Interview

Le Journal du Dimanche : « Soyons lucides sur les défis et confiants en nous-mêmes »

Intervenant

François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

19 Décembre 2022
François Villeroy de Galhau intervention

Interview de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France.

Les craintes d’une récession s’amplifient. Où en est la situation économique aujourd’hui ?I

Elle comporte de grandes incertitudes. Dans ce contexte, nous essayons d’allier la lucidité à la confiance. L’économie française, comme l’économie européenne, a subi – et subit encore – un choc extérieur majeur, depuis le déclenchement de la guerre russe en Ukraine. Il se traduit par un ‘prélèvement extérieur’, constitué par la hausse de la facture de l’énergie importée, qui accélère l’inflation tout en diminuant nos revenus. Nous l’estimons à près de 50 milliards d’euros, soit environ 2% du PIB. L’État peut avec des subventions adoucir temporairement ce choc, mais pas le faire disparaître.

Comment réagit l’économie française pour l’instant ?

Elle manifeste une certaine résilience. La croissance atteint 2,6% en 2022, ce qui est un taux satisfaisant. Mais le ralentissement sera nettement marqué en 2023, avec une croissance que nous estimons autour de 0,3%. C’est une conséquence logique de ce prélèvement extérieur. L’économie française s’adaptera ensuite à cette nouvelle donne, avec une croissance attendue à 1,2% en 2024, puis à 1,8% en 2025.

Qu’en est-il de l’inflation ?

La hausse des prix est la première préoccupation des Français, et c’est bien normal. L’inflation française atteint aujourd’hui 7,1% en indice européen harmonisé, contre 10% pour la moyenne de la zone euro. Cet écart favorable s’explique par le bouclier tarifaire, qui protège en particulier les ménages. Mais l’inflation reste trop élevée dans les deux cas. L’augmentation des prix de l’énergie et maintenant des produits alimentaires en explique près de la moitié. Mais le pic de l’inflation devrait être atteint au cours du premier semestre 2023. Elle devrait ensuite diminuer régulièrement, pour revenir vers 2% à la fin de 2024 en l’absence d’un nouveau choc énergétique. Pour les entreprises, une question majeure concerne la formation de prix européens de l’électricité et du gaz moins volatils. C’est l’une des grandes urgences de l’Union Européenne.

Face à l’inflation, la politique monétaire est-elle adaptée ?

Oui: nous avons agi vite et fort depuis le printemps, lorsque nous avons vu que l’inflation énergétique importée se diffusait dans le reste de l’économie. Face à cette inflation large « sous- jacente » (hors énergie), la politique monétaire est nécessaire et efficace. Nos taux d’intérêt ont donc déjà été relevés à quatre reprises successives, passant de -0,5% à 2%. Et nous sommes prêts à aller au-delà pour vaincre l’inflation, même si notre objectif n’est évidemment pas de provoquer une récession. Il faut néanmoins dix-huit mois à deux ans pour qu’une politique monétaire anti-inflationniste produise ses effets, d’où l’engagement à fin 2024 que j’ai cité. 

La Banque de France interroge chaque mois 8 500 entreprises. Quelles conclusions en tirez-vous ?

Dans l’ensemble, les carnets de commande résistent assez bien. Mais les entreprises rencontrent des difficultés d’approvisionnement - en réduction -, et pour 53% d’entre elles, de recrutement. Ce second point est en partie un signal positif : il n’y a jamais eu autant de personnes au travail en France, et le taux de chômage est au plus bas depuis plus de vingt ans. Pour les entreprises plus exposées au choc énergétique, dont le secteur industriel, les marges diminuent, après une situation exceptionnellement favorable en 2021. Une dégradation de la trésorerie commence à être perceptible pour certaines, mais sans généraliser. Il faut une approche au cas par cas.

Existent-ils des craintes sur les remboursements des prêts garantis par l’État (PGE) ? Notamment pour les PME-TPE ?

Plus de 95% des entreprises, et des PME- TPE, remboursent aujourd’hui correctement leurs PGE. Un échelonnement général - qui accroîtrait encore notre dette publique - ne serait donc pas justifié, mais la Médiation du crédit de la Banque de France est mobilisée pour traiter les cas plus difficiles. Les PGE restent un vrai succès français : ils ont aidé près de 700 000 entreprises dans la crise Covid. 

Doit-on redouter une hausse des défaillances d’entreprises en 2023 ? 

