sustainable Finance Disclosures Regulation (2019), entrée en vigueur depuis 2021.
Corporate Sustainability Reporting Directive (2022), mise en œuvre à partir de 2024.
Corporate and Sustainability Due Diligence Directive (2024), mise en œuvre à partir de 2027.
Loi Energie-Climat (2019)
Capital Requirements Directive (2013)
European Financial Reporting Advisory Group / Groupe consultatif européen sur l’information financière
International Sustainability Standards Board / Conseil international des normes de durabilité
Char (R.), Les Matinaux, Gallimard, 1950
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Mise à jour le 2 Décembre 2024