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« Premières rencontres de l’Euro PP »

Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux de conclure ces « Premières rencontres de l’Euro PP ». Le financement des entreprises constitue en effet un enjeu essentiel pour la croissance économique française et il fait actuellement l’objet d’évolutions profondes dont l’Euro PP est une illustration très emblématique. Alors que les financements de marché étaient largement réservés aux grandes entreprises et que les autres entreprises avaient presqu’exclusivement recours au crédit bancaire, la situation se modifie rapidement avec en particulier d’importants allègements des réglementations qui encadrent les opérations de crédit et les émissions de titres de dette. On peut désormais penser que, rapidement, presque tous les agents économiques seront en mesure, d’une façon ou d’une autre, de financer directement les entreprises. Cette évolution s’inscrivant dans une tendance européenne et dépassant donc largement le cadre français, il importe qu’on l’organise de manière à ce qu’elle bénéficie dans la durée à l’ensemble des agents économiques : les entreprises qui ont besoin de canaux de financement peu couteux et stables, les investisseurs, institutionnels ou non, qui ont besoin d’adapter les risques qu’ils prennent à leur capacité à les porter, les intermédiaires qui ont la responsabilité d’assurer une bonne adaptation entre les besoins et les capacités de financement. Or on voit bien les dangers qui guettent ce mouvement de désintermédiation : mauvaise appréciation des risques par les investisseurs, dépendance des entreprises à des modes de financement non pérennes, incapacité à traiter les situations difficiles qui appellent des restructurations, intermédiaires éphémères qui n’assurent pas dans la durée la qualité de service qu’on attend d’eux.

De nombreuses initiatives ont été prises pour donner un cadre sécurisé à ces évolutions des modes de financement et la Banque de France y apporte sa contribution. Je pourrais évoquer notre soutien à la création de la société de titrisation de Place « Euro Secured Note Issuer » par cinq grands groupes bancaires, ouverte à de nouveaux entrants, afin d’encourager les crédits aux PME et d’en faciliter le refinancement. Je pourrais détailler l’intérêt du marché des billets de trésorerie que nous encadrons et souhaitons voir se développer au-delà des grandes entreprises ; nous avons mis en place une communication renforcée auprès des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et accompagnons les émetteurs dans leurs démarches pour accéder au marché.

Mais c’est naturellement sur les placements privés et l’Euro PP que je vais concentrer mon propos aujourd’hui car ils sont emblématiques de ces nouveaux modes de financement de l’économie et je crois que nous avons réussi collectivement, avec le dispositif élaboré, à éviter les écueils que je viens d’évoquer et à permettre un alignement des intérêts de l’ensemble des acteurs économiques concernés.

Ce sont donc des financements octroyés par un nombre limité d’investisseurs institutionnels, qui relèvent d’un dispositif plus flexible que celui de l’offre au public, à partir d’une documentation négociée. Cela signifie que les conditions contractuelles peuvent être modulées en fonction des besoins, des contraintes et des particularités des entreprises comme des investisseurs. Les émetteurs bénéficient d’une diversification et d’une plus grande stabilité des financements au travers, à la fois, de créanciers engagés et effectivement présents sur le long terme et d’un allongement de la maturité adapté au financement de leurs projets. Des maturités à 6 ou 7 ans constituent en effet le coeur du marché de l’Euro PP et des émissions plus longues peuvent être réalisées. Les investisseurs, pour leur part, sont à la recherche d’une meilleure rémunération, d’un cadre protecteur et d’une meilleure répartition des risques. Ces avantages expliquent certainement qu’avec des opérations en constante augmentation, en nombre comme en montant total, les Euro PP connaissent un démarrage prometteur.

