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InterventionTribune

L'Europe à la croisée des chemins : Comment améliorer la gouvernance économique et les performances de la zone euro en termes de croissance ?

Je suis très heureux de cette opportunité qui m'est offerte par le DIW de partager quelques réflexions sur l’Europe, ici à Berlin.

Comme vous le savez peut-être, j'ai des liens forts avec l'Allemagne. En particulier, je partage sans réserve l'idée de l'importance de la responsabilité et d’une vision à long terme propre à la culture allemande.

À l'heure actuelle, nous sommes probablement tous d'accord sur deux points - et je mettrai l'accent aujourd'hui sur leur étroite imbrication :

  • La politique monétaire ne peut pas être la seule partie à jouer.
  • Même si l'Union monétaire est un succès, l’Union économique reste à construire.

Je tiens à rendre hommage à Helmut Schmidt qui déclarait en octobre 2011 : « Nous n'avons pas réussi à définir les règles du jeu économiques pour l'union monétaire. Aucune autorité responsable de la politique budgétaire et économique et dotée de pouvoirs forts n'a été créée »1.

Je soutiendrai tout d'abord que la politique monétaire a fait sa juste part (I). Puis j'évoquerai la nécessité d'une « pleine coordination » des politiques économiques nationales dans la zone euro et les progrès concrets qui peuvent être réalisés (II). Enfin, s'agissant du partage du risque privé dans la zone euro, je mettrai l'accent sur l'importance de la création d'une Union de financement et d’investissement efficace (III).

I - LA POLITIQUE MONÉTAIRE REMPLIT SON DEVOIR, ET ELLE A DÉJÀ FAIT BEAUCOUP.

Je suis pleinement conscient que certaines décisions de politique monétaire prises récemment par le Conseil des gouverneurs font l'objet de vifs débats en Allemagne. Le fait que de telles critiques s'expriment souligne, à tout le moins, la nécessité de mieux expliquer nos décisions de politique monétaire. Toutefois, je souhaiterais faire valoir que nos récentes décisions de politique monétaire sont largement conformes aux principes de stabilité que la culture allemande incarne si bien. Permettez-moi de développer trois de ces principes.

Premièrement, l'indépendance. Les performances divergentes en termes d'inflation qui ont été observées dans les principales économies industrialisées après l'effondrement du système de Bretton Woods ont profondément influencé la conduite suivie ultérieurement par les banques centrales. Sur le plan pratique, on a estimé que l'Allemagne avait traversé l'épisode dit de stagflation des années soixante-dix beaucoup mieux que les autres pays. La Bundesbank a joué le rôle de modèle pour l'indépendance des autres banques centrales.

Deuxièmement, un mandat clair pour la stabilité des prix. L'Eurosystème a été bâti sur ces fondements tels qu'inscrits dans le traité de Maastricht. Nous avons également adopté, dès 2003, une définition quantitative transparente de la stabilité des prix, à savoir un taux d'inflation proche de, mais inférieur à 2 % à moyen terme - ce qui est très proche de la définition actuellement retenue par la Réserve fédérale américaine, la Banque d'Angleterre et la Banque du Japon : il n'y a donc rien de nouveau ou de spécifique à la BCE.

Entre 1999 et 2011, la hausse annuelle de l'IPCH est ressortie à 2 % en moyenne dans la zone euro, un niveau remarquablement conforme à l'objectif.

IPCH et inflation sous-jacente dans la zone euro IPCH et inflation sous-jacente dans la zone euro

Mais depuis lors, l'Eurosystème a rencontré des difficultés pour égaler cette performance. L'inflation est nettement inférieure à 2 % depuis trois ans maintenant, l’Allemagne elle-même est touchée exactement par ce même phénomène, et la diminution de l’inflation ne peut s'expliquer entièrement par le recul des prix du pétrole. Dans le même temps, les anticipations d'inflation se 3 sont progressivement inscrites en baisse au cours des trois dernières années. Notre mandat nous impose de réagir, afin de protéger l'économie de la zone euro, y compris l'économie allemande, du danger mortel de la déflation.

