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Vœux du gouverneur de la Banque de France
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 8 Janvier 2025
Discours de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France et Président de l’ACPR.
Le 8 janvier 2025
Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs,
Je veux d’abord vous présenter tous nos vœux, ceux de la Banque de France et de l’ACPR, à vous qui êtes nos partenaires : responsables publics et élus, acteurs de la place, journalistes..., vœux pour vous et ceux qui vous sont chers.
Les temps sont vus comme mauvais, en tout cas incertains, mais je vous souhaite une vie bonne. Chacun des philosophes depuis Socrate en a cherché la définition ; je vous souhaite simplement le bon alliage d’engagement professionnel et d’enracinement personnel.
Les années 2020 à 2023 avaient déjà vu leur succession de chocs, mais 2024 a été particulièrement turbulente et agitée ; je ne m’aventurerai donc pas à vous souhaiter une année 2025 plus paisible. Je voudrais pourtant souligner deux angles plus positifs. Le premier, c’est que nous allons marquer cette année – le 18 janvier précisément – le 225ème anniversaire de la Banque de France. À cette occasion, nous organisons le 20 mars prochain un colloque intitulé « Une masse de granit » ; c’était l’image même de notre fondateur Bonaparte, qu’il voulait « jeter sur le sol de France » pour stabiliser les « grains de sable » épars de la nation. Occasion de nous rappeler que nous sommes un vieux et grand pays, qui a su plusieurs fois rebondir face à des contextes économiques et financiers difficiles. Au cours du dernier siècle, la France a su le faire en 1926 avec Raymond Poincaré ; en 1958 avec Charles De Gaulle, Antoine Pinay puis Wilfrid Baumgartner ; en 1983 avec Jacques Delors, autre illustre enfant de la Banque de France. Chacun de ceux que je viens de citer y a gagné une stature politique et historique forte ; comme quoi les Français savent reconnaître le sérieux dans la gestion publique.
En second lieu, tout n’a pas été mauvais en 2024. L’inflation, qui est notre principal mandat en tant que banque centrale, a diminué plus encore que prévu, même si nos concitoyens restent encore sensibles à la hausse passée du niveau des prix. L’inflation est revenue dans l’ensemble de la zone euro vers notre cible de 2%, à 2,4% fin 2024 i). La légère remontée de décembre était attendue, et ne remet pas en cause notre victoire en cours contre l’inflation. En France, l’inflation se situe même en-deçà, à 1,8% selon l’indice harmonisé ii. Nous l’y attendons en moyenne annuelle en 2025 à 1,6%. Cela nous a permis avec Christine Lagarde, au Conseil des Gouverneurs de la BCE, de déjà baisser à quatre reprises notre taux directeur, passé de 4% à 3% entre juin et décembre.
Le crédit immobilier a ainsi pu redémarrer, avec une production de nouveaux crédits de 10,1 milliards d’euros en novembre – contre un point bas de 7 milliards d’euros en mars –, et l’économie française a été bien financée grâce à votre engagement à tous : +1,3% de crédits au secteur privé sur l’année.
À 1,1%, la croissance française a été supérieure à celle de la zone euro, et à notre prévision initiale de 0,9%, notamment sous l’effet des Jeux Olympiques – qui resteront comme un grand succès de la France quand elle joue collectif. Enfin, l’emploi a relativement bien résisté jusqu’à présent, et a connu une belle progression avec 2,2 millions d’emplois créés depuis dix ans et 1,2 million depuis cinq ans... même si, à 7,4% de chômage, nous sommes encore trop loin de l’objectif de plein emploi.
De toute évidence, 2025 commence avec plus d’incertitudes ; et donc potentiellement plus d’attentisme, de la part des entreprises sur leurs investissements, comme des ménages avec un taux d’épargne historiquement haut iii. Et pourtant, jamais le mot « espérer » n’a me semble-t-il autant flotté dans l’air : comme une ressource rare certes mais indispensable. Le beau mot d’espérance exprime en français au moins deux attentes : celle du besoin vital de confiance – et la Banque de France demeurera encore et toujours une institution de confiance ; mais celle aussi – si je parle, devant des assureurs, de l’espérance mathématique – d’une probabilité. Alors permettez-moi de formuler devant vous quatre vœux d’espérance lucide, en commençant par le plus probable.
