Interview de François Villeroy de Galhau – Gouverneur de la Banque de France
FRANCE INFO - 8 novembre 2018
Marc Fauvelle - France Info : Ce matin, c'est le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau qui est l'invité de France Info jusqu'à 09h00. Renaud DELY vous présente en quelques mots.
Renaud Dely - France Info : Bonjour François Villeroy de Galhau.
François Villeroy de Galhau : Bonjour Renaud Dely.
Renaud Dely - France Info : Ce poste de gouverneur de la Banque de France, vous pilotez la stratégie monétaire, vous veiller aussi à la stabilité financière du pays, c'est un poste stratégique. Vous disposez donc François Villeroy de Galhau, de tous les outils, tous les Instruments qui permettent d'ausculter l'état de l'économie française et même d'ailleurs d'établir des prévisions pour les mois à venir, c'est une des missions de la de la Banque de France. On se souvient que François Hollande, à la fin de son quinquennat, disait : « Ça va mieux », à propos de l'économie française. Il n’avait pas vraiment convaincu, l'ancien président de la République. Alors, est-ce qu'aujourd'hui François Villeroy de Galhau, ça va mieux pour l'économie française depuis l'élection d'Emmanuel Macron qui remonte maintenant à il y a 18 mois ?
François Villeroy de Galhau : D'abord, par rapport à ce que vous avez dit sur les compétences de la Banque de France, je précise que nous agissons dans un cadre européen, puisque nous partageons nos monnaies...
Renaud Dely - France Info : Bien sûr.
François Villeroy de Galhau : J'étais hier au Conseil des gouverneurs à Francfort...
Renaud Dely - France Info : On l’évoquera bien sûr tout à l’heure.
François Villeroy de Galhau : Je précise aussi, et c'est très important par rapport à ce que vous dites sur les prévisions, que la Banque de France exerce cette mission de façon indépendante
Marc Fauvelle - France Info : C'est pour ça que votre jugement compte, et c'est pour ça qu’on va vous interroger justement.
François Villeroy de Galhau : C'est-à-dire que je n'ai le droit de recevoir d'instructions de personne, et que la Banque de France ne « roule » pour aucune force politique.
Marc Fauvelle - France Info : Alors, est-ce que ça va mieux depuis Emmanuel Macron ?
François Villeroy de Galhau : Sur la situation de l'économie française, la situation est plus favorable effectivement, en moyenne période. Pour vous donner les chiffres, nous attendons cette année, avec la prévision de la Banque de France, une croissance de 1,6 %, c'est nettement supérieur à la moyenne des dix dernières années...
Marc Fauvelle - France Info : Et c'est un peu moins que ce que prévoit le gouvernement, qui est à 1,7.
François Villeroy de Galhau : Oui, la Banque de France est traditionnellement plus prudente, je pense que notre chiffre s'avérera plus proche de la réalité. C'est aussi un petit peu moins que l'an dernier : en 2017 la croissance en Europe et en France avait connu une accélération exceptionnelle.
Renaud Dely - France Info : En France c’était 2,2 en 2017.
François Villeroy de Galhau : Nous étions même à 2,3. Quand on prend 2017 et 2018, ce sont deux années favorables sur le plan économique, avec beaucoup de créations d'emplois, plus de 300 000 l'an dernier, environ 200 000 attendues cette année, et donc un recul du chômage, c'est très important, et une augmentation du pouvoir d'achat.
Marc Fauvelle - France Info : Le chômage, on va y revenir, le pouvoir d'achat aussi, est-ce que tout ça, c'est croissance c'est grâce à Emmanuel Macron ou tout simplement grâce au vent de l'actualité internationale ?
François Villeroy de Galhau : Si j'ose dire, une économie c'est comme un bateau. Ce qui compte d’abord, c'est : est-ce que le vent est porteur ou pas ? Cela c'est l'économie européenne et internationale. Le vent est porteur, un petit peu moins cette année que l'an dernier : il y a un gros souffle de croissance c'est l'économie américaine, avec des déséquilibres. On en parlera peut-être, la politique de monsieur Trump fait de la croissance à court terme et probablement des déséquilibres assez dangereux à moyen terme. Ailleurs cela ralentit plutôt. Cela c'est le vent porteur.