Troisièmement, la patience qui s’impose au regard d’une perspective à moyen et long terme. Dans le monde volatil où nous vivons, nos réactions de politique monétaire ne sont pas dictées par les fluctuations économiques à court terme, les surréactions des marchés, les gros titres des médias ou les résultats des sondages. Notre crédibilité est également symétrique. Si nous tolérons maintenant des écarts prolongés de l'inflation en dessous de 2 %, il existe un risque qu'à l'avenir, quand l’inflation se situera au-dessus de ce seuil, notre détermination à la ramener à des niveaux proches de, mais inférieurs à 2 % manque de crédibilité. Comme Romer et Romer, deux spécialistes américains de l'économie monétaire, l'ont soutenu avec force dans un document récent2, l'idée la plus dangereuse pour les banquiers centraux est de penser que la politique monétaire ne peut guère agir contre les modifications de l'écart de production, qu'elles soient négatives ou positives. Rétrospectivement, il a maintenant été démontré que la Grande Dépression des années trente et la Grande Inflation des années soixante-dix ont été alimentées par cette croyance. La crédibilité et l'ancrage des anticipations d'inflation nécessitent que nous n'accordions, en matière de politique monétaire, aucun crédit à la théorie passée dite de la « pâte dentifrice » (une fois l’inflation « sortie du tube », une politique monétaire restrictive ne peut la combattre) ni, de façon symétrique, à la vision actuelle de la corde que l’on peut tirer mais pas pousser, (une politique accommodante ne peut donc pas lutter contre la déflation).

Nos résultats doivent donc être jugés à moyen terme. Quinze mois seulement se sont écoulés depuis le véritable démarrage de l'assouplissement quantitatif dans la zone euro mais nous pouvons déjà constater certains effets positifs. Selon les évaluations des services de la BCE, sans l'APP (Asset Purchase Program – Programme d’achats d’actifs), l'inflation aurait été négative en 2015 et serait inférieure de plus d'un demi-point de pourcentage en 2016 et d'environ un demipoint de pourcentage en 2017.

Si nous poursuivons notre programme, à quoi devons-nous nous attendre à l'avenir ? La réserve fédérale des États-Unis nous a montré le chemin, en prenant une série de mesures très importantes pour accroître la relance monétaire, même après avoir ramené son taux d'intérêt directeur à zéro. La Fed a donné des indications sur l'orientation future de la politique monétaire afin de signaler une période prolongée de bas niveau des taux d'intérêt et a débuté l'assouplissement quantitatif. Les États-Unis ont logiquement ouvert la voie dans la mesure où ils ont été le premier épicentre de la Grande Récession.

La politique des Etas-Unis ouvre la voie La politique des Etas-Unis ouvre la voie

L'assouplissement quantitatif a débuté en novembre 2008 aux États-Unis et l'inflation sousjacente a atteint son point bas en octobre 2010. Le chômage a reculé régulièrement depuis et le taux d'inflation s'est rapproché de 2 %, qui est la cible d'inflation fixée par la Réserve fédérale. C'est seulement alors que le Comité fédéral de l'open market a pu arrêter d'accroître son bilan, relever le taux des fonds fédéraux par rapport à son plancher et amorcer ainsi une stratégie de sortie. De toute évidence, nous ne nous situons pas, dans la zone euro, au même point du cycle économique, mais nous parcourons la même route s'agissant de la politique monétaire.

La politique des Etas-Unis ouvre la voie La politique des Etas-Unis ouvre la voie

Certains considèrent que ces politiques non conventionnelles dans la zone euro sont contreproductives, parce que les taux d’intérêt ultra-bas lèsent les épargnants et les banques. Toutefois, nous avons effectué un suivi attentif de la rentabilité des banques et – si l’on prend en compte TOUS les éléments de la politique monétaire aucun signe ne montre d’effets globalement négatifs du niveau des taux en 2015. En outre, le taux d’intérêt réel mondial à long terme baisse depuis 30 ans environ, reflétant un déséquilibre entre une forte volonté d’épargner et une rareté relative des agents économiques disposés à emprunter pour investir. Comme nous le savons tous, ce déséquilibre est particulièrement prononcé en Allemagne où cet excédent est de l’ordre de 8 % du PIB allemand.