1. Une année de baisse des taux directeurs en Europe
À 3%, notre taux directeur est nettement inférieur à ceux de la Fed américaine (4,25%-4,50%) et de la Banque d’Angleterre (4,75%). Mais il est encore significativement au-dessus du taux neutre, qui marque la frontière entre une politique restrictive et une politique accommodante. Ce taux n’est pas directement observable, mais se situe en moyenne proche de 2% en zone euro selon les estimations de la BCE. Si le recul de l’inflation se confirme au cours des prochains trimestres comme nous le prévoyons, le bon sens est que nous allions sans ralentir le rythme vers ce taux neutre d’ici l’été prochain.
Ceci favorisera le bon financement de l’économie, et le repli du taux d’épargne des ménages. Le secteur de l’immobilier en bénéficiera dans son redémarrage progressif. Je ferai ma proposition au Ministre sur le taux du Livret A le 15 janvier. Mais j’appelle l’attention des acteurs bancaires ce soir sur un autre livret, le livret d’épargne populaire (LEP), qui est le produit le plus protecteur de l’épargne des plus modestes. Le nombre de comptes a augmenté de plus de 4 millions depuis 4 ans, pour atteindre 11,7 millions fin octobre ; nous pouvons et nous devons faire encore mieux, alors que plus de 19 millions de Français pourraient être intéressés, et que le taux du LEP à compter du 1er février sera, encore davantage que celui du Livret A, nettement supérieur à l’inflation.
Tout ceci vaut pour les taux courts ; les taux longs sont eux fixés par les marchés internationaux, et ne sont pas indépendants de notre politique budgétaire.
2. Une année de baisse du déficit en France
Notre pays a vaincu la maladie aigüe de l’inflation ; il reste sa maladie chronique des finances publiques. En 1984, notre dette publique ne représentait que 30% de notre PIB ; aujourd’hui, elle a presque quadruplé et s’élève à 113% du PIB à fin septembre. La maladie est ancienne, mais rien ne justifie de s’y accoutumer. Tout montre au contraire qu’elle a franchi aujourd’hui plusieurs seuils critiques d’aggravation : la France aura cette année le déficit le plus élevé de la zone euro, et reste parmi les rares pays dont le ratio de dette continue de croître. Notre spread de taux s’est dangereusement éloigné de l’Allemagne et rapproché de l’Italie. La charge d’intérêts pèsera bientôt plus lourd que le budget du ministère de l’éducation nationale.
La gravité de notre situation budgétaire a au moins une vertu : notre pays n’a plus à choisir entre le redressement et la croissance. Réduire l’incertitude budgétaire et fiscale, qui pèse sur les entreprises et les ménages, c’est aujourd’hui devenu une condition de la confiance et donc de la croissance. Et c’est éviter que le soutien de la politique monétaire au financement de l’économie soit annihilé par le surcroît en taux d’intérêt de notre dérive budgétaire.
Le chemin est difficile, mais il est possible en visant deux balises, deux ancres. 2025 doit marquer une première étape significative de crédibilité : il faut revenir cette année à un déficit le plus proche possible de 5% du PIB, et clairement inférieur à 5,5%. Et il faut aussi fixer un cap de moyen terme, celui de 3% de déficit en 2029. Cela correspond à nos engagements européens, mais aussi et surtout au niveau qui nous permettra enfin de stabiliser notre ratio de dette. La première étape pourra comporter pour partie certaines hausses d’impôts ciblées ; mais la seconde devra reposer essentiellement sur des dépenses mieux maîtrisées et plus efficaces, de l’État, mais aussi des collectivités locales et des administrations sociales qui représentent ensemble 64% des dépenses totales. Partout, la France dépense plus que ses voisins, de plus de 9% du PIB au total ; cet effort d’économies justes gagnera à être dès maintenant préparé, documenté, partagé.
Je crois, Monsieur le Ministre, que telles sont bien vos intentions, dans le dialogue ; et tel est l’intérêt national, qui doit transcender les intérêts particuliers ou partisans.
3. Une année sans récession et préparant la reprise
Mon troisième vœu est en réaction au retour d’un spectre en Europe : celui de la crainte de la récession. Il plane à nouveau, comme fin 2022, mais dans les mots plus que dans les chiffres. Notre prévision est une croissance de 0,9% iv. Oui, les risques sur ce chiffre sont à la baisse ; oui, l’économie française croît au ralenti ; mais non, nous ne voyons pas aujourd’hui de récession. La morosité collective a des raisons objectives, mais elle ne doit pas conduire à un pessimisme excessif. La reprise attendue devrait intervenir en 2026 et 2027 avec une croissance autour de 1,3% – sous réserve d’une diminution progressive des incertitudes cette année.
