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Séminaire de haut niveau sur l’architecture financière internationale

Mesdames et Messieurs,

La France, et la Banque de France en particulier, encouragent depuis longtemps les réflexions de haut niveau sur le sujet de l’architecture financière internationale, c’est pourquoi nous accueillons avec une très grande satisfaction la création, par la présidence chinoise, d’un groupe de travail du G20 consacré à ce sujet. Ce nouveau groupe de travail fait écho au groupe de travail sur le système monétaire international qui avait été mis en place en 2011, sous la présidence française du G20. À cette époque, les débats sur le système monétaire international étaient déjà très intenses, comme en témoignent par exemple les très nombreuses propositions d’amendement du système, telles l’initiative du Palais Royal pilotée par Michel Camdessus, un de mes prédécesseurs à la tête de la Banque de France. Avant cette initiative, nous nous souvenons tous des travaux réalisés par Jacques de Larosière, ancien gouverneur de la Banque de France également, qui a publié en 2009 un rapport très influent sur la supervision du système financier à l’échelle de l’Union européenne, mais qui comportait également une dimension internationale. L’Eurosystème, pour sa part, s’est engagé à maintenir la stabilité financière. Le 10 mars, nous avons pris toute une série de mesures fortes destinées à offrir à l’économie des conditions de financement favorables. Nous suivrons attentivement l’évolution de ces conditions, et nous pourrions prendre d’autres mesures si cela s’avère nécessaire.

Le système monétaire international doit encore relever de nombreux défis. J’aimerais vous livrer quelques réflexions afin de lancer le débat d’aujourd’hui. Je débuterai par les risques et les vulnérabilités causés par une volatilité et une procyclicité excessives des flux de capitaux ; j’évoquerai ensuite les réponses des autorités, notamment les moyens de remédier directement à la volatilité des flux de capitaux et aussi des questions liées aux filets de sécurité financière mondiaux (Global Financial Safety Net ‐ GFSN).

I. S’agissant des flux internationaux de capitaux, il convient de reconnaître que nous ne disposons pas d’une référence satisfaisante indiquant ce que serait un niveau approprié de ces flux. Un arbitrage doit être opéré entre les coûts et les avantages qu’ils engendrent, et cet arbitrage varie d’un pays à l’autre et au fil du temps. Or, les variations des flux de capitaux bruts à l’échelle mondiale semblent effectivement très procycliques et volatiles. Si nous examinons les entrées brutes dans les économies avancées, par exemple, nous constatons qu’elles ont fortement augmenté au cours des années précédant la crise financière mondiale, de moins de 10 % du PIB au début des années deux mille à plus de 20 % du PIB en 2007. Par la suite, elles ont chuté à presque 0 % en 2008 et 2009, et restent faibles depuis. Les différents types de flux ne suivent pas tous la même dynamique au fil du temps : les IDE et les flux d’investissements de portefeuille sur les actions ont relativement bien résisté, tandis que les flux bancaires et les flux d’investissements de portefeuille sur les titres de créance ont été très fortement touchés, ce qui a modifié de façon notable la composition des flux bruts.

Ces fortes fluctuations ne sont clairement pas optimales. Malgré l’absence de référence claire que j’ai évoquée précédemment, il semble que les flux internationaux de capitaux soient trop abondants lorsque la conjoncture est favorable, ce qui est susceptible d’alimenter des bulles sur le plan national et de déstabiliser les systèmes financiers nationaux, et aient tendance à s’interrompre brutalement lorsque la conjoncture est défavorable. Les économies de marché émergentes ont connu de nombreux épisodes d’afflux massif de capitaux suivis de dangereuses interruptions brutales (sudden stops). Les données les plus récentes (et de ce fait provisoires) indiquent que certaines économies émergentes enregistrent aujourd’hui de très importantes sorties de capitaux. Les effets potentiellement déstabilisateurs des flux de capitaux pourraient être amplifiés dans le contexte actuel de faiblesse décevante de la croissance économique (de nature conjoncturelle et structurelle), de forte volatilité des prix des matières premières et des actifs, de persistance de déséquilibres à la fois internes et externes dans les principaux pays et régions, de degré élevé de risque de change dans les bilans des pays émergents, etc.