Marc Fauvelle - France Info : Et puis il y a le gouvernement qui rame, en plus des voiles.
François Villeroy de Galhau : Ce n'est pas le seul gouvernement qui rame, c'est nous tous qui mettons au point le meilleur bateau possible, et cela c'est la question des réformes.
Renaud Dely - France Info : Mais le plus important, pour être précis, c'est le vent aujourd'hui ou est-ce que c'est...
François Villeroy de Galhau : C'est les deux. Quand vous regardez une performance de croissance, c'est toujours les deux. Comment mesure-t-on ce qui nous incombe à nous ? Regardons simplement la différence entre la croissance de la moyenne de la zone euro, dont nous faisons partie, et puis la croissance française. Depuis trois-quatre ans, malheureusement cette différence est négative, et c'est encore plus le cas en Italie si on regarde nos voisins...
Renaud Dely - France Info : Donc ça ce n'est pas la faute du vent, c'est la faute du marin.
François Villeroy de Galhau : C'est la faute des marins France et de l'équipage que nous sommes, et évidemment le chef d'équipage c'est le gouvernement, quel qu'il soit. En sens inverse, il y a des pays qui font mieux que la moyenne de la zone euro : on pense bien sûr à l'Allemagne, mais il n'y a pas que l'Allemagne, il y a des pays extrêmement divers, les Pays-Bas, l'Espagne, le Portugal, je pourrais en citer d'autres,... Qu'est-ce qui fait cette différence par rapport à la moyenne de la zone euro ? C'est la constance dans les réformes. Là il y a une bonne nouvelle, c'est que les réformes, cela fonctionne en Europe. Tous les pays qui ont mené des réformes, de façon cohérente persévérante, parce qu'il faut la durée, sont aujourd'hui des pays qui ont les meilleures performances en termes de croissance et d'emploi. Donc, l'objectif de la France, avec l'accélération des réformes que nous voyons depuis l'année dernière, c'est non seulement de rattraper la moyenne européenne, nous sommes en train de le faire, mais si possible de la dépasser.
Marc Fauvelle - France Info : La croissance c'est formidable, ça donne des chiffres qui font frémir tous les économistes. Ce que les Français attendent aujourd'hui, il y a deux choses, c'est : du pouvoir d'achat et du chômage en moins. Le pouvoir d'achat on va en reparler, mais le chômage, pourquoi il baisse si peu ? Vous nous dites : il y a du vent dans les voiles, on a un marin a priori qui sait où il va, et pourtant le chômage ne baisse quasiment pas en France.
François Villeroy de Galhau : Si, le chômage baisse....
Marc Fauvelle - France Info : Tout doucement, tout doucement.
François Villeroy de Galhau : Il est souhaitable qu’il baisse d'avantage, mais on doit regarder un peu les chiffres. Si on regarde depuis 18 mois, de la fin 2016 jusqu'à la mi-2018, il se trouve que ce sont les derniers chiffres dont on dispose, le chômage en France a reculé de 260 000 personnes. C'est assez significatif : je souhaiterais comme vous que cela soit davantage, mais si on regarde en taux de chômage, on était donc fin 2016 à un peu moins de 10 %, sur la France métropolitaine, on est aujourd'hui un peu moins de 9 %...
Marc Fauvelle - France Info : Tout ça, encore une fois, alors que tous les feux sont au vert.
François Villeroy de Galhau : Et l'objectif dans notre prévision serait d'être autour de 8 % à la fin de 2020.
Renaud Dely - France Info : Il vient de remonter, il vient de remonter au troisième trimestre, François Villeroy de Galhau, les Français ont entendu.
François Villeroy de Galhau : Oui, mais il faut toujours en économie, on prenait l’image de la mer, il y a les vagues, il y a l’écume, mais il faut quand même regarder la tendance de moyen terme. La tendance de moyen terme est à une décrue, mais je vous rejoins, Marc Fauvelle, pas assez rapide. Comment est-ce que nous pouvons faire ? C'est un objectif très important des réformes, pour que le chômage diminue davantage en France. Nos voisins y sont arrivés, certains pays européens qui ont la même monnaie que nous, le même modèle social que nous, sont au plein emploi.