Surtout, nous ne pouvons pas fonder nos décisions sur les résultats qu’elles auraient pour des groupes particuliers, mais sur le bien commun. L’activité économique ne dépend pas seulement des épargnants, mais aussi des entrepreneurs, des travailleurs, des accédants à la propriété et des emprunteurs, qui bénéficient du bas niveau des taux d’intérêt. Ces politiques finiront par rétablir des niveaux d’inflation plus conformes à notre mandat et nécessiteront des taux d’intérêt plus élevés tant en termes nominaux que réels. Pour que les taux d’intérêt soient durablement plus élevés demain, nous devons les maintenir à des niveaux bas aujourd’hui.

Cela étant, tous les instruments non conventionnels ne sont pas légitimes. Le niveau négatif des taux d’intérêt ne doit pas aller au-delà d’une certaine limite, ainsi que l’a déclaré Mario Draghi. Aussi, ce type de mesure non conventionnelle, bien qu’utile, doit être utilisé avec précaution. Et je pense que la « monnaie hélicoptère » ferait plus de mal que de bien : nous n’en avons pas besoin et ce n’est pas à l’ordre du jour.

Le véritable problème est que la politique monétaire ne peut pas tout. Nous avons fait notre part, mais nous ne pouvons pas générer la croissance économique durable qui sous-tend la prospérité, y compris pour les épargnants. Pour cela, il est nécessaire que les autres responsables de la politique économique agissent.

Au moment où la zone euro enregistre à la fois un écart de production négatif et un important excédent extérieur, c’est-à-dire un excédent d’épargne par rapport à l’investissement, nous devons réfléchir à la façon la plus productive d’utiliser l’abondante épargne européenne pour l’investissement en Europe.

Une épargne abondante dans la zone euro Une épargne abondante dans la zone euro

C’est pourquoi nous devons favoriser un partage des risques privés plus étendu dans la zone euro, ce qui nécessite un cadre de financement et d’investissement plus intégré. Ainsi qu’il est écrit dans le rapport Fratzscher sur l’accroissement de l’investissement en Allemagne : « la clef d’une reprise durable en Europe est une croissance plus forte qui doit d’abord et avant tout être soutenue par une campagne d’investissement et de modernisation conjointe ». J’y viendrai.

Mais nous devons également parvenir à une meilleure coordination des politiques publiques. À cette fin, nous devons examiner en détail le rôle concret que pourrait jouer un ministre des Finances de la zone euro.

II – POURQUOI NOUS AVONS BESOIN D’UNE INSTITUTION CHARGÉE DE LA « PLEINE COORDINATION » DANS LA ZONE EURO, INCARNÉE PAR UN MINISTRE DES FINANCES.

À l’évidence, la politique monétaire ne peut se substituer ni à la coordination des politiques économiques ni au manque de réformes. Ne serait-ce que pour cette raison, les banquiers centraux doivent prendre part au débat, même si c’est aux dirigeants politiques que revient la décision d’agir. C’est aussi pourquoi nous devons mettre l’accent sur la question de la gouvernance économique et de la coordination dans la zone euro.

Nous sommes conscients des fortes résistances politiques au partage des ressources budgétaires et de la souveraineté, ainsi que de la montée de l’euroscepticisme. C’est pourquoi nous devons faire valoir des arguments économiques. L’enjeu ici, ce n’est pas « plus de Bruxelles », mais c’est très concrètement plus de croissance et d’emplois en Europe.

La crise de la zone euro a montré à quel point nous manquions de préparation. L’absence de coordination a en effet un vrai coût économique. Plusieurs approches font état d’un coût significatif de l’absence de coordination, de l’ordre de 2 à 5 % du PIB depuis la crise, et par conséquent de millions d’emplois.

Pour faire avancer le débat, il faut opérer plusieurs choix fondamentaux. Premièrement, progresser en parallèle sur les réformes nationales et [non pas « ou »] sur la coordination européenne. Il s’agit là de la pierre angulaire de tout accord franco-allemand : pour être juste, tant l’appel français à une plus grande implication de l’Allemagne dans la coordination que les doutes de l’Allemagne au sujet des réformes françaises étaient et demeurent fondés. Cela nécessite de surmonter la méfiance réciproque et de placer ensemble ces deux aspects sous les auspices d’une institution commune.

Deuxièmement, nous devons reconnaître que les «institutions avec mandat » sont plus efficaces que les « règles sans institutions », ainsi que l’a souligné Mario Draghi dans son analyse de la différence fondamentale qui existe entre une institution de politique monétaire et des règles budgétaires. Pour renforcer la cohérence et la coordination des politiques économiques, il faut reconnaître que nous avons besoin de règles plus simples. Mais elles doivent être complétées par des institutions fortes dotées de pouvoirs discrétionnaires.

