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Les banques centrales et la libération de la croissance européenne
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 22 Novembre 2024
Congrès bancaire européen, Francfort, 22 novembre 2024
Discours de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui à Francfort à l’occasion du Congrès bancaire européen 2024, en particulier pour cette session conjointe avec mon collègue de la Bundesbank et ami Joachim Nagel. L’Europe a de toute évidence un problème de croissance. Depuis 1999, la croissance du PIB par habitant a été moins rapide dans la zone euro (+ 26 % contre + 39 % aux États-Unis). Les cinq dernières années expliquent une part significative de l’écart : depuis 2019 et le Covid, le PIB par habitant n’a augmenté que de 2,5 % dans la zone euro, contre 7,9 % aux États-Unis, et l’écart devait encore se creuser davantage selon les tendances récentesi. Le résultat de l’élection américaine devrait sonner le réveil. La future politique économique des États-Unis est encore incertaine dans ses détails, mais pas dans sa probable direction : davantage de droits de douane, davantage de déficits budgétaires, moins de réglementation y compris dans la finance. Et cela pourrait signifier davantage de risques pour l’économie mondiale : plus d’inflation – en particulier aux États-Unis –, plus de volatilité financière, moins d’échanges commerciaux et donc moins de croissance, y compris pour l’Europe. Joachim et moi même avons néanmoins la conviction que l’Europe dispose encore des leviers nécessaires pour maîtriser son destin économique et renforcer sa croissance : c’est pourquoi nous allons lancer aujourd’hui un appel commun. Mais permettez-moi tout d’abord de dissiper trois idées fausses assez répandues concernant les banques centrales et la croissance.
« Les banques centrales ne se préoccupent pas de la croissance »
Il est vrai que notre objectif principal est, et doit rester, la stabilité des prix. Nous sommes clairement en train de maîtriser l’inflation, qui s’est établie à 1,7 % en septembre et 2,0 % en octobre dans la zone euro, en recul par rapport au pic de 10,6 % enregistré deux ans plus tôt. Cette forte baisse a clairement justifié la troisième réduction des taux décidée en octobre dernierii. En dépit de possibles fluctuations à la hausse et à la baisse au cours des prochains mois, nous sommes très confiants dans l’atteinte durable de notre cible de 2 %. Nous devrions même y parvenir plus tôt que prévu en 2025 par rapport à nos prévisions de septembreiii.
Le resserrement antérieur de notre politique monétaire n’a ni provoqué de récession dans l’ensemble de la zone euro, ni entraîné d’augmentation substantielle du chômage, qui demeure à son point bas historique (6,3 % pour la zone euro). En bref, l’économie européenne réussit un atterrissage en douceur, en grande partie grâce à la crédibilité des banques centralesiv. La stabilité des prix est une condition nécessaire à la confiance, et donc à la croissance. Nous ne sommes pas « derrière la courbe » aujourd’hui et, pour ce qui est de l’avenir, nous déterminerons le rythme de notre nouvel assouplissement de la politique monétaire de manière pragmatique, et en suivant une approche fondée sur les données et réunion par réunion, comme l’a souligné la présidente Lagardev. Nous sommes confiants dans le fait que la victoire contre l’inflation est vue, mais nous porterons une attention particulière à la balance des risques et à sa symétrie, notamment au risque éventuel de manquer notre cible d’inflation par le bas et de maintenir l’activité économique inutilement atone.
« Aujourd’hui, relancer la croissance passerait d’abord par une relance budgétaire »
Je ne ferai aucun commentaire sur la politique budgétaire allemande : il s’agit d’un cas différent et spécifique, et je sais à quel point le débat politique est intense. Mais permettez-moi de parler de la plupart des autres pays européens, y compris le mien. Les politiques budgétaires ont réagi à la récente série de crises – Covid et guerre menée par la Russie en Ukraine – en apportant un soutien important. De nombreux pays sont désormais confrontés à des niveaux de dette élevés, avec une moyenne d’environ 88 % du PIB dans la zone euro mi-2024vi. Dans le même temps, les effets sur l’activité des déficits budgétaires persistants se sont révélés globalement décevants sur le long terme, et ce particulièrement en France, en Espagne et en Italie. En effet, lorsque la dette publique est trop élevée, les effets keynésiens des mesures de relance de la demande agrégée sont freinés par les anticipations des consommateurs selon lesquelles ces mesures devront être remboursées dans le futur à travers une hausse des prélèvements, et plus généralement par la crainte de l’incertitude. Cela contribue probablement à expliquer pourquoi le taux d’épargne de la zone euro a encore augmenté récemment, passant de 13,1 % à 15,7 % entre la fin des deuxièmes trimestres 2022 et 2024 ; et pourquoi la consommation est par conséquent restée jusqu’à présent plus morose que prévu, même si le revenu disponible réel des ménages a augmenté.