En effet, la progression des salaires est désormais plus rapide que l’inflation, ce qui générera des gains de pouvoir d’achat mieux répartis au sein de la population. La consommation devrait donc reprendre, et le taux d’épargne reculer, tout en restant supérieur à son niveau pré-Covid.
4. Une année pour les architectes en Europe
Appeler un temps des architectes, c’est peut-être glisser de la probabilité à l’espoir. Mais il est hautement souhaitable de relayer les pompiers, gestionnaires de crises omniprésents jusqu’à maintenant, et dans le même temps de résister aux pyromanes. Ceux-ci appellent, avec plus de bruit que de cohérence, à des retours en arrière dangereux en matière commerciale, climatique et financière. Mais si nous ne pouvons pas changer l’autre côté de l’Atlantique, nous pouvons changer le nôtre.
L’année 2024 a été riche en réflexions sur le pivot à opérer vers les politiques structurelles en Europe. Les rapports des anciens Premiers ministres italiens Enrico Letta v et Mario Draghi vi, et, plus modestement, l’appel franco-allemand que j’ai lancé avec mon collègue et ami de la Bundesbank Joachim Nagel en novembre vii, dessinent une feuille de route pour échapper à deux tyrannies : celle du court terme et celle de l’extérieur. Le constat est clair : l’Europe dispose de leviers effectifs pour maîtriser son destin économique et renforcer sa croissance : mais si elle ne se réveille pas maintenant pour agir, elle risque un long sommeil économique.
Les remèdes sont à prendre en bonne partie du meilleur de l’Amérique, en trois « i ». L’Europe doit à la fois (i) intégrer plus son marché unique (ii) investir plus, avec d’abord ses ressources privées mobilisées dans une Union pour l’épargne et l’investissement (iii) innover plus et surtout plus vite, en réduisant sa bureaucratie. En d’autres termes, nous devons multiplier la taille par le muscle et par la vitesse, sans besoin de surpoids budgétaire coûteux.
Permettez-moi d’insister sur l’importance dans cet agenda européen de la simplification en matière notamment de règlementation financière viii. Il ne suffit plus que les principes de la règlementation soient sains en eux-mêmes, il faut désormais que la complexité de la règlementation existante, ou de la supervision, ne constitue pas un frein aux objectifs poursuivis. L’ACPR y est engagée. Pour autant, soyons clairs face aux tentations exprimées ailleurs : la simplification à l’européenne n’est pas la dérégulation à l’américaine. Le cadre de Bâle III doit rester le socle international de la règlementation bancaire. Par ailleurs, sur les non-banques comme sur les crypto-actifs, ne pas réguler aujourd’hui, ce serait semer les germes de la crise financière de demain.
Je conclurai avec cette belle phrase d’Albert Camus ix : « La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ». Non pas sacrifier le long terme à une « dictature de l’urgence », mais préparer l’avenir sans ployer sous le poids du présent. C’est votre engagement professionnel, à chacun, et c’est notre responsabilité. Comptez sur la Banque de France, autour de ces vœux d’espérance lucide, pour être plus que jamais en 2025 réductrice d’incertitude et pôle de stabilité. Bonne année à vous et à tous, et à notre cher pays !
i Eurostat, estimation rapide pour décembre
ii Insee, Indice des prix à la consommation – résultats provisoires décembre 2024
iii 18,2% au troisième trimestre 2024
iv Banque de France, Projections macroéconomiques – Décembre 2024, 16 décembre 2024
v Letta (E.), Much more than a Market, rapport publié le 17 avril 2024
vi Draghi (M.), The future of European competitiveness, rapport publié le 9 septembre 2024
vii Nagel (J.), Villeroy de Galhau (F.), Notre appel commun pour un renouveau franco-allemand, tribune, 22 novembre 2024
viii Villeroy de Galhau (F.), « Pour une simplification réaliste : dénouer quelques nœuds de la règlementation bancaire en Europe », discours, 26 novembre 2024
ix Camus (A.), L’Homme révolté, 1951
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Mise à jour le 9 Janvier 2025