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Dix ans du MSU : de grandes réalisations, et de nouveaux voyages à accomplir
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 24 Juin 2024
Conférence tenue à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) –
Paris, lundi 24 juin 2024
Discours de François Villeroy de Galhau,
Gouverneur de la Banque de France
Président de l’ACPR
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir, aux côtés de Denis Beau, premier sous gouverneur de la Banque de France, et de Nathalie Aufauvre, secrétaire générale de l’ACPR, à cette conférence organisée par l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), en cette année où la BCE célèbre le 10ème anniversaire de notre mécanisme de surveillance unique (MSU). C’est également un très grand plaisir et un honneur d’accueillir d’éminents architectes et bâtisseurs du MSU : Jean-Claude Trichet, les trois présidents successifs du MSU, Danièle Nouy, Andrea Enria et Claudia Buch, ainsi que Christian Noyer, Elizabeth McCaul et Edouard Fernandez-Bollo.
Le MSU est incontestablement une réussite ; il est reconnu comme l’un des organes de surveillance prudentielle les plus efficaces au monde. Il s’appuie sur un fondement humain essentiel : la bonne intégration des équipes, et une convergence toujours plus grande. Je tiens à rendre hommage à l’engagement remarquable des agents de la BCE et des superviseurs nationaux, y compris celui des femmes et des hommes de l’ACPR. L’ACPR a donné au MSU sa première présidente, la talentueuse et très investie Danièle Nouy, ainsi que plus de 80 collègues. L’ACPR fut également un acteur essentiel dans l’adoption d’un modèle de supervision intégré et intrusif, dans lequel les inspections sur place indépendantes jouent un rôle important. S’appuyant sur ces références solides, le MSU peut désormais évoluer vers une surveillance prudentielle plus qualitative et davantage axée sur les risques (I). Dans une perspective plus large, l’achèvement de l’Union bancaire reste indispensable pour renforcer les banques européennes (II).
I. S’appuyant sur ses références solides, le MSU peut désormais évoluer vers une surveillance prudentielle davantage axée sur les risques
Le MSU est le résultat d’une volonté forte et commune des autorités politiques comme de surveillance européennes, dans le sillage de la grande crise financière. Dès sa création en 2014, le MSU a déployé des efforts considérables pour réduire les vulnérabilités des banques européennes et améliorer leur gestion des risques, et a rapidement créé les conditions permettant une harmonisation efficace de la surveillance prudentielle. Au final, le MSU a nettement amélioré la résilience du secteur bancaire européen et la confiance qu’il inspire. Il a démontré avec vigueur sa capacité à prévenir les crises, en particulier en 2023 après les faillites de banques aux États-Unis et le rachat forcé de Credit suisse. Les règles de Bâle et les politiques macroprudentielles européennes ont également bien servi notre système financier. Ensemble, ces éléments ont efficacement protégé la zone euro – à travers la pandémie, puis le fort relèvement des taux.
Le moment est désormais venu de stabiliser la réglementation. Les superviseurs et les législateurs européens sont déterminés à assurer des règles de concurrence équitables entre juridictions et, partant, une application équitable de Bâle 3 partout. Avec cela à l’esprit, la Commission envisage de décaler d’un an la mise en œuvre du FRTB (fundamental review of the trading book) ; mais nous espérons vivement que les autorités américaines transposeront Bâle III de manière pleine et fidèle et dans un futur pas trop lointain.
Pour en revenir au MSU, ses pratiques prudentielles sont désormais suffisamment matures pour alléger les processus, afin de favoriser une supervision fondée sur les risques et d’utiliser toute la boîte à outils prudentielle, notamment en se concentrant sur les mesures qualitatives. C’est la principale conclusion du rapport du Groupe des Sages d’avril 2023 i . Fernando Restoy est également avec nous aujourd’hui, et je voudrais profiter de cette occasion pour rendre hommage à ce travail collectif. Ce rapport a ouvert la voie à l’amélioration du processus de contrôle et d’évaluation prudentiels (Supervisory Review and Evaluation Process, SREP) actuel et au lancement de plusieurs nouveaux projets et initiatives.
