Discours

Le retour de l’inflation dans la zone euro et les réponses de la politique monétaire

Intervenant

Denis Beau Intervention

Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France

2 Février 2023
Denis Beau Intervention

Conférence en partenariat

Avec la Faculté d’économie gestion d’Orléans

1er février 2023

Discours de Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France.

 

Chers étudiants, Mesdames et Messieurs, je me réjouis d’être ici avec vous aujourd’hui pour vous parler de l’évolution de la situation macroéconomique et financière dans la zone euro et de la conduite des politiques que nous menons à la Banque de France et dans l’Eurosystème pour assurer nos missions de stabilité monétaire.

L’impact économique et financier de la guerre en Ukraine a en effet profondément modifié les perspectives de sortie de la crise Covid telles que l’on pouvait les appréhender il y a un an, et soumis notre système économique et financier à de nouveaux chocs importants d’offre et de demande, qui se sont traduits par une forte accélération de l’inflation.

Après avoir présenté la situation et les perspectives macroéconomiques telles que nous les analysons aujourd’hui à la Banque de France, je vous dirai quelles conséquences nous en tirons en terme de politique monétaire, pour faire revenir l’inflation vers 2%.

1  Situation et perspectives macroéconomiques

S’agissant de la situation macroéconomique, l’économie de la zone euro a été affectée par une série de chocs sans précédent au cours des dernières années. La dégradation des perspectives économiques depuis le début de l’année 2022, qui s’est traduite par des révisions répétées à la hausse des prévisions d’inflation et à la baisse des prévisions de croissance [slide 2], trouve son origine notamment dans la guerre en Ukraine et le confinement en Chine qui ont alimenté un choc de « slow-flation ». Ce choc menace désormais de se transformer en choc « stagflationniste ». Les données les plus récentes font état en effet d’un ralentissement significatif de la croissance économique dans la zone euro. Plusieurs facteurs expliquent cela.

Comme élément d’explication figure en particulier et en premier lieu le choc négatif sur les termes de l’échange résultant des prix très élevés de l’énergie, qui affecte le revenu réel des ménages et des entreprises. Pour la France, ce choc sur les termes de l’échange pourrait être le deuxième plus important depuis le premier choc pétrolier de 1974. Il implique une diminution du revenu réel pour l’économie de la zone euro de -2,3% du PIB (de -1,8% pour la France) en glissement annuel à l’issue du 3ème trimestre de l’année 2022. Des goulets d’étranglement au niveau de l’offre en terme d’approvisionnement et de recrutement jouent également. Même s’ils s’atténuent, ils continuent de contraindre l’activité économique. L’environnement géopolitique néfaste joue enfin, avec en particulier la guerre injustifiable menée par la Russie en Ukraine, qui pèse sur la confiance des chefs d’entreprise et des consommateurs.

En conséquence, les projections relatives à la croissance économique ont été nettement révisées à la baisse pour la fin de l’année 2022 et pour toute l’année 2023. Dans les projections de décembre de l’Eurosystème, le scénario de référence table désormais sur une croissance de 3,4 % en 2022, de 0,5 % en 2023, de 1,9 % en 2024 et de 1,8 % en 2025 [slide 3]. La combinaison au niveau sectoriel des chocs d’offre et de demande s’est également traduite par une forte accélération de l’inflation. L'inflation devrait ainsi atteindre 8,4 % en 2022 dans la zone euro. Selon les projections de décembre de l’Eurosystème, l’inflation ne devrait ralentir que progressivement et revenir vers 2% fin 2024 et en 2025.La prévision d’inflation pour la zone euro est ainsi de 6,3% en 2023, 3,4 % en 2024 et 2,3 % en 2025.

Dans sa déclaration de politique monétaire (statement) du 15 décembre dernier, le Conseil des gouverneurs a souligné que les risques pesant sur les perspectives de croissance économique étaient orientés à la baisse. Les risques pesant sur les perspectives d'inflation étaient, elles, principalement orientés à la hausse. Les données économiques publiées depuis cette date suggèrent néanmoins que ces risques négatifs ont plutôt diminué dans leur ensemble.  En particulier, une détente des prix de gros du pétrole et du gaz s’est produite au cours des dernières semaines par rapport aux hypothèses retenues dans les prévisions de décembre. [slide 4] Cette baisse des coûts de l'énergie pourrait réduire les pressions sur les prix. De plus, un certain nombre d’indicateurs conjoncturels publiés récemment semblent indiquer que le risque de récession durant l’hiver 2023 a diminué au profit plutôt d’une stagnation temporaire : je pense notamment aux dernières enquêtes de conjoncture en Allemagne et en France.