Nonobstant la situation particulière de l’Allemagne, tous ces éléments vont dans la même direction : dans de nombreux pays, une consolidation budgétaire est nécessaire, et c’est le bon moment pour le faire. Permettez-moi d’ailleurs de souligner un malentendu concernant les euro-obligations et un financement public commun des investissements mentionnés dans le rapport Draghivii : sujet bloquant à ce stade pour l’Allemagne et d’autres États membres, il peut être déconnecté des autres recommandations du rapport. À ce stade, concentrons-nous positivement sur ces autres recommandations, qui sont nombreuses, décisives et non coûteuses. Mario Draghi lui-même n’a pas donné de chiffres, et a insisté sur le fait que « ce n’est pas le point principal du rapport »viii. Mais un co-financement privé, à travers l’Union d’épargne et d’investissement, est essentiel. Comme souligné par Gita Gopinath, première directrice générale adjointe du FMI, la plupart des gouvernements doivent opérer un « pivot stratégique »ix et concentrer leurs efforts sur les politiques structurelles permettant de répondre aux défis majeurs de croissance dans les années à venir.
« Les banques centrales ne devraient parler que de politique monétaire »
Les banques centrales devraient-elles parler uniquement de politique monétaire ? En réalité, non, et ce pour plusieurs raisons. En Europe, y compris à la Bundesbank et à la Banque de France, il existe une longue tradition de banques centrales apportant librement leur expertise sur des sujets économiques autres que ceux strictement liés à l’inflation ou aux taux d’intérêt. Grâce à la Deutsche Bundesbank, l’indépendance est un héritage allemand, que je chéris, et c’est une grande chance de disposer de l’expertise indépendante des banques centrales. Dans le monde actuel, où les chocs d’offre sont déterminants et seront de plus en plus fréquentsx, il est encore plus essentiel de promouvoir les politiques structurelles, dans l’intérêt de la stabilité des prix. En tant que banquiers centraux, nous ne sommes pas les décideurs en la matière, cela incombe aux gouvernements. Mais il est de notre devoir de contribuer à maintenir les réformes du côté de l’offre au centre des préoccupations, et ce d’autant plus que les autorités politiques sont actuellement souvent affaiblies, car elles sont malheureusement davantage soumises à de fortes pressions de court terme et intérieures.
Les banques centrales ont construit la crédibilité de leur politique monétaire grâce à des décennies d’actions et de communication tenaces. Elles doivent à présent se servir parfois de cette crédibilité pour lancer des appels au-delà de la politique monétaire, car la stabilité des prix et la stabilité financière dépendront également de leviers économiques plus larges. Si nous ne défendons pas l’ouverture des échanges commerciaux, avec des règles équitables, qui le fera ? Ou si nous ne plaidons pas en faveur d’une plus grande intégration financière en Europe, qui le fera ?
C’est pourquoi Joachim Nagel et moi-même voulons lancer aujourd’hui, ici à Francfort, un appel commun. Nous nous faisons ainsi également l’écho de Konrad Adenauer, qui fut chancelier de 1949 à 1963 : « Quand tous les autres pensent que c’est la fin, c’est là que nous devons commencer ». Je vous remercie de votre attention.
i Fonds monétaire international, Perspectives de l’économie mondiale, 22 octobre 2024 : dans la zone euro, la croissance du PIB par habitant devrait s’établir à 0,5 % en 2024 et à 1 % en 2025, contre 2,3 % et 1,7 %, respectivement, de l’autre côté de l’Atlantique.
ii Décisions de politique monétaire, communiqué de presse de la BCE, 17 octobre 2024.
iii Projections macroéconomiques pour la zone euro établies par les services de la BCE, septembre 2024.
iv Villeroy de Galhau (F.), Perspectives sur la politique monétaire : trois leçons de la récente poussée de l’inflation, discours à l’Université de New York, 22 octobre 2024.
v Lagarde (C.), Statement at the fiftieth meeting of the International Monetary and Financial Committee, réunions annuelles du FMI, 25 octobre 2024.
vi Eurostat, Euro indicateurs – deuxième trimestre 2024, 22 octobre 2024.
vii Draghi (M.), The future of European competitiveness, rapport publié le 9 septembre 2024.
viii The future of European competitiveness: a conversation with Mario Draghi, Institut Bruegel, 30 septembre 2024.
ix Gopinath (G.), A strategy pivot in global fiscal policy, discours à la conférence Whitaker de la Banque centrale d’Irlande, 18 septembre 2024.
x Villeroy de Galhau (F.), Perspectives sur la politique monétaire (II) : Trois repères pour un futur de « Grande volatilité », discours à la London School of Economics, 30 octobre 2024.
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Mise à jour le 25 Novembre 2024