Mais le rapide développement observé sur le marché des Euro PP n’aurait pas pu avoir lieu sans les travaux initiés par la Place, à l’initiative notamment de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris Ile-de-France, et soutenus par les acteurs publics que sont la Banque de France et la Direction générale du Trésor. Ces travaux privilégient une approche consensuelle, globale et équilibrée, en impliquant étroitement les associations professionnelles de l’ensemble des différentes parties prenantes. Ainsi, toute la Place de Paris – investisseurs, entreprises, intermédiaires – a conjugué ses efforts, aux côtés des pouvoirs publics, afin de promouvoir et développer ce nouveau type de financement. Ce travail a abouti, en avril 2014, à l’élaboration de la Charte Euro PP qui définit un cadre de référence non contraignant de bonnes pratiques, destiné à accompagner le développement de ce marché et à en accroître la fluidité.

Ce cadre est maintenant complété, depuis janvier dernier, par la mise à disposition de modèles de contrats. Je tiens ici à souligner l’important travail pédagogique qui a été réalisé par la Place de Paris en rédigeant des modèles de contrats, à la fois selon le format de prêt et selon le format obligataire, ainsi que la contribution notable des différents cabinets d’avocats impliqués. Cette documentation a été réalisée toujours dans le même souci de partenariat et dans une véritable volonté de développement international. J’en veux pour preuve la disponibilité de la documentation en français mais aussi en anglais et sa traduction future en allemand et en italien. Les Euro PP constituent ainsi une offre parfaitement complémentaire à celle des USPP aux États-Unis et des Schuldscheine en Allemagne.

A ce stade de son développement, le marché des Euro PP jouit donc d’atouts extrêmement prometteurs. Il n’en reste pas moins que plusieurs conditions doivent encore être réunies pour en faire un outil courant de financement. La clé se situe à la fois aux niveaux européen, national et local.

À l’échelle européenne, outre le raffermissement de la croissance, l’enjeu essentiel est celui d’une allocation du capital efficace et robuste, tirant tous les bénéfices de la libre circulation, du marché unique et de l’union monétaire, à travers notamment le projet d’Union des marchés de capitaux (CMU, en anglais) de la Commission Européenne, qui devrait être mis en place par étape d’ici à 2019. Ce projet, qui complète l’Union bancaire, même s’il est d’une nature différente, vise à accroitre les flux de capitaux finançant l’investissement, à diversifier les risques et à allouer plus efficacement l’épargne tant au niveau national qu’entre les pays du marché européen.

Parmi les cinq priorités retenues par la Commission Européenne dans le cadre de la CMU figure le développement des marchés de placements privés européens. La Commission privilégie à ce stade l’approche dite « industry-led », qui a été jusqu’à présent développée. J’ai le plaisir de constater que les travaux du Comité de pilotage Euro PP ont permis de promouvoir les meilleures pratiques développées par la Place dans le cadre d’une approche tripartite spécifiquement française (associant émetteurs, investisseurs et intermédiaires) au niveau européen. Ils contribuent ainsi, de manière significative, à l’émergence d’un marché européen des placements privés. À cet égard, je tiens à saluer l’association du Comité de pilotage Euro PP et le groupe européen sur les placements privés coordonné par l’International Capital Market Association (ICMA) ; dont les travaux ont récemment permis l’élaboration d’un guide pan-européen sur les placements privés, lequel contribue utilement à la structuration d’un marché des placements privés en Europe. Ce guide fait notamment référence à la Charte Euro PP ainsi qu’aux modèles de contrat standard élaborés respectivement par le Comité de pilotage Euro PP, en droit français, et par la Loan Market Association (LMA), en droit anglais.

Ces initiatives autour de nouveaux instruments de financement des entreprises sont complémentaires et offrent aux participants de marché une large palette d’outils, dans le contexte d’un marché naissant qui s’adapte aux droits et doctrines locaux. Elles ont vocation à évoluer, parallèlement au développement et à l’internationalisation des transactions.


