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Pour une contribution de notre écosystème Fintech à un système financier plus efficace et plus stable

FINTECH R:EVOLUTION 2020 – Paris, le 15 octobre 2020

« Pour une contribution de notre écosystème Fintech à un système financier plus efficace et plus stable »


Discours1 de Denis Beau,
Premier sous-gouverneur de la Banque de France

 

1Je remercie tout particulièrement Olivier Fliche pour sa contribution dans la préparation de cette intervention.
Contact : fintech-innovation@acpr.banque-france.fr

 

Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de participer à cette 5ème édition de Fintech R:evolution et je tiens à remercier chaleureusement l’association France Fintech et son président Alain Clot pour leur invitation à prendre la parole aujourd’hui.

Cet événement organisé dans un contexte de crise sanitaire qui perdure, est la preuve du dynamisme, de la détermination et de la capacité d’adaptation non seulement de l’association organisatrice, France FinTech, mais aussi de l’ensemble de l’écosystème français innovant du secteur financier qui se trouve aujourd’hui – aussi largement que possible – représenté ici.

L’écosystème Fintech français, comme tout écosystème composé de jeunes pousses, est fragile mais il est prometteur et, je le crois, indispensable au secteur financier.

La crise économique qui accompagne la crise sanitaire met en lumière ces caractéristiques contrastées : d’une part, des start-ups peuvent se voir fragilisées ou des projets innovants retardés par la conjoncture, d’autre part, la crise sanitaire a accéléré l’adoption de nouveaux usages numériques dans l’ensemble de la population.

Plus généralement, l’année 2020 n’a fait que souligner les enjeux auxquels doit faire face l’écosystème financier dans son ensemble, sous l’effet de la numérisation de notre économie. Pour y faire face, celui-ci doit impérativement se transformer pour répondre à l’évolution de la demande de produits et services financiers, à l’intensification de la concurrence qui pousse la rentabilité vers le bas et à un besoin de résilience opérationnelle en forte hausse.

Dans ce contexte, un écosystème Fintech foisonnant, créatif et performant peut être un agent important de la transformation du système financier vers plus d’efficacité mais aussi de résistance aux chocs.

C’est dans cette perspective que, comme banquier central et superviseur chargé de veiller à la stabilité monétaire et financière, il me paraît important de soutenir cet écosystème Fintech et de faciliter sa bonne intégration dans l’écosystème financier, envisagé de façon plus large. Je précise naturellement que cette intégration ne veut pas dire dans mon esprit une convergence des acteurs, une entente « harmonieuse » ou une marche coordonnée : les différents acteurs poursuivent des buts divergents, parfois même opposés, c’est le jeu normal de la concurrence. À l’inverse cependant, il ne faut pas systématiquement opposer les fintechs et les acteurs établis : la variété des relations nouées entre ces mondes est grande, nous le voyons tous les jours. C’est dans l’intensification des relations entre les acteurs et leur diversité que se trouve le potentiel d’enrichissement de l’écosystème financier et son évolution vers plus d’efficacité et de résilience.  Que voulons-nous faire et que faisons à la Banque de France et à l’ACPR pour soutenir un tel développement de l’écosystème Fintech ? La réponse courte à cette question, que je me propose d’illustrer maintenant est d’une part d’être un acteur utile de l’écosystème Fintech et d’autre part de promouvoir et mettre en œuvre un cadre de régulation et des pratiques de supervision adaptées, qui favorisent à la fois l’innovation et la stabilité de notre système financier.

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Pour être un acteur utile de l’écosystème Fintech, nous agissons avec deux objectifs : faciliter et expérimenter.

Faciliter, tout d’abord.

C’est ce que nous faisons avec la mise en place de dispositifs d’accompagnement spécifiques. Ainsi, sous l’égide d’un correspondant national start-up, également correspondant French Tech, la Banque de France vient de déployer un réseau de correspondants start-up en région, dans chacune des 13 capitales French Tech. Leur mission : être référent pour la cotation des start-ups et les accompagner, les orienter en s’appuyant sur une connaissance des mécanismes de financement et des principaux acteurs de l’écosystème.