Marc Fauvelle - France Info : Comment on fait ?
François Villeroy de Galhau : Une des réformes-clefs, c'est tout ce qui touche la formation. Je reste une minute là-dessus. Ce que nous voyons, -y compris sur le terrain, la Banque de France est présente sur le terrain, je rencontre des entrepreneurs très régulièrement-, c'est que le premier limitateur de vitesse aujourd'hui de l'économie française, ce sont les difficultés de recrutement des entreprises. C'est un paradoxe inacceptable ! Nous avons plus de 2,5 millions de chômeurs et nous ne pouvons pas aller plus vite parce que les entreprises ont du mal à recruter. Pourquoi ? Parce qu’en face d'elles, elles ont des jeunes ou des salariés adultes qui sont tout à fait disponibles, mais qui n'ont pas toujours les bonnes compétences. Donc cela c'est l'apprentissage, la formation professionnelle, les réformes de l’éducation. Il n’y a pas de réformes plus importantes que celles-là.
Renaud Dely - France Info : Ça veut dire que sur le constat, lorsqu'Emmanuel Macron, on s’en souvient, il y a quelques semaines, avait eu cette phrase brutale à l'endroit d'un horticulteur qui cherchait du travail, il lui avait dit : « Il suffit de traverser la rue pour trouver du boulot », c'est à vos yeux, c'est un constat qui est juste.
François Villeroy de Galhau : Je ne suis pas là pour commenter les phrases...
Renaud Dely - France Info : Non, mais, il y a effectivement, vous dites : le principal problème aujourd'hui en France, c'est des difficultés de recrutement. Il y a beaucoup de postes vacants, libres.
François Villeroy de Galhau : Oui, au-delà de la phrase que vous citez, incontestablement...
Renaud Dely - France Info : C'est le constat que vous venez de faire.
François Villeroy de Galhau : Les économistes appellent ce problème dont nous sommes en train de parler, le « chômage structurel » de la France. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que même quand le vent est porteur, comme beaucoup en 2017 et encore aujourd'hui à certains égards, même quand le vent est porteur, nous avons beaucoup de mal à faire descendre le chômage en dessous de 8 à 9 %. Et ça ce n'est pas le plein emploi, on ne peut pas s'arrêter à 8 ou 9 %, donc il faut un meilleur appareil de formation. Je citais tout à l’heure l'Allemagne, mais on pourrait citer les Pays-Bas ou d'autres pays, sur l’apprentissage...
Renaud Dely - France Info : Réformer la formation, François Villeroy de Galhau, ça fonctionne à quelle échéance ? Les Français sont impatients, évidemment, si on s'engage dans une vraie réforme de la formation, comme vous le dites, c'est une priorité, ça veut dire que le chômage baisse de façon spectaculaire, dans 2 ans, 3 ans, 5 ans, 10 ans ?
François Villeroy de Galhau : L'expérience de tous nos voisins européens c'est que les réformes prennent au moins 2 à 3 ans pour produire des effets. Illustrons-le sur ce qu'on vient de dire sur l'apprentissage. Il y a une loi très importante qui a été votée cette année, la loi Avenir pro, sur l'apprentissage et la formation professionnelle. Je crois que les choses là-dessus vont dans le bon sens. Maintenant, il faut que tout le monde s'en empare : tout ne dépend pas du gouvernement ou de la ministre du Travail dans ce pays, cela dépend aussi des entreprises, des partenaires sociaux, des collectivités locales. Pour vous citer l’exemple de l'apprentissage, former un apprenti cela prend 2 à 3 ans.
Marc Fauvelle - France Info : Résultat, aujourd'hui, si on fait ce plan, les résultats c'est pour la fin du quinquennat voire pour le suivant.
François Villeroy de Galhau : C'est très important d'être persévérant. Vous savez, on le sait tous dans notre vie, le travail prend du temps pour produire des résultats. La bonne nouvelle, c'est que si on est persévérant, nous le voyons sur tous nos voisins du Nord et du Sud, quelle que soit leur majorité politique, nous sommes certains que nous aurons des résultats en termes de croissance et d'emploi.