Au niveau national, il est certes important d’oeuvrer à la promotion de ces modes de financement de marché. Mais encore faut-il mettre en place l’environnement adéquat et savoir quels types d’entreprises sont les plus susceptibles d’y recourir. C’est précisément l’un des objectifs du Comité Paris 2020. Or le mode de financement adapté aux différentes entreprises est en général fonction de leur taille. Avec une part de crédits bancaires qui ne dépasse pas 25%, les grandes entreprises sont celles qui ont le plus recours au marché. A l’inverse, avec une part de crédits bancaires qui est encore de 70%, le mode de financement des ETI les rapproche aujourd’hui davantage des PME. Le coût d’une émission classique leur paraît excessif, au regard de leurs besoins de financements. Or, ce sont précisément ces coûts d’émission que l’initiative Euro PP vise à atténuer afin de permettre à davantage d’ETI de profiter de cette opportunité pour diversifier et adapter à leur besoin précis leurs sources de financement.

À cet effet, l’accès à la base de données FIBEN de la Banque de France, et particulièrement à la cotation des entreprises, que le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques – plus connu sous le nom de loi « Macron » - prévoit d’ouvrir aux entreprises d’assurance, aux mutuelles, aux institutions de prévoyance et à leurs sociétés de gestion, est de nature à faciliter l’instruction des dossiers de projets d’Euro PP par ces investisseurs. Il leur donnera également les moyens de maitriser les risques induits par l’octroi de tels financements.

En analysant, à travers leur cotation par la Banque de France, les entreprises ayant émis des Euro PP, il apparaît qu’elles se caractérisent globalement par une très bonne situation financière. En parallèle, la proportion des ETI parmi les émetteurs n’a cessé de croître depuis le lancement de l’initiative. Tout concourt donc à un élargissement prononcé du périmètre des entreprises susceptibles d’appeler l’attention d’investisseurs cherchant à diversifier leurs risques dans le cadre d’une émission d’Euro PP.

Au niveau local, le développement de nouveaux instruments de financement doit pouvoir se faire sur l’ensemble du territoire national et bénéficier à la totalité du tissu économique en France. Cette allocation de financements stables et maîtrisés à destination des ETI est fondamentale afin de leur permettre de se développer, celles-ci étant présentes dans le secteur industriel et représentant une part importante dans la valeur ajoutée du pays. En fonction de différents critères de robustesse financière, la Banque de France a ciblé des ETI auprès desquelles une action de promotion des Euro PP est actuellement menée sous l’égide de ses directeurs régionaux. Je compte sur les réunions de Place en région pour relayer l’initiative de ces « Premières rencontres » et continuer le travail de pédagogie et de consensus entamé par le Comité de Pilotage, afin de toujours plus développer la diversification des sources de financement.

Pour asseoir le développement et la pérennité du marché, l’engagement des investisseurs institutionnels et des gestionnaires d’actifs est essentiel. Cet engagement ne se mesure pas seulement à l’aune des montants investis mais aussi par le haut niveau de professionnalisme des parties prenantes. Alors que ces instruments sont par nature destinés à être détenus jusqu’à leur terme, les différents acteurs doivent agir avec prudence dans la mesure où le risque pesant sur ces entreprises est souvent complexe à analyser et où les émetteurs ne sont généralement pas notés par un tiers. Les investisseurs institutionnels doivent avoir un dispositif robuste de gestion des risques afin de prendre ces décisions d’investissement. Les banques ont également un rôle fondamental à jouer dans leurs différentes fonctions. Je salue, en particulier, leur action dans la fixation d’un cadre de référence et j’incite l’ensemble des intermédiaires à continuer d’agir en responsabilité dans la sélection et l’analyse des risques, de façon à assurer la robustesse du marché et la stabilité financière.

Au moment de conclure cette journée, il me paraît essentiel que l’initiative concernant les Euro PP soit promue, tant elle répond aux besoins des différents acteurs économiques (entreprises, investisseurs et intermédiaires). Je tiens encore à féliciter la Place qui a su se mobiliser et démontrer ainsi sa capacité à dégager un consensus face à ces enjeux cruciaux. C’est en encourageant, comme elle le fait, l’essor de nouveaux modes de financement qu’elle contribue à conforter l’investissement des entreprises et la reprise de la croissance, en France comme en Europe.


Mesdames, Messieurs, je vous remercie pour votre attention.

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DiscoursChristian Noyer, Gouverneur de la Banque de France
« Premières rencontres de l’Euro PP »
  • Publié le 13/03/2015
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