II. Par conséquent, que doiton faire ? Je pense qu’il faut essayer de se montrer à la fois pragmatiques et ambitieux. Si nous ne sommes pas pragmatiques, nous perdrons du temps à explorer des voies qui ne nous conduiront nulle part, mais si nous manquons d’ambition, nous ne ferons jamais de progrès. Nous devons, tout d’abord, développer un cadre pour éviter une volatilité excessive des flux de capitaux. À cet égard, je vois trois axes principaux à explorer :
(i) améliorer le suivi des flux de capitaux et, par conséquent, faire progresser les travaux sur les lacunes des données relatives aux expositions en devises et au risque de change.
(ii) une réglementation macroprudentielle proactive visant à éviter une dette non soutenable et à limiter les emprunts en devises peut être utile pour réduire la procyclicité des flux financiers, éviter les prises de risque excessives et garantir un ajustement ordonné des comptes extérieurs.
(iii) enfin, on pourrait également explorer les instruments de financement contingents, tels que les obligations indexées sur le PIB, qui pourraient également offrir des moyens innovants pour lisser les besoins de financement externe et éviter de consacrer davantage de ressources aux programmes d’assistance. Toutefois, la prévention ne peut jamais couvrir tous les risques et nous avons donc besoin de filets de sécurité financière mondiaux (« Global Financial Safety Nets », ou GFSN) plus solides. Comme cela a été souligné par le FMI, les filets de sécurité financière mondiaux, bien que plus étendus, sont devenus plus fragmentés et plus asymétriques. Certains de leurs éléments fondamentaux n’ont pas été entièrement testés et on peut reprocher à certains de leurs principaux éléments d’être, à des degrés divers, coûteux, non fiables et de manquer de mesures d’incitation adéquates.

Ce diagnostic partagé offre une opportunité majeure de renforcer le GFSN. Les réserves, les lignes de swap entre banques centrales et les Accords financiers régionaux ne peuvent remplacer la présence, au coeur de ce dispositif, d’un FMI fort et disposant de ressources importantes, dans la continuité de l’approbation récente de la réforme de 2010 des quotes‐parts et de la réforme de la gouvernance, qui a renforcé la légitimité du Fond. De notre point de vue, trois priorités se détachent :

  • Premièrement, identifier les solutions envisageables pour améliorer l’utilisation des facilités du FMI existantes, notamment les facilités de précaution [la Ligne de crédit modulable (LCM) pour les pays ayant des fondamentaux et des politiques très solides, et la ligne de précaution et de liquidité (LPL) pour les pays affichant des fondamentaux et des politiques sains] et/ou étudier la création éventuelle de nouvelles facilités. L’objectif étant ici d’atténuer la stigmatisation du recours à ces facilités sans créer d’aléa moral.
  • Deuxièmement, faire en sorte que le FMI soit doté des outils adéquats pour faire face aux vulnérabilités des pays à faible revenu, des économies émergentes et des pays exportateurs de matières premières : ainsi les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), les pays membres de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) ou les pays d’Amérique latine ont tous été affectés par la baisse récente des prix des matières premières. Pour augmenter la couverture du risque par le FMI, il convient de s’assurer qu’il dispose des ressources adéquates, en termes tant de ressources permanentes que de ressources de financement conditionnelles en cas de chocs communs ou de crises systémiques.
  • Troisièmement, il existe également des voies pour un meilleur fonctionnement des GFSN sans que le Fonds accorde davantage de financements. Il peut y avoir des avantages à continuer de recourir aux instruments de signalement, qui partagent la plupart des caractéristiques des programmes réguliers mais sans le financement. Par exemple, des pays comme le Sénégal ou le Nigéria ont bénéficié de l’instrument de soutien à la politique économique du FMI (Policy Support Instrument): ce programme permet aux pays à faible revenu de faire appel aux conseils et à l’appui du FMI, ce qui donne un signal clair aux bailleurs de fonds, aux créanciers et aux marchés. Toutefois, ces instruments sont disponibles uniquement pour les pays à faible revenu ; il n’existe à ce jour aucun outil équivalent pour les économies émergentes ou avancées. Ces instruments pourraient s’avérer utiles dans certaines situations (par exemple durant les crises systémiques) où il est primordial de préserver l’accès au marché et de faciliter le maintien de financements privés.

C’est sur cette remarque que je souhaiterais conclure ma présentation. Je suivrai avec grand intérêt nos débats d’aujourd’hui et l’avancée des travaux du groupe de travail IFA au cours des prochains mois.

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DiscoursFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
Séminaire de haut niveau sur l’architecture financière internationale
  • Publié le 31/03/2016
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