Marc Fauvelle - France Info : On poursuit cet entretien dans une minute 08h41. David Dauba vient de nous rejoindre pour le tour de l'actualité.
Marc Fauvelle - France Info : Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau est avec nous sur France Info jusqu'à 09h00. La question du pouvoir d'achat maintenant, Renaud Dely.
Renaud Dely - France Info : Parce que parmi les revendications et les attentes des Français, effectivement, celle du pouvoir d'achat se fait entendre de plus en plus fortement, le président de la République d'ailleurs se heurte à ces attentes et à ces demandes au gré de son itinérance mémorielle cette semaine dans le Nord et l'Est du pays. Est-ce que les Français ont raison de se plaindre et de juger que leur pouvoir d'achat, notamment amputé par la baisse... par la hausse pardon du prix des carburants, eh bien aujourd'hui leur pouvoir d'achat est en berne ?
François Villeroy de Galhau : Il y a la question du prix des carburants, elle est sensible pour tous les automobilistes, on y reviendra, et puis il y a la question globale du pouvoir d'achat. Si vous voulez bien que j'éclaire cette question d’ensemble...
Renaud Dely - France Info : Les Français ont le sentiment d'avoir perdu du pouvoir d'achat, est-ce que c'est un sentiment ou est-ce que c'est une réalité ?
François Villeroy de Galhau : Si vous me laissez expliquer, là aussi de façon tout à fait indépendante.
Renaud Dely - France Info : Allez-y.
François Villeroy de Galhau : Le pouvoir d'achat, qui est très important légitimement pour les Français, c'est la différence entre l'évolution de ce qu'on gagne, les revenus, et puis l’évolution du coût de la vie, l'inflation. Alors, sur les revenus, prenons le cas des salariés qui est la majorité de ceux qui nous écoutent. Comment évoluent leurs revenus ? Il y a l'augmentation du salaire proprement dit, sur la feuille de paie, en euros sonnants et trébuchants : là, en moyenne, il y a une augmentation du salaire de 2 % cette année. Et puis il y a un autre effet favorable, ce sont les créations d'emploi dont on parlait tout à l'heure. Quand une personne qui était au chômage, retrouve un emploi, c'est évidemment très bon pour elle sur le plan personnel et social, mais cela augmente aussi son revenu. Pour être tout à fait complet sur les revenus, je viens de parler de ce que les économistes appellent le revenu primaire, ensuite il faut prendre les impôts et transferts, on en parle beaucoup...
Marc Fauvelle - France Info : Les allocations, les aides, et les...
François Villeroy de Galhau : Et les allocations familiales, les aides. Cette évolution des impôts et transferts est moins importante que l'évolution du revenu primaire, mais elle est légèrement positive cette année, surtout en deuxième moitié d'année, parce qu'il y a la baisse de la taxe d'habitation. Bref, au total, il y a augmentation des revenus. En face de cela, et c'est quelque chose qui est très important pour la Banque de France, puisque nous en sommes responsables, c'est l'évolution du coût de la vie, l'inflation. L'inflation est aujourd'hui en France à 2,5 %, c'est le dernier chiffre.
Marc Fauvelle - France Info : C’est beaucoup.
François Villeroy de Galhau : Ce qui est un point haut. Rappelez-vous, on avait l'inquiétude inverse. Il y a 2 ans on disait : mais il y a la déflation, le recul des prix.
Marc Fauvelle - France Info : Et l’inflation, ça rogne les salaires, les pensions de retraite, et ça inquiète beaucoup de monde.
François Villeroy de Galhau : Ce niveau de 2,5 est un peu supérieur à l'objectif de moyen terme que nous avons de 2 %. Dans toutes nos prévisions, c'est un point haut à cause du prix élevé du pétrole.
Marc Fauvelle - France Info : Ça va se calmer derrière.
François Villeroy de Galhau : Là, le prix de l'essence joue un rôle...
Renaud Dely - France Info : C'est un point haut, donc ça va redescendre, l’inflation va rebaisser.