Troisièmement, il y a place pour un niveau intermédiaire d’intégration, illustré par une matrice simple :

Une institution chargée de la pleine coordination

Une institution chargée de la pleine coordination Une institution chargée de la pleine coordination

Une institution chargée de la pleine coordination Je l’appellerai « pleine coordination des politiques économiques nationales », soit le chaînon actuellement manquant entre intégration complète, du type de celle de la politique monétaire, et 8 surveillance fondée sur des règles, comme c’est actuellement le cas des politiques budgétaires nationales en Europe, et dont l’efficacité est clairement insuffisante. Et je ne pense pas que nous soyons prêts pour une véritable union budgétaire dotée d’une capacité budgétaire commune et de la grande confiance mutuelle qu’elle exige.

Outre l’achèvement de l’union bancaire, le volet nécessaire de la réforme de l’UEM concerne la mise en place d’une institution forte afin de coordonner pleinement les politiques budgétaires et structurelles nationales. Cela permettrait de faire de la zone euro plus que la somme de ses parties. Pour reprendre une phrase célèbre de Jean Monnet, « rien ne se crée sans les hommes, mais rien ne dure sans les institutions ».

L’idée d’un ministre des Finances de la zone euro n’est pas nouvelle : Marcel Fratzscher et le DIW, par exemple, ont récemment défendu l’idée d’un « ministre des Finances commun », conscients qu’une monnaie unique « requiert un processus de convergence économique et une coordination étroite des politiques économiques, comportant des règles communes »3. Mais laissez-moi préciser ses missions concrètes. J’en vois quatre.

Premièrement, le ministre serait chargé de la préparation d’une stratégie collective à l’échelle de la zone euro pour remplir son mandat d’atteindre une croissance durable et pour s’accorder collectivement sur le partage des tâches via la définition d’objectifs de performances individuels pour les États membres. Nul ne conteste sérieusement qu’une stratégie collective comportant davantage de réformes structurelles dans certains pays, y compris la France, et davantage d’investissement public dans d’autres pays, notamment l’Allemagne, permettrait un meilleur dosage des politiques économiques au profit d’une croissance durable et de l’emploi en Europe.

Deuxièmement, le ministre des Finances serait responsable de la surveillance de la mise en oeuvre de la stratégie collective, en utilisant les instruments appropriés pour créer des incitations symétriques. Les incitations négatives comprendraient les mécanismes de sanction existants et pourraient être élargies aux procédures contractuelles déjà présentées dans le cadre de la contribution franco-allemande de 2013 sur l’UEM, ou dans la proposition de la Chancelière allemande4 de « contrats de réforme contraignants ». Une incitation positive serait par exemple l’accès à un « fonds de convergence de la zone euro », grâce auquel les États membres bénéficieraient d’un financement commun.

Troisièmement, le ministre des Finances serait responsable de la mise en oeuvre de la gestion de crise centralisée. Le ministre des Finances de la zone euro serait naturellement chargé du contrôle des opérations du Mécanisme européen de stabilité.

Enfin, au fur et à mesure de l’intégration, le ministre pourrait se voir confier la gestion du fonds de convergence de la zone euro, évoluant progressivement vers un budget de l’euro.

Le renforcement de l’intégration et la responsabilité démocratique devraient progresser en parallèle. Ces modifications institutionnelles nécessitent de toute évidence un nouveau Traité.

Une institution légitime dotée d'une véritable capacité administrative Une institution légitime dotée d'une véritable capacité administrative

Premièrement, nous avons besoin d’une procédure de nomination de nature à établir fortement la légitimité de la fonction. Le ministre des Finances pourrait ainsi être nommé pour une période de cinq ans par le Conseil européen à la majorité qualifiée, sur proposition du président de la Commission européenne. Cette nouvelle nomination serait soumise à l’approbation formelle du Parlement européen, et le ministre des Finances serait membre de la Commission et président de l’Eurogroupe.

Deuxièmement, le ministre des Finances de la zone euro devrait pouvoir s’appuyer sur un véritable Trésor européen. Cette administration bénéficierait également de l’expertise publique de deux organismes indépendants, le Conseil budgétaire européen et le Conseil de compétitivité.