Le mois dernier, le Conseil de surveillance a décidé de mesures concrètes afin d’intégrer une approche davantage proportionnée aux risques dans les méthodologies, les procédures et les outils du MSU à partir du second semestre 2024, comme l’a récemment déclaré Claudia Buch ii . Permettez-moi de souligner quelques améliorations complémentaires à venir dans le SREP. Premièrement, le renforcement de l’approche pluriannuelle pour mieux planifier et échelonner l’analyse détaillée dans le temps et, si aucun changement important n’intervient dans le profil de risque d’une banque, la possibilité d’actualiser les décisions du SREP tous les deux ans plutôt que chaque année. Deuxièmement, une plus grande attention accordée aux attentes et aux résultats clés, avec une meilleure utilisation des échelons d’escalade si les déficiences ne sont pas corrigées après une longue période. Dans l’ensemble, le processus SREP sera plus court, avec des décisions envoyées à la majorité des banques à la fin du mois de septembre, et non plus en décembre comme c’est le cas actuellement. Toutes ces mesures constituent des avancées majeures : elles rendront la surveillance prudentielle plus rapide, plus réactive et plus intrusive lorsque nécessaire.
Pour aller plus loin, nous pouvons et nous devons poursuivre nos efforts vers une supervision plus qualitative et davantage axée sur les risques. La nouvelle méthodologie SREP à venir constitue une réelle opportunité de prioriser nos missions de surveillance prudentielle en fonction de notre évaluation des risques, et d’inciter encore davantage les banques relevant du MSU à mener à bien les changements nécessaires à l’amélioration de leurs profils de risque. S’agissant de notre fonctionnement interne, il existe encore une marge pour affiner l’articulation entres les activités de supervision verticales et horizontales afin d’accroître notre efficacité, d’optimiser notre allocation des ressources et ainsi de réduire la « charge prudentielle » tant pour les banques que pour les superviseurs. En résumé, nous devons nous engager encore davantage dans un dialogue prudentiel constructif ; et pour cela, il faut un engagement de part et d’autre de la table, de notre côté en tant que superviseurs, ainsi que du côté des banques.
Je suis profondément convaincu que nous pouvons désormais tirer profit de l’expertise du MSU et de sa connaissance approfondie du secteur bancaire européen pour nous fier à notre appréciation prudentielle, et adopter une approche plus stratégique et holistique de l’évaluation des risques. Si le benchmarking constitue une contribution importante au processus, notamment pour garantir une égalité de traitement, ce n’est évidemment pas la seule ; l’évaluation individuelle du profil de risque de chaque banque, basée sur l’appréciation encadrée d’expert, devrait rester le cœur de notre évaluation.
II. L’Union bancaire : pourquoi et comment la remettre en mouvement
Permettez-moi à présent d’aborder un sujet important auquel nous devons encore nous atteler après plusieurs années d’impasse : un marché bancaire pleinement intégré en Europe iii. Reconnaissons-le : nous avons parfaitement réussi à bâtir une Union de supervision – que nous célébrons aujourd’hui – mais moins à réaliser une Union bancaire complète. Cette lenteur a freiné l’émergence de banques paneuropéennes, et nos banques perdent en importance par rapport à leurs concurrentes mondiales. En 2023, la part de marché domestique des cinq premières banques américaines s’établissait à 42 %, contre environ 28 % pour les cinq premières banques en Europe . Dans le même temps, la banque européenne la plus active dans les activités de banque d’investissement se classe seulement au neuvième rang mondial, loin derrière les cinq premières – qui sont toutes américaines. En 2023, les banques de la zone euro ne représentaient que 29 % des commissions liées à la banque d’investissement générées par les dix principaux acteurs en Europe, contre 34 % un an auparavant iv.
Pour les banques – comme nous pouvons le voir aux États-Unis – l’échelle est objectivement un déterminant majeur de compétitivité, en particulier parce qu’elle permet aux banques d’amortir le coût des investissements essentiels dans les technologies numériques et l’intelligence artificielle. Les banques européennes vont devoir innover dans la tokénisation de leurs dépôts et la construction d’infrastructures de paiement et de marché « de pointe », en association avec les autorités publiques. Nous ne devons pas craindre des banques européennes de plus grande taille et transfrontières, à condition qu’elles soient dirigées et supervisées attentivement ; au contraire, nous devrions les encourager. Il est grand temps que nous tirions parti de la taille du marché européen. Nous, Européens, devons trouver un moyen de réaliser des progrès réels et significatifs : pas à pas, en avançant dans la bonne direction, et je sais, chère Claudia, que vous partagez cette conviction.