Du côté de l’ACPR, je ne présente plus le pôle fintech-innovation qui a rencontré, depuis sa création, plusieurs centaines de start-uppers. Il a vocation à offrir un point d’entrée facilement accessible aux porteurs de projets innovants, leur apporter un premier éclairage réglementaire pour les aider à formaliser leur projet et les orienter ensuite vers les bons interlocuteurs pour l’enregistrement ou les autorisations nécessaires.

Notre action de facilitation ne se cantonne évidemment pas aux seuls contacts bilatéraux. Faciliter, c’est aussi aider des acteurs de l’écosystème à dialoguer entre eux et à trouver les solutions sans nécessairement recourir à des mesures d’ordre réglementaire. C’est dans cet esprit que nous animons le Forum Fintech ACPR-AMF et que nous avons créé des groupes de travail ou des task forces destinés à faire avancer concrètement des questions à enjeux significatifs pour l’écosystème, comme par exemple l’accès des prestataires de services sur actifs numériques aux comptes et aux services bancaires dont ils ont besoin. Le dialogue ne résout certes pas tout mais nous le constatons très souvent : bien des difficultés se trouvent aplanies par une meilleure concertation et une meilleure compréhension des pratiques et des technologies employées par les différentes parties prenantes.

Deuxième objectif : expérimenter. Je souhaite donner ici deux illustrations différentes de cette démarche.

Les ateliers exploratoires qu’a menés l’ACPR sur les cas d’usage d’intelligence artificielle dans le secteur financier sont un exemple de ce que peut apporter l’expérimentation non seulement à une autorité de contrôle mais également à l’ensemble de l’écosystème. En effet, ces expérimentations concrètes ont permis à l’Autorité, sur des cas d’usage précis, d’examiner le code des algorithmes, leurs performances intrinsèques, leur intégration dans des processus opérationnels, leur environnement de contrôle et de gouvernance. Sur cette base, pour partager largement les enseignements qu’elle en a tirés, l’ACPR a publié un document de réflexion en juin dernier ; celui-ci esquisse ce que pourrait être le cadre du bon usage de ces futurs outils. Ainsi, l’expérimentation nous permet d’envoyer les bons signaux pour que l’écosystème concrétise le potentiel des nouvelles technologies sans craindre un « retour de bâton » tardif et inattendu de l’Autorité de contrôle.

Les expérimentations en cours à la Banque de France sur la monnaie digitale de banque centrale témoignent de la même démarche expérimentale dans le champ d’action propre à la banque centrale, avec des enjeux spécifiques liés à la nécessité pour l’Eurosystème, si les circonstances devaient l’exiger, d’être prêt à émettre une MDBC pour garantir l’accessibilité de la monnaie de banque centrale pour le grand public et ce faisant, pour préserver leur liberté de choix de leurs moyens de paiement et leur confiance dans notre monnaie. En testant les usages possibles d’une monnaie digitale de banque centrale, nous interrogeons non seulement le potentiel des technologies de la blockchain mais aussi les acteurs de l’écosystème sur ce que pourrait être le paysage de demain, sur des sujets aussi structurants que les modalités d’échange d’instruments financiers contre de la monnaie de banque centrale, l’amélioration des conditions d’exécution des paiements transfrontières ou de nouveaux modes de mise à disposition de la monnaie de banque centrale aux acteurs du secteur financier.

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Le second axe de notre action est de promouvoir un cadre de régulation et des pratiques de supervision adaptées.

Dans cette perspective, notre immersion, comme acteur, dans l’écosystème innovant des Fintech est un atout précieux sur lequel nous entendons nous appuyer pour contribuer aux changements qui se profilent et s’imposent sur le plan de la règlementation et de la supervision.

Pour illustrer rapidement le point sur nos pratiques de supervision, je mentionnerai la démarche « suptech » en cours à l’ACPR : il s’agit pour l’autorité de contrôle de tirer profit de l’innovation pour un meilleur exercice de ses missions au meilleur coût pour la collectivité et de préparer ainsi les méthodes de contrôle des processus financiers de demain. D’ores et déjà, quatre outils développés en intrapreneuriat avec l’appui du Lab de la Banque de France, notre espace dédié à l’innovation, ont vu le jour et devraient augmenter concrètement l’efficacité de nos contrôleurs.

