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« Agilité, lisibilité, humilité : les vertus discrètes d’une revue monétaire »
Mise en ligne le 8 Juillet 2025

Tribune du Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, publiée dans Les Echos du 8 juillet 2025.
La BCE vient de publier sa revue de stratégie monétaire. C’est un évènement rare, qui mobilise tous les cinq ans l’ensemble de l’Eurosystème autour de sa Présidente Christine Lagarde. Le premier écho en a pourtant été limité en général à deux commentaires: regretter le manque d’autocritique, ce qui est un peu paradoxal alors que la BCE a contribué à ramener l’inflation à 2 % sans récession, plus tôt qu’ailleurs et avec des taux d’intérêt plus bas. Et relever qu’elle réagira désormais de manière symétrique face aux risques inflationnistes comme déflationnistes, ce qui n’est que proclamer l’évidence…
La langue des banquiers centraux est parfois d’une subtilité excessive ; ceci a pu masquer deux novations majeures, mais peu notées, de cette revue 2025. La première, c’est l’affirmation d’emblée que tous les chocs et transformations en cours – géopolitiques, technologiques, économiques – vont rendre l’inflation pas forcément plus haute mais « potentiellement plus volatile ». Et que de ce fait la politique monétaire devra être désormais être plus « agile » (le mot est employé six fois).
Que veut dire en pratique cette « politique monétaire agile » ? Trois choses à mon sens: d’abord que nous serons bien sûr pragmatiques en fonction des données, mais pour autant lisibles. On nous reproche quelquefois d’être passés d’un pilotage automatique hier, quand il y avait de fortes « guidances » à l’avance, à un pilotage qui serait à vue aujourd’hui. Non: face aux incertitudes, nous devons dire non pas ce que nous allons faire, mais comment nous allons évaluer et décider. Ensuite, nous regardons la photo – les chiffres instantanés –, mais tout autant les suites possibles du film: en publiant des prévisions à deux-trois ans, et lorsque pertinent des variantes sous forme de scénarios plus tranchés. Il ne s’agit pas d’en tirer des conclusions probabilistes mécaniques, mais d’éclairer les risques possibles. Dernier ingrédient de l’agilité : être prêt à agir parfois plus vite. Dans l’incertitude, il peut être tentant d’attendre. Mais des travaux de la Banque de France ont montré un possible « écueil de la prudence » : les cycles de taux d’intérêt pourront donc être plus courts et plus rapides, et prêts à changer de sens si la situation économique évolue.
L’autre novation porte sur la lisibilité des instruments non conventionnels, dont les fameux achats d’actifs ou QE. Le débat n’est en rien sur leur nécessité : leur emploi possible à l’avenir est clairement confirmé. Mais nous clarifions leur usage « proportionné », en distinguant mieux leur objet premier : infléchir durablement l’orientation même de la politique monétaire ; ou veiller à sa transmission, face à des tensions excessives à un moment donné sur les marchés financiers. Quelques illustrations à mes yeux : c’est dans le premier cas que les achats durables d’obligations devraient être privilégiés, et il est diverses façons de maîtriser leurs risques potentiels pour les bilans des banques centrales. Quant à la transmission, la BCE a su innover en inventant une panoplie d’instruments : les « LTRO » pour fournir de la liquidité longue aux banques afin qu’elles prêtent à l’économie ; et depuis 2022 l’« instrument de protection » (TPI), dont la seule existence a été efficace pour éviter un écartement injustifié des spreads entre États. Il y a donc toute une « boîte à outils » disponible avant d’en arriver à d’éventuels taux d’intérêt négatifs : l’ultime recours face aux risques de déflation jusqu’en 2021, et sans doute le plus mal compris, reconnaissons-le.
Reste une vertu cardinale sœur de l’agilité : l’humilité. Les banques centrales ne peuvent évidemment pas tout, et ne savent pas tout. Beaucoup dépend d’autres politiques économiques, budgétaires ou structurelles. En outre, nous nous devons de rendre des comptes à nos concitoyens ; en ce sens aussi, la revue de stratégie monétaire est plus qu’un exercice de style, une exigence publique.
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Mise à jour le 8 Juillet 2025