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Paix armée et proportionnalité au risque : comment trouver le bon équilibre

Conférence annuelle du Conseil de résolution unique – Bruxelles, 19 septembre 2022

Discours de François Villeroy de Galhau,

Gouverneur de la Banque de France

 

Mesdames, Messieurs,

C’est un grand plaisir pour moi d’être avec vous à la Commission européenne à l’occasion de la conférence annuelle 2022 du Conseil de résolution unique (CRU), et je voudrais remercier chaleureusement Dr Elke König de m’avoir invité à donner ce discours aujourd’hui. Je voudrais avant tout rendre hommage à Elke pour le travail considérable qu’elle a accompli en tant que première présidente du CRU depuis sa création en 2015 – les équipes du CRU peuvent également être très fières. Vous avez en France un allié fort, avec qui j’ai le plaisir de travailler chaque semaine : Dominique Laboureix. Je ne trahirai pas de grand secret en disant combien il a aimé contribuer à cette création avec vous, et combien il reste attaché au CRU. 

L’intitulé de cette conférence (« Banques européennes : résolvables et prêtes pour la crise » ?) peut certes créer de l’anxiété, mais une anxiété saine. Il évoque les possibles dangers que comporte l’avenir, et constitue un puissant rappel de ce qui est arrivé aux banques durant la grande crise financière et par la suite. La tentation d’oublier ces événements serait une très grande erreur : les leçons du passé, en particulier de cette nature, doivent être gardées en mémoire pour nous inciter, jour après jour, à construire un système plus sûr. La « philosophie de la résolution » trouve ses racines dans ces périodes difficiles ; nous ne souhaitons pas vivre de nouveau sous la menace du « trop grand pour faire faillite » (too big to fail) et sans testament de vie.

Les législateurs et les régulateurs de l’UE en ont rapidement tiré les leçons. Au-delà de la réglementation de la gestion de crise (BRRD et CRR), l’Union bancaire, lancée en 2014, constitue à sa manière une illustration de la théorie militaire de Clausewitz. Elle comporte des objectifs stratégiques (ou Ziele en allemand) – visant à instaurer un secteur bancaire stable, sûr et fiable, tout en créant également les conditions propices à l’émergence de groupes paneuropéens. Elle définit également des objectifs politiques (Zwecke) via ses trois piliers. Et dernièrement, elle a principalement – et peut-être excessivement – axé ses efforts (Schwerpunkt) sur le troisième pilier, le système européen de garantie des dépôts (EDIS).

Aujourd’hui, nous devons orienter nos efforts principalement vers l’amélioration de la mise en œuvre de la résolution, afin de la rendre encore plus efficiente. Je voudrais souligner que, bien qu’on en parle moins fréquemment, la résolution est tout aussi importante que la supervision. Elle trouve écho dans cette fameuse expression latine : si vis pacem, para bellum (si tu veux la paix, prépare la guerre). Cela va sans dire, mais soyons clairs, cette métaphore militaire n’est pas à prendre au sens littéral : nous ne sommes absolument pas bellicistes. Cependant, les décideurs en charge de la résolution, tout comme les généraux, doivent agir dans un laps de temps très court – typiquement un week‑end – afin de trouver les bonnes solutions à des situations d’urgence complexes. Les autorités de résolution doivent être en permanence sur le pied de guerre.

D’un point de vue concret et opérationnel, je formulerai dans un premier temps quelques suggestions personnelles sur la manière dont le cadre de résolution pourrait évoluer au cours des prochaines années (I), puis je montrerai pourquoi et comment les autorités de surveillance et de résolution pourraient coopérer plus étroitement (II).

 

I. Comment la résolution pourrait-elle évoluer au cours des prochaines années ?

La résolution représente aujourd’hui l’unique cadre de gestion de crise harmonisé à l’échelle de l’UE ; elle constitue par conséquent un bien public qui doit être préservé et amélioré. Après sept années d’action préventive déterminée et deux décisions de résolution qui se sont soldées par un succès, le mécanisme de résolution unique (MRU) amorce à présent une phase plus mature au cours de laquelle il commence à être possible d’envisager des évolutions de la résolution, en tirant parti de la révision à venir du cadre de gestion de crise.

Tout d’abord, nous pourrions élargir le champ des banques susceptibles de faire l’objet de mesures de résolution en considérant, dans les évaluations de l’intérêt public, l’impact régional d’une défaillance. Le CRU et certaines autorités nationales de résolution ont déjà franchi un premier pas dans cette direction. Je salue vivement cette évolution, qui à mon sens pourrait franchir une étape supplémentaire afin que les banques de taille moyenne fassent l’objet de mesures de résolution si, dans leur cas, les évaluations concluent que c’est effectivement dans l’intérêt public. Il nous faudrait naturellement déterminer les critères permettant d’identifier les banques de taille moyenne, et d’exclure les petites banques dont l’empreinte limitée ne justifierait en aucun cas une résolution. En outre, au lieu de se concentrer exclusivement sur le renflouement (bail-in), la planification de la résolution pourrait veiller à ce que l’ensemble des instruments actuellement disponibles soit pris en considération. Enfin, des efforts peuvent être consacrés à l’harmonisation des principales caractéristiques des procédures d’insolvabilité nationales, telles que la hiérarchie des créanciers, plutôt qu’à la création de voies de gestion de crise parallèles qui ne feraient que reproduire les instruments de résolution existants tout en créant d’importants problèmes d’égalité de traitement.