François Villeroy de Galhau : Cela va redescendre, absolument, vers cet objectif de moyen terme qui est à un peu moins de 2 %. Si on regarde l'ensemble de ce que je viens de décrire, c'est-à-dire l'évolution des revenus moins l'évolution du coût de la vie, de l'inflation, nous estimons que cette année le pouvoir d'achat des Français, en moyenne devrait augmenter d'à peu près 1 % et d'au moins 1 % les années suivantes, en réel.
Marc Fauvelle - France Info : Tout ça c'est évidemment une moyenne, ça cache beaucoup de situations. Si on prend un autre exemple, vous avez cité un salarié qui travaille et qui va gagner un petit peu plus. Si je prends un exemple, allez, un tout petit peu caricatural, d'un retraité, qui a des bons revenus, qui fume et qui roule au diesel, pour lui, la perte de pouvoir d'achat elle est notable cette année. Est-ce que ça peut être un frein à la reprise de l'activité en France ?
François Villeroy de Galhau : D'abord nous regardons l'ensemble des situations, donc nous intégrons aussi les situations que vous venez de citer : si certains gagnent un peu moins que ce 1 % réel, d'autres gagnent nettement plus, et cela peut varier selon les années. Il y a des années très favorables aux retraités, d'autres plus favorables aux créations d'emplois.
Un mot par rapport à cela sur le prix de l'essence : c'est évidemment quelque chose de sensible, et on en tient compte bien sûr dans l'inflation. Dans l'évolution du prix de l'essence, le facteur central est l'évolution du prix du pétrole, nettement plus que les taxes, dont on a beaucoup parlé ces derniers jours...
Marc Fauvelle - France Info : Comme dit Emmanuel Macron, cité par Renaud Dely « ce n'est pas Bibi ».
Renaud Dely - France Info : Emmanuel Macron a dit « ce n'est pas Bibi », vous confirmez, ce n'est pas Bibi Macron.
François Villeroy de Galhau : Je parle, si vous le voulez bien, avec le langage des économistes et d'un gouverneur indépendant. L'évolution du prix du pétrole, cela a atteint un point haut au début octobre : on était à 86 $ le Baril, et cela s'est traduit dans l'inflation, les chiffres que je vous citais tout à l'heure. Mais depuis début octobre, c'est une bonne nouvelle pour l'économie française dans son ensemble, et pour le pouvoir d'achat des Français, le prix du pétrole a commencé à baisser de 15 %, et on voit une amorce de baisse des prix à la pompe.
Marc Fauvelle - France Info : Le gouvernement a raison de dire aux distributeurs de carburant : « Il faut que vous baissez les prix maintenant, puisque le prix du Brut recule, il faut que ça se voit à la pompe », ce qui n'est pas toujours le cas dans toutes les stations-services.
François Villeroy de Galhau : Je ne suis pas responsable de la fixation du prix du carburant et ce n'est pas à moi de parler aux distributeurs. Mais la logique quand on est dans une économie ouverte, c'est quand le prix de votre matière première qui est le pétrole, baisse, le prix de ce que vous vendez, c'est-à-dire l'essence, doit baisser. Alors, il peut y avoir un délai, il y a aussi des coûts de distribution, de salaires etc., mais c'est la logique. D'ailleurs on voit une amorce de baisse des prix à la pompe, un peu décalée dans le temps mais depuis la mi-octobre.
Renaud Dely - France Info : Sur le pouvoir d'achat, vous disiez à l'instant qu'il y a une moyenne que vous avez évoquée, et puis il y en a qui, dont les revenus évidemment évoluent un petit peu moins bien et d'autres mieux, voilà, qui gagnent davantage. Parmi ceux qui gagnent davantage, il y a les 1 % les plus riches, notamment ceux qui ont bénéficié de la suppression de l'ISF, il y a eu des études récentes qui l'ont confirmé. Le gouvernement a mis en œuvre ce qu'il appelle la politique dite des premiers de cordée. Voilà, d'autres plus polémiques ont évoqué le ruissellement, mais est-ce que ça ruisselle effectivement, est-ce que le fait de favoriser les premiers de cordée, y compris par des choix fiscaux, eh bien ça contribue à relancer l'activité et l'économie française ?