[slide 5] Dans ce contexte, s’agissant de l’économie française, notre prévision de décembre reflète une dynamique macroéconomique marquée par un cycle en trois phases, que l’on peut résumer par trois « R » concernant la croissance : Résilience en 2022 -Ralentissement fin 2022, début 2023-Reprise en 2024. Concernant l’inflation, celle-ci s’établirait à 6,0 % en moyenne annuelle et également en 2023. Toutefois, après un pic au premier semestre 2023, elle décroitrait progressivement pour atteindre fin 2023 4 %, puis 2,5 % en 2024 et 2,1 % en 2025.

Ces prévisions s’appuient sur des perspectives de consommation des ménages qui devraient rester bien orientées, fondées sur l’observation que les hausses de prix à la consommation se transmettent déjà en partie aux salaires nominaux, qui alimentent eux-mêmes en retour des hausses des prix selon une relation prix-salaires habituelle [slide 6]. En outre, l’impact du choc sur les termes de l’échange et en particulier celui de la facture énergétique, sur les revenus réels est largement amorti par les nombreuses mesures budgétaires de soutien au pouvoir d’achat mises en place1 sup="">. Nous estimons à la Banque de France ce prélèvement lié à la facture énergétique autour de 60 milliards d’euros ou de 2,5 % du PIB pour l’année 2022. Du fait des mesures budgétaires compensatoires mises en place par le Gouvernement, on peut estimer que la part de ce prélèvement finalement supporté par les ménages est de l’ordre de 6 % ; celle supportée par les entreprises de 50 % environ et celle supportée par les administrations publiques de 35 % (Cette évaluation ne prend pas toutefois en compte tous les ajustements macroéconomiques qui sont à l’œuvre, et en particulier la transmission par les entreprises des hausses de coûts à leurs prix de vente et la réaction des salaires aux prix2).

Toutefois, compte tenu de l’inflation élevée, le pouvoir d’achat par habitant des ménages se replierait légèrement en 2022 (- 0,6 %) et en 2023 (– 0,4 %), moins cependant que la hausse observée en 2021 (+ 2,0 %).

S’agissant des entreprises, leurs plans d’investissements devraient être modérément affectés sur l’horizon de prévision.  L’augmentation des coûts de l’énergie, l’accélération des salaires nominaux et la faiblesse des gains de productivité, due notamment à la montée de l’alternance et des comportements de rétention de main d’œuvre pour préparer le rebond ultérieur de l’activité, devraient peser sur les marges et donc leur profitabilité. Toutefois, le taux de marge des sociétés non financières, exceptionnellement soutenu en 2020 et 2021, par les différentes mesures mises en place pour faire face à la crise Covid, se situerait sur la période 2023-2024, environ 1 point en dessous de son niveau de 2018, autour de 30,5 %. Ensuite, le taux de marge reviendrait à son niveau pré-crise, à 31,4 %.

Parallèlement, la tendance à la hausse du taux d’investissement s’interromprait sur l’horizon de prévision, conséquence du ralentissement de l’activité, de comportements attentistes liés à l’incertitude macroéconomique et de la normalisation des conditions financières. Sur l’ensemble de l’horizon de prévision, le taux d’investissement des sociétés non financières se stabiliserait ainsi à environ 25,5 % de leur valeur ajoutée.

Un dernier mot pour clore cette présentation, sur la situation et les perspectives en matière d’inflation. [slide 7]

Dans la zone euro, la hausse des prix à la consommation s’est accentuée ces derniers mois, atteignant 9,2 % en décembre. En France, selon les résultats de l’indice des prix à la consommation harmonisé, l’inflation s’est établie à 6,7 %, le niveau le plus bas de la zone euro, grâce en particulier au bouclier tarifaire, mais elle demeure très nettement supérieure à la cible d’inflation de l’Eurosystème.