Une fois cela réalisé, la probabilité de recourir au Fonds de résolution unique (FRU) pourrait s’accroître. Toutefois, alors que l’objectif initial était d’atteindre 1 % des dépôts couverts, soit un montant évalué à 55 milliards d’euros, ce montant a constamment été révisé et le FRU représente aujourd’hui 66 milliards d’euros et atteindra environ 80 milliards l’an prochain. Cette forte augmentation peut s’expliquer mécaniquement par la forte hausse des dépôts dans le sillage de la crise Covid et par l’épargne « forcée ». Il n’en demeure pas moins que ce montant très élevé n’a jamais été utilisé jusqu’à présent : nous ne pouvons complètement ignorer cette question. On peut discuter de la question de savoir si ce montant est disproportionné par rapport au niveau de risque des banques européennes. Si la réponse est oui, alors nous pourrions envisager d’introduire un plafond en termes absolus – dont le niveau devra être déterminé. Nous pourrions également utiliser la flexibilité qu’offre la réglementation actuelle afin d’alléger le poids des contributions pour les banques, de sorte que les engagements au titre des paiements irrévocables puissent représenter jusqu’à 30 %. Toutes ces questions doivent être examinées.

 

II. Pourquoi, et comment, les autorités de surveillance et de résolution pourraient interagir plus étroitement

Permettez-moi à présent d’évoquer la manière dont les deux piliers déjà achevés de l’Union bancaire, à savoir la supervision et la résolution, pourraient renforcer leur cohérence et interagir plus étroitement.

La coopération entre le CRU et la BCE existe bel et bien, elle est formalisée par un protocole d’accord. Celui-ci prévoit une coopération ex ante en période calme, ainsi qu’une coopération étroite lors des phases d’intervention précoce et de résolution. Grâce à ces importants travaux préventifs menés par le MSU (mécanisme de supervision unique) et le MRU, et grâce aux efforts continus des établissements bancaires, les plans de redressement se sont nettement améliorés ces dernières années.

Au-delà des axes de coopération actuels, qui pourraient encore être renforcés en pratique, une plus grande coordination sur les questions de policy paraît souhaitable. En particulier, les décisions se rapportant aux fonds propres ont un impact très concret sur la compétitivité des banques européennes, et donc sur l’égalité de traitement avec les banques étrangères. Nous devons trouver ici un compromis entre les questions de sécurité et de concurrence, des efforts étant nécessaires d’un côté comme de l’autre. Par exemple, le MSU pourrait considérer plus avant une approche fondée sur les risques plutôt qu’une approche à taux forfaitaire pour estimer les exigences d’après-résolution au titre du pilier 2. Cela implique la nécessité d’intégrer une approche prospective et la réduction des risques attendue à la suite d’une résolution. C’est ce qui pourrait être pris en compte dans le calibrage des exigences minimales externes pour les fonds propres et les engagements éligibles (MREL) : les banques ne sont pas au même stade aujourd’hui qu’il y a sept ans.

L’autorité de résolution pourrait, en retour, mieux prendre en compte certaines stratégies et, ainsi, accepter un certain niveau de risque. Un effet probable des options de rétablissement ou des outils de transfert serait de rendre la structure du groupe subsistant moins complexe et donc moins porteuse de risques. En outre, l’orientation en matière de dérogations aux exigences internes pour les entités situées dans le même État membre (voire au sein de la même Union bancaire) s’est avérée trop conservatrice. Nous avons besoin de pragmatisme et de cohérence entre le CRU et le MSU : lorsqu’une entité a été exemptée des exigences de fonds propres, ou qu’elle n’est simplement pas soumise à ces exigences, l’autorité de résolution pourrait appliquer la même règle pour les exigences minimales externes pour les fonds propres et les engagements éligibles.

La proportionnalité au risque pourrait s’accompagner d’autres modifications, comme le calcul de la contribution des banques au FRU. À ce jour, la taille des institutions est le principal facteur retenu dans la détermination de ces contributions. C’est largement contestable : la taille est certes importante pour inclure un établissement dans le champ d’application de la résolution, mais taille et risque sont deux notions différentes et elles pourraient être plus clairement différenciées dans la mise en œuvre technique. Afin de garantir l’équité des contributions, et une plus grande adhésion au MRU dans son ensemble, il est nécessaire d’adapter la formule en conséquence. Au-delà de l’équité, pénaliser les banques ou les groupes de grande taille empêche l’émergence de groupes paneuropéens, ce qui est un des objectifs de l’Union bancaire. Reconnaissons que, sur ce point, nous avons collectivement échoué jusqu’à présent ; nous avons une Union bancaire sans banques européennes réellement transfrontières. C’est une faiblesse majeure. C’est là que nous devrions faire entrer notre Ziel (notre objectif stratégique) dans notre champ de vision.

 

Permettez-moi de conclure en disant que, en 2022, après les sept premières années d’existence du mécanisme de résolution unique, il pourrait être temps de rappeler ce que Clausewitz a identifié très justement comme la plus grande difficulté : « rester fidèle, dans l’exécution, aux principes qu’on s’est fixés ». Cela ne veut pas dire faire preuve de rigidité dans la mise en œuvre technique, bien au contraire. Cela signifie adopter une approche fondée sur les risques et procéder à une analyse équilibrée de la meilleure façon d’avancer pour servir ces principes de manière appropriée. Je clôturerai mon discours par un autre adage romain : in medio stat virtus, c’est dans un juste milieu que se tient la vertu. Je vous remercie de votre attention.

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DiscoursFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
Paix armée et proportionnalité au risque : comment trouver le bon équilibre
  • Publié le 19/09/2022
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