François Villeroy de Galhau : Deux remarques rapides par rapport à ce que vous venez de dire, je crois qu'il faut être prudent sur le pouvoir d'achat des + 1 %. Je suis extrêmement sensible à la justice sociale et au combat contre les inégalités, tous ceux qui me connaissent le savent, je crois au modèle social européen de redistribution. Mais le pouvoir d'achat de ces 1 % supérieurs, ne dépend pas que des impôts...
Renaud Dely - France Info : Pas seulement bien sûr.
François Villeroy de Galhau : il dépend aussi, pour citer un autre exemple, de l'évolution de la Bourse et celle-ci est défavorable sur les derniers temps. Donc...
Renaud Dely - France Info : Mais il y a aussi des choix fiscaux du gouvernement qui ont favorisé...
Marc Fauvelle - France Info : La suppression de l’ISF, ça c'est franchement favorable...
François Villeroy de Galhau : C'est l'autre question : est-ce que ces choix fiscaux sont des choix favorables à l'ensemble de l'économie française, à travers l'augmentation de l'investissement et de l'emploi ?
Marc Fauvelle - France Info : Alors, est-ce que ça je ruisselle aujourd'hui en France ?
François Villeroy de Galhau : Ce que nous voyons, en tout cas sur la période récente, c'est que l'investissement des entreprises se tient extrêmement bien en France, et il est même plus élevé que chez nos voisins. Et il y a quelque chose qui a changé de façon assez spectaculaire depuis un an, du fait en partie de ces mesures fiscales, mais aussi d'un environnement globalement ressenti comme plus favorable, c'est le regard des investisseurs internationaux sur la France. Regardez ce qui se passe avec le Brexit. Londres va perdre un certain nombre d'emplois. La question se pose de savoir où ces emplois, qui sont souvent des emplois très qualifiés, vont venir en Europe. Là, Paris marque des points, incontestablement depuis un an, face à Francfort et face à ses concurrents, et cet environnement a joué de façon favorable. 08 :50 :02
Marc Fauvelle - France Info : François Villeroy de Galhau, on va évoquer maintenant les élections de mi-mandat hier aux États-Unis. Renaud Dely.
Renaud Dely - France Info : Donald TRUMP et Les Républicains ont perdu la majorité à la Chambre des représentants, mais ils ont globalement bien résisté, et beaucoup ont vu dans ces résultats plutôt un soutien de la population aux résultats de l'économie américaine et donc des choix économiques de Donald Trump, rappelons que le chômage a baissé à 3,9 % de la population active aux États-Unis, le chiffre le plus bas depuis près de 50 ans...
François Villeroy de Galhau : C'est même encore un peu moins, c'est 3,7 %, mais vous avez raison, c'est très bas.
Renaud Dely - France Info : 3,7 %, c'est en tout cas beaucoup plus bas que chez nous et que dans la zone euro, donc le trumpisme économique ça marche.
François Villeroy de Galhau : D'abord le taux de chômage était bas aux États-Unis avant M. Trump, et il y a des raisons du dynamisme de l'économie américaine, notamment la capacité d'innovation, la taille du marché, la puissance des circuits financiers.
Renaud Dely - France Info : Nous Européens, on peut s'en réjouir ou est-ce qu'il faut s’en méfier de ce dynamisme de l’économie américaine ?
François Villeroy de Galhau : Nous parlions tout à l'heure du vent porteur pour le bateau France : quand l'économie américaine va bien c'est une bonne nouvelle pour l'Europe et pour la France.
Marc Fauvelle - France Info : Une petite question...
François Villeroy de Galhau : La question qui se pose, et là on va arriver sur la politique de M. Trump, c'est : certaines des composantes aujourd'hui du dynamisme américain, ne sont-elles pas temporaires et même un peu dangereuses dans la durée ? Je vais vous citer deux exemples. Le premier c'est le protectionnisme. C'est un élément assez central de la politique de monsieur Trump, et c'est un des rares sujets sur lequel tous les économistes sont d'accord : le protectionnisme est perdant pour tout le monde. On a l'impression au début qu'on protège des emplois américains, mais en fait, dans toutes les simulations, l'économie américaine elle-même souffre des protections...
Renaud Dely - France Info : Aujourd'hui, les Américains ont le sentiment qu'ils en sont bénéficiaires, qu’ils en tirent profit.