Je voudrais en revanche m’arrêter un instant sur la contribution que nous pouvons faire, en tant que Banque centrale et Autorité de contrôle, à l’évolution du cadre réglementaire. Dans ce domaine, il me paraît important de rappeler quelques principes qui sous-tendent notre vision de superviseur et de banquier central en matière d’évolution du cadre règlementaire du système financier.

En premier lieu, je voudrais rappeler qu’aucun cadre réglementaire n’est intangible. Nous devons avoir l’ouverture d’esprit, la compréhension et la lucidité nécessaires pour adapter les cadres aux évolutions – aux révolutions même – technologiques, à leurs enjeux et aux risques associés.

En second lieu, cette adaptation doit préserver et consolider à mon sens deux fondamentaux de la réglementation du secteur financier : l’objectif de stabilité financière et le principe de souveraineté monétaire.

À cet égard, je veux saluer l’ambition affichée par le « paquet » sur la finance numérique (digital finance package) récemment publié par la Commission européenne et ses priorités, et en particulier celles consistant à lutter contre la fragmentation du marché unique numérique des services financiers et à relever les nouveaux défis et encadrer les risques associés à la transformation numérique.  Sur ce dernier sujet des risques, il me parait notamment opportun que la Commission veuille traiter la question, complexe mais incontournable aujourd’hui, du cadre de surveillance (« oversight framework ») à appliquer aux prestataires informatiques critiques, dont les prestataires de services de cloud, et celle, tout aussi majeure, du contrôle des émetteurs et distributeurs de stable coins, qu’ils soient mono ou multi-devises.

Je n’entrerai pas dans le détail des propositions de texte de la Commission qui demandent encore un examen attentif de notre part et qui devront, naturellement, être perfectionnées par la négociation qui s’ouvre. Je veux simplement dire ici que les textes qui visent les prestataires informatiques critiques et les stable coins recèlent des atouts importants : pour le premier un cadre dédié qui n’exonère pas les intermédiaires financiers de leurs responsabilités et l’obligation de passer par des prestataires européens, et pour le second une surveillance stricte et qui implique et associe les autorités nationales et européennes. Je souhaite aussi préciser immédiatement que les deux points d’attention que je viens de mentionner n’éclipsent pas pour moi les nombreuses autres initiatives annoncées dans le plan d’action, ni les travaux visant à faciliter l’entrée en relation à distance et promouvoir une identité numérique interopérable, ni les dispositions relatives à la cybersécurité, ni les réflexions à venir sur l’intelligence artificielle ou le partage des données dans les services financiers, l’open finance après l’open banking.

Le message qui me paraît important aujourd’hui est celui-ci. Les enjeux de ce plan d’action sur le secteur financier sont élevés et ce plan aura un impact fort sur les écosystèmes innovants des secteurs financiers français et européen. C’est pourquoi, la Banque de France et l’ACPR seront particulièrement à l’écoute, dans les semaines et les mois qui viennent, de vos réactions, de vos suggestions, de vos interrogations sur ce « paquet finance numérique », dans le droit fil de la logique d’écosystème que je viens d’exposer.

En d’autres termes, nous avons l’occasion de démontrer aujourd’hui que le dialogue entamé ces dernières années entre la Banque de France, les différents acteurs de l’écosystème financier innovant et les autres autorités de contrôles, que les relations de confiance établies entre nous, les expertises complémentaires, les expérimentations et les connaissances partagées, ont un effet concret et tangible : celui de renforcer encore la dynamique d’un écosystème qui a vocation à compter dans l’avenir du secteur financier européen.

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Je vous remercie de votre attention.

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DiscoursDenis BEAU, Sous-gouverneur de la Banque de France
Pour une contribution de notre écosystème Fintech à un système financier plus efficace et plus stable
  • Publié le 15/10/2020
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