Nous estimons à la Banque de France, comme nos collègues des autres banques centrales de l’Eurosystème, que la forte accélération actuelle de l’inflation trouve fondamentalement son origine non pas dans un excès de liquidité, mais dans les goulets d’étranglement qui résultent du rebond plus rapide que prévu de l’activité à l’issue de la pandémie ainsi que dans la forte hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation, largement exacerbée par la guerre en Ukraine.

En 2022, l’envolée des prix de l’énergie sur les marchés internationaux a constitué le principal choc inflationniste pour l’économie française. Ce choc s’est répercuté de manière contenue en 2022 sur les prix de détail de l’énergie, en raison notamment du bouclier tarifaire, mais il s’est transmis aussi indirectement et avec un délai de quelques mois aux autres composantes de l’inflation, via les répercussions de l’alourdissement des coûts des producteurs.

Ainsi, l’inflation en France et en zone euro s’est diffusée très largement et revêt désormais un caractère « interne » et « généralisé », avec une hausse de l’ensemble des autres composantes de l’inflation : d’après les résultats de décembre, l’inflation sous-jacente (qui exclut l’énergie et l’alimentation) s’élève désormais à 5,2 % en zone euro (et à 4,2 % en France), et la hausse des prix se propage aux biens et aux services – qui représentent l’autre moitié de l’inflation totale.

C’est cette inflation plus « interne » dont les banques centrales sont responsables, et qu’elles ne doivent pas laisser persister.

Selon nos prévisions de décembre, l’inflation devrait atteindre son pic au cours du premier semestre, avant de se replier pour revenir vers 2 % fin 2024 et en 2025. Cette décrue de l’inflation à l’horizon de la prévision résulterait de l’effet combiné de plusieurs facteurs : la stabilisation en 2023 des prix des matières premières, emportant la dissipation des effets de base associés à leur hausse antérieure, les effets du changement d’orientation de la politique monétaire qu’a décidé le Conseil des gouverneurs de la BCE pour ramener l’inflation à 2 %, sur laquelle je vais maintenant concentrer mon propos, et, corrélativement le maintien de l’ancrage des anticipations d’inflation à moyen terme au voisinage de la cible d’inflation de la BCE.

2  Conséquences pour la politique monétaire

Quelles sont donc les implications du changement de situation et de perspectives macroéconomiques que je viens de décrire pour la politique monétaire en zone euro ? [slide 8]

Du point de vue de la politique monétaire, ce changement a eu pour effet de changer la nature du risque principal qu’elle doit réduire : le risque pour la stabilité des prix auquel nous sommes confrontés n’est plus celui d’une inflation « trop faible trop longtemps » mais celui d’une inflation « trop élevée trop longtemps ». Ce changement fondamental appelait un changement d’orientation de la politique monétaire. C’est pourquoi, dans un premier temps, le Conseil des gouverneurs a décidé de démanteler les mesures adoptées pour lutter contre le risque de déflation.

Ainsi, pour ce qui concerne les taux d’intérêt directeurs de la BCE, le Conseil des gouverneurs de la BCE a décidé de les augmenter à rythme accéléré, de 250 points de base au total en 6 mois entre juillet et décembre 2022. Par ces décisions, la politique monétaire a atteint le taux neutre. Pour rappel, le taux neutre désigne le niveau d’équilibre théorique auquel il n’y a ni nouvelle accélération ni ralentissement monétaires de l’inflation. Il s'agit donc d'une variable non observable et son estimation est entourée d'incertitude.

A la Banque de France, nous estimons que le taux neutre se situe à un niveau proche de 2 % en termes nominaux dans la zone euro, niveau atteint par les taux directeurs à l’issue du Conseil des gouverneurs de décembre.

Il est important de garder à l’esprit que La réduction du bilan de la Banque centrale devrait débuter au cours de cette deuxième étape.

Les questions importantes désormais concernent l’ampleur, la vitesse et la durée de ce durcissement de la politique monétaire.