François Villeroy de Galhau : Ceux qui notamment souffrent le plus, ce sont les plus défavorisés, les consommateurs les plus pauvres qui consomment des produits importés et qui doivent les payer plus cher. C'est une perte de pouvoir d'achat justement, pour les consommateurs américains. Un autre exemple, dont on parle moins, mais qui peut être tout à fait facteur de risque dans la durée, c'est la relance budgétaire américaine. Une partie de la croissance actuelle se fait au prix du creusement des déficits et de l'augmentation de la dette américaine. Cela veut dire que l'économie américaine peut se rapprocher de la surchauffe, avec une montée de l'inflation. Et le jour où il y aura un ralentissement américain, et il aura lieu d'ici quelques années, l'appareil public américain ne disposera plus des leviers pour relancer l'économie quand on en aura besoin. Quand vous relancez quand tout va bien, c'est une erreur de politique économique, parce que vous avez beaucoup moins d'instruments disponibles quand cela ralentit.
Marc Fauvelle - France Info : Je voudrais qu'on évoque également, François Villeroy de Galhau, la situation en France et en Europe, qui est celle de l'immobilier. Quasiment toutes les générations, si on regarde par le passé, disons sur un siècle, ont connu dans leur vie un krach immobilier, la génération qui a aujourd'hui 30 ou 40 ans, elle n’en a pas connu, est-ce que, alors que les tarifs, les prix sont en train de battre des records dans plusieurs villes en France, dont Paris, est-ce qu'on est au bord du krach, est-ce que la bulle va exploser ?
François Villeroy de Galhau : Il y a d'abord un certain nombre d'éléments favorables sur l'immobilier : il y a de plus en plus de Français qui peuvent acheter leur logement, grâce aussi à un coût du crédit qui est très bas.
Marc Fauvelle - France Info : Et il y a de plus en plus de Français aussi qui ne pourront jamais acheter leur logement parce que c'est toujours plus cher.
François Villeroy de Galhau : Quand on regarde aujourd'hui le pourcentage d'acquisitions et de financement de l'immobilier, il est très favorable. C'est aussi le résultat de la politique de taux d'intérêt bas que mène la Banque centrale européenne et que nous suivons avec la Banque de France.
Marc Fauvelle - France Info : Est-ce qu'on est au bord d’un krach ?
François Villeroy de Galhau : Nous suivons très régulièrement, dans le cadre du Haut Conseil de stabilité financière, qui est présidé par le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno LE MAIRE, et auquel je participe activement, l'évolution des financements : d’un côté, les crédits à l'immobilier, le crédit aux entreprises, et puis de l'autre l'évolution des prix dont vous parlez. Nous avons notamment regardé les crédits immobiliers lors de notre dernière séance au mois de septembre, et nous avons conclu qu'il y avait matière à vigilance -car c'est vrai, les prix sont plutôt élevés-, mais qu'il n'y avait pas aujourd'hui une alerte forte. Notamment, il n'y a pas de raison de prendre des mesures de freinage du crédit, spécifiquement sur l'immobilier –beaucoup de nos voisins l'ont fait, parce qu'ils estimaient eux qu'ils avaient atteint la cote d'alerte– Mais nous suivons les choses de près.
Marc Fauvelle - France Info : Vous pouvez dire aux Français : continuez d’acheter, continuez d’investir ? Tout ça ne va pas se retourner. ?
François Villeroy de Galhau : Non
Marc Fauvelle - France Info : Ah non.
François Villeroy de Galhau : Si vous voulez bien Marc Fauvelle, je vais être tout à fait clair sur le rôle de la Banque de France...
Marc Fauvelle - France Info : Je pense notamment aux Français qui s’endettent sur 20, 25, 30 ans parfois, et qui seront ruinés si un jour le marché se retourne.
François Villeroy de Galhau : Je crois qu'encore une fois, si on veut inspirer confiance, et c'est la mission de la Banque de France, il faut être crédible dans ce qu’on dit. Il y a des sujets, la prévision économique, les chiffres donc nous parlions tout à l'heure, sur lesquels nous nous engageons. Mais si un jour un gouverneur de la Banque de France vient à votre micro et dit : vous pouvez investir en Bourse, il n’y a pas de problème, vous pouvez investir dans l’immobilier, je vous garantis qu’il n’y a pas de sujet...