En particulier, des efforts restent à faire pour mettre en pratique la notion de « juridiction unique », et pour mettre de côté certains débats nationalistes et pratiques de « ring-fencing », en particulier dans les pays « d’accueil ». La mise en œuvre effective des dérogations en matière de liquidité transfrontière, bien que prévue par la législation européenne, reste en pratique beaucoup trop limitée. Les dérogations aux exigences de fonds propres ne devraient pas être considérées seulement comme un héritage, mais il faudrait également en envisager de nouvelles, notamment l’extension des dérogations intragroupe à des fins de résolution. Par conséquent, nombre d’entre nous avons proposé des solutions pour achever l’Union bancaire, notamment Andrea Enria et ses propositions concrètes afin d’aller de l’avant v ; pour réussir, nos solutions alternatives doivent s’attaquer à la question du pays d’origine/d’accueil.
Dans le même ordre d’idées, j’ai suggéré il y a quelques années qu’au lieu d’un véritable mécanisme européen de garantie des dépôts (European deposit insurance scheme, EDIS), nous puissions travailler sur des solutions plus ciblées vi . Pour reprendre les mots de mon collègue allemand Joachim Nagel en avril dernier vii , « un modèle hybride présenterait de multiples avantages par rapport à un modèle centralisé, purement européen ». Nous pourrions conserver les dispositifs nationaux d’assurance des dépôts tels qu’ils existent actuellement, mais leur apporter un soutien lorsque des opérations de remboursement spécifiques nécessitent des liquidités supplémentaires. Nous pourrions également améliorer de manière significative la coordination entre supervision et résolution, et mieux intégrer la dimension transfrontière dans nos exigences au titre du MREL et des fonds propres.
Un dernier mot pour rappeler une évidence : les banques françaises sont très solides en termes de liquidité et de fonds propres, et ces points forts n’ont en aucune façon été affectés par les fluctuations récentes en bourse liées à l’incertitude politique. Point encore plus important, le modèle bancaire français est propice à un financement sain de l’économie réelle et favorable aux clients des banques (les ménages comme les entreprises) grâce à ses trois composantes : des marges d’intermédiation modérées, des volumes de prêt importants et un faible coût du risque. Les banques françaises sont, et demeureront un atout pour l’économie française, ainsi que pour l’Europe, comptant parmi les banques les plus importantes et les plus résilientes.
* *
Je conclurai avec Marcel Proust et Du côté de chez Swann – le premier tome d’À la recherche du temps perdu. « Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux ». En ce qui concerne nos sujets, de nouveaux yeux peuvent nous permettre non seulement d’achever nos voyages en matière d’Union de supervision et d’Union bancaire, mais également de modifier le paysage européen en matière de compétitivité, de croissance et d’innovation. Le premier objectif soutiendra les seconds. Je vous remercie de votre attention.
i Dahlgren (S.), Himini (R.), Restoy (F.) et Rogers (C.), Assessment of the European Central Bank’s Supervisory Review and Evaluation Process, Report by the Expert Group to the Chair of the Supervisory Board of the ECB, avril 2023
ii Buch (C.), Reforming the SREP: an important milestone towards more efficient and effective supervision in a new risk environment (europa.eu)
iii Exprimés en termes d’actifs domestiques consolidés. Sources : Réserve fédérale, BCE et calculs de la Banque de France
iv London Stock Exchange group, calculs de l’ACPR
v Enria (A.), Of temples and trees: on the road to completing the European banking union, discours, 17 mai 2022
vi Villeroy de Galhau (F.), Redémarrons l’Union bancaire, discours prononcé à l’occasion du Forum financier Eurofi, 10 septembre 2021
vii Nagel (J.), Monetary union, capital markets union, banking union – a triad for Europe’s prosperity and resilience, discours, 23 avril 2024
Mise à jour le 24 Juin 2024