Lors de sa dernière conférence de presse, la Présidente de la BCE a clairement indiqué que les taux directeurs devaient aller au-delà du taux neutre, et que les anticipations du marché à l’époque sur le taux dit « terminal », c’est-à-dire le taux au pic de la hausse, un peu inférieures à 3%, qui étaient incorporées dans les prévisions de la BCE, ne suffiraient pas à ramener à terme l’inflation à la cible de 2 %.

 De nouvelles hausses de taux seront donc nécessaires en 2023, pour faire revenir l’inflation vers 2 %. Il est néanmoins trop tôt pour préjuger du niveau et de la date où sera atteint le taux « terminal », et combien de temps il sera maintenu à ce niveau. Comme l’a souligné François Villeroy lors de son audition par la Commission des Finances du Sénat mi-janvier, le pragmatisme présidera à ces décisions, et sera guidé par les données observées, avec pour objectif de faire revenir l’inflation vers 2 % dans les deux ans, qui sont le délai d’action de la politique monétaire. Pour rappeler les termes employés par François Villeroy de Galhau, « la course de vitesse des hausses de taux en 2022 devient plutôt une course de fond, et la durée comptera au moins autant que le niveau ».

S’agissant du taux « terminal », je voudrais ici simplement souligner en premier lieu que les intervenants de marché ne prévoient pas aujourd’hui de fort resserrement des taux directeurs de la BCE, les anticipations centrales concernant le taux d’intérêt en fin de période se situant désormais un peu au-dessus de 3 % [slide 9]. En outre, ils anticipent que la fin du cycle de hausse des taux devrait être atteinte à l’été 2023. Il devrait selon les marchés, laisser place à l’enclenchement d’une baisse au 1er semestre 2024 en cohérence avec ses anticipations d’un retour à 2 % de l’inflation dans la première partie de l’année 2024. Toutefois, il me semble raisonnable de dire que dans le contexte de forte incertitude dans lequel nous évoluons, ces anticipations sont fragiles et volatiles. De nombreux facteurs sont en effet susceptibles d’influer sur la trajectoire de la politique monétaire dans ce contexte, en alimentant ou pas la persistance d’une inflation sous-jacente (hors composantes volatiles) significativement au-dessus de la cible de 2 %. D’où l’indication donnée par Christine Lagarde en décembre que « nos futures décisions resteront dépendantes des données et continueront d’être prises réunion par réunion ».

Dans le contexte que je viens de décrire, un rôle important pour la politique monétaire sera de veiller à ce que les anticipations d’inflation restent ancrées, en particulier tant que l’inflation demeure élevée. Jusqu’à présent, c’est le cas et il n’y a pas de signe qu’une éventuelle boucle prix-salaires est à l’œuvre. Mais la vigilance doit rester de mise. [slide 10]

La prévision et l’engagement du Conseil des gouverneurs sont que l’inflation devrait ralentir pour revenir proche de 2 % en 2025, à mesure que ses moteurs actuels s’estomperont et que la normalisation de la politique monétaire produira ses effets sur l’économie et dans les mécanismes de fixation des prix.

3  Conclusion  [slide 11]

Pour conclure, je voudrais tirer trois enseignements de cette revue rapide de l’évolution de la situation économique et monétaire pour la France :

  • La bonne capacité de résistance aux chocs de notre économie et de notre système financier jusqu’à présent
  • Le changement de régime de l’environnement des taux d’intérêt que ces chocs ont provoqué en poussant à une normalisation de la politique monétaire
  • L’importance, au-delà des actions immédiates pour maintenir la stabilité monétaire et financière, objectifs pour lesquels la Banque de France est du fait de ses mandats résolument engagée, de se projeter sur un horizon plus long. À cet horizon, les problèmes structurels d’offres de l’économie française demeurent et appellent la mise en œuvre de politiques pour muscler notre capacité productive. Pour y parvenir, il nous faudra réussir trois grandes transformations :
    • La transformation écologique et énergétique
    • La transformation numérique
    • L’augmentation de l’offre de travail et des compétences.

Je vous remercie de votre attention.

 

1 Le montant total de ces mesures à destination des ménages pourrait atteindre ainsi environ 50 milliards d’euros en 2023.

2 Cette distribution finale après les ajustements macroéconomiques finaux des prix et des quantités est beaucoup plus difficile à évaluer.