Marc Fauvelle - France Info : Il est viré le lendemain.
François Villeroy de Galhau : ou pour prendre un autre exemple des entreprises, « vous pouvez construire des bureaux dans le triangle d’or à Paris, tout ira bien »...
Marc Fauvelle - France Info : Il faut qu’il change de métier.
François Villeroy de Galhau : je crois qu'il sera urgent de changer ce gouverneur. Pourquoi. ? Parce qu’un superviseur, comme je le suis, doit toujours être vigilant, il y a toujours des risques dans une économie qui bouge. Simplement, nous comparons les prix de l'immobilier par rapport à la longue période, par rapport aux données économiques aujourd'hui, par rapport à ce qui se passe chez nos voisins. Nous sommes vigilants mais nous ne sommes pas dans la cote d'alerte.
Renaud Dely - France Info : L’économie elle bouge et elle bouge aussi dans au sein de la zone euro où il y a notamment la perspective du Brexit que vous évoquez, il y a actuellement, et elles se terminent aujourd'hui, les Journées de l'économie à Lyon qui sont parrainées par la Banque de France, dans le cadre de ces journées vous avez publié un sondage et on voit que les Français sont majoritairement de plus en plus favorables à la coordination des politiques économiques et budgétaires au niveau européen, ils sont en manque d'Europe, en manque de coordination. Est-ce que finalement les Français ne sont pas plus avancés que les gouvernants européens en général, en réclamant davantage de coordination et encore une fois on voit que l'Europe est à la fois sous la menace de la crise italienne et puis évidemment dans une autre perspective, le Royaume-Uni ne faisant pas partie de la zone euro mais du Brexit ?
François Villeroy de Galhau : Vous avez raison, ce sondage est très intéressant et je crois encourageant. Les journées de l'éco à Lyon, j'y pars tout à l'heure, c'est un événement formidable, qui réunit des milliers de Français et notamment beaucoup de jeunes. Ce sondage montre d'abord un vrai intérêt des Français pour l'économie, il y en a plus de la moitié qui se disent beaucoup ou assez intéressés par l'économie. Une des choses qu'ils disent c'est un soutien très fort à l'euro, plus de 70 % des Français soutiennent l'euro, et ils souhaitent qu'il y ait davantage de coordination économique pour que l'Europe soit encore plus forte, notamment face aux États-Unis et à la Chine.
Renaud Dely - France Info : Et pourquoi il n’y en a pas ? Pourquoi il n'y a pas davantage de coordination, pourquoi ça ne fonctionne pas ?
François Villeroy de Galhau : Pour coordonner, il faut être plusieurs. Il faut notamment que nos voisins Italiens, allemands, s'occupent un tout petit peu moins de leurs problèmes domestiques, parce qu'ils ont des problèmes chez eux qui sont assez importants, comme vous le savez, et qu’ils s'occupent aussi de la maison commune européenne. Je vais le dire d'une phrase très simple, par rapport aux États-Unis, dont vous parliez. L'Europe est entre les États-Unis et la Chine : nous n'aurons de souveraineté ensemble, de puissance, que si nous nous réunissons. Nous avons construit la souveraineté monétaire avec l'euro, dont on va fêter les 20 ans, c'est un formidable succès. Mais à côté de la souveraineté monétaire, maintenant, il faut bâtir la souveraineté économique. Faire que notre croissance, notre investissement, notre emploi, dépendent un peu moins de l'extérieur et de ces vents de l'économie mondiale dont nous avons parlé, et davantage de nos propres forces. Nous avons beaucoup de forces, nous avons beaucoup d’épargne, mobilisons-les mieux, ensemble, c'est cela le renforcement de la zone euro.
Marc Fauvelle - France Info : Merci. Je crois qu’on aura entendu votre optimisme, ce matin, sur l’économie française.
François Villeroy de Galhau : En tout cas une volonté, Marc Fauvelle, je crois que c'est très important, et une persévérance, parce que rien ne se fait sans la durée.
Marc Fauvelle - France Info : François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, était ce matin notre invité. Merci à vous.