Les douze derniers mois ont vu un peu moins de 40 000 faillites, comparées à 50 000 enregistrées dans les années pré-Covid. La hausse récente est plutôt un rattrapage, après une diminution très marquée des défaillances pendant la pandémie. Nous sommes avec les autres services publics vigilants pour l’an prochain, mais nous ne craignons pas de grandes vagues de faillites.

Quels autres outils peut utiliser l’État pour soutenir l’économie ? 

L’État a déjà amorti près de la moitié du choc énergétique ! Mais il ne peut y avoir aujourd’hui un nouveau ‘quoi qu’il en coûte’: notre dette publique est trop élevée et de plus en plus coûteuse avec les taux d’intérêt qui remontent. Il faut sortir des mesures publiques d’urgence, pour nous adapter à une nouvelle donne économique. Pour cela, nous allons devoir nous répartir équitablement cette facture énergétique accrue, entre entreprises et particuliers. Puis dans la durée réduire notre dépendance aux énergies fossiles importées, tout en musclant nos capacités de production. Nous avons besoin d’une croissance plus forte, mais aussi plus verte et plus juste. 

Comment la construire ?

La sortie par le haut de la crise actuelle, c’est de réussir une triple transformation. La première est celle de la transition énergétique, avec une production d’énergie décarbonée sur le sol européen.  La deuxième se concentre sur l’innovation et le numérique, où l’Europe a pris du retard. Enfin, nous devons gagner la bataille des compétences en France. Même si le taux de chômage a baissé, nous sommes encore loin du plein emploi… alors que les entreprises peinent à recruter !  Il faut donc une transformation du travail en France, à la fois plus abondant et plus qualifié. Il n’y a pas de priorité plus grande que de donner sa chance à chaque jeune, à travers le développement amplifié de l’apprentissage, de la formation professionnelle, et de l’enseignement.

Comment se porte le marché de l’immobilier ?

Nous avons connu depuis cinq ans des taux d’intérêt exceptionnellement bas. Les crédits immobiliers se normalisent aujourd’hui avec des taux d’intérêt moyens, hors assurance, autour de 1,8%, encore bien inférieurs aux taux moyens des vingt dernières années, de l’ordre de 3,3%. Mais la production totale de crédits restera historiquement haute en 2022. Comparée au reste de l’Europe, l’offre de crédits en France est la plus abondante, la moins chère et la plus sûre, puisque 97% des prêts accordés sont à taux fixe. Le taux de l’usure permet une hausse progressive et proportionnée des taux d’intérêt: après un relèvement de près de 0,5 % fin septembre, il devrait connaître un nouveau relèvement d’ampleur proche fin décembre. 

Les ménages sont-ils davantage surendettés ?

Nous constatons heureusement depuis 2014 une baisse importante, d’environ 50% au total, des dossiers déposés. Cette tendance se poursuit cette année, avec un fléchissement de 7%. Mais nous restons mobilisés particulièrement concernant les paiements fractionnés, courants dans le e-commerce.

Le Fond monétaire international s’est récemment montré critique sur la situation de nos finances publiques…

Il ne faut pas que nous transférions encore aux générations futures la facture du choc actuel, comme nous l’avons fait pour le choc exceptionnel du Covid. Nous devons faire face et nous adapter. Je crois profondément au modèle social européen, mais en France il nous coûte trop cher, 10 points de PIB de plus que la moyenne de nos voisins. Nous attendons presque toujours les solutions de l’État, mais nous ne voulons pas le réformer et nous trouvons que nous lui payons trop d’impôts : nous tendons donc à résoudre chaque crise par un surcroît de déficit et de dette publics.

La France traverse-t-elle une crise de confiance inédite ?

Nous passons pour un pays qui aime à se quereller, à protester… et qui goûte en même temps les grands desseins et la raison. Peut- être ressentons nous du coup plus que d’autres les grandes incertitudes actuelles. D’où la lutte déterminée que la Banque de France et la BCE mènent contre l’inflation. Une inflation sous contrôle aidera au retour de la confiance. Elle permettra aussi de reprendre la croissance du pouvoir d’achat des ménages qui entre 2015 et 2021 avait crû en moyenne de 8%. Ce n’est pas si mal… même s’il faut être très attentif à tous ceux qui souffrent plus.

 Nous avons aussi su avancer dans des domaines comme l’apprentissage, ou la compétitivité de nos entreprises: le FMI que vous citiez vient d’ailleurs de le rappeler. Nous avons sans doute tendance à percevoir davantage nos faiblesses que nos atouts. Soyons à la fois plus lucides sur les défis, et plus confiants en nous-mêmes et nos capacités d’adaptation. Cette magnifique équipe de France nous montre la voie !