Enfin, si nous parvenons à mettre en oeuvre une intégration plus poussée, nous aurons besoin d’un contrôle démocratique plus fort sur les affaires de la zone euro. À cette fin, nous devrons envisager d’institutionnaliser un format « zone euro » au sein du Parlement européen. Les relations entre les députés de la zone euro et les parlements nationaux devront également être renforcées.

Comme je l’ai dit, nous ne devons pas seulement mieux coordonner les politiques publiques, mais également favoriser le partage du risque privé dans l’ensemble de la zone euro. Comme le disait Wolfgang Schaüble, les dirigeants européens doivent montrer « que l’équilibre budgétaire, la croissance et l’investissement ne s’excluent pas mutuellement, mais qu’ils vont plutôt de pair »5 .

III. CONSTRUIRE UNE UNION DE FINANCEMENT ET D’INVESTISSEMENT EFFICACE POUR DEMAIN

Nous devons améliorer le financement de l’investissement dans l’UE. Nos efforts doivent se concentrer sur le financement de la croissance et de l’innovation et sur le dosage approprié entre les solutions de financement par endettement et par émission d’actions, tout en continuant de préserver la stabilité financière et d’assurer la protection des consommateurs. Dans l’UE, la Commission européenne a lancé le Plan d’investissement, dit « plan Juncker », et l’Union des marchés de capitaux (UMC).

Jusqu’à présent, ces initiatives ont produit des résultats, mais ils restent insuffisants. Une approche plus ambitieuse réunirait l’UMC, l’Union bancaire et le plan Juncker. C’est pourquoi je suggère la mise en oeuvre d’une Union de financement et d’investissement. Il est essentiel de clarifier deux objectifs : (a) la diversification du financement des entreprises, et (b) le renforcement de la zone euro. Comme indiqué dans l’article co-écrit avec Jens Weidmann en février, cette Union de financement et d’investissement, comportant davantage de financement par émission d’actions, semble être le meilleur moyen pour résoudre le paradoxe d’une épargne abondante qui n’est pas suffisamment mobilisée au bénéfice de l’investissement.

Premièrement, je vais me concentrer sur la diversification des modes de financement. Les besoins des entreprises doivent représenter le point de départ. Il convient de favoriser de nouveaux modes de financement de l’investissement des entreprises, une des clés de l’innovation. Il devrait surtout y avoir davantage de financement par émission d’actions.

Les leviers financiers de l'investissement innovant : la priorité est aux capitaux propres Les leviers financiers de l'investissement innovant : la priorité est aux capitaux propres

  • Fait essentiel, le financement des entreprises par émission d’actions est deux fois moins important en Europe qu’aux États-Unis : 52 % du PIB dans la zone euro, contre 121 % aux États-Unis.
  • Cela est regrettable, car le financement par émission d’actions est le meilleur moyen de partager les risques et les opportunités, et aussi de soutenir l’innovation. La croissance de nombreux marchés émergents en rattrapage peut se financer par l’endettement. Mais une économie à la frontière technologique, comme c’est le cas des États-Unis ou, espérons-le, de l’Europe, doit se financer par émission d’actions : l’innovation étant plus 11 risquée, l’investisseur doit avoir un « upside », un fort potentiel d’appréciation face à son risque.
  • Selon l’enquête Innobaromètre de la Commission, le financement est le principal obstacle à la promotion de la R&D et de l’innovation en Europe. Que pouvons-nous faire ? Les politiques fiscales, entre autres, pourraient être révisées pour favoriser le financement par émission d’actions. Il est également impératif de développer des dispositifs innovants au niveau européen, comme des fonds européens de capital-risque, afin de faciliter la création et la croissance de nouvelles entreprises.

De plus, une Union de financement et d’investissement sert à renforcer la zone euro. Les flux bancaires à court terme ont augmenté après l’introduction de l’euro, mais la crise financière a fait la démonstration que le canal du partage des risques via les marchés de capitaux était encore sous-développé dans la zone euro. La réalité de la fragmentation financière et ses conséquences négatives sur l’économie nous permettent de tirer une conclusion évidente : le financement par actions est clairement l’instrument qui permet le mieux d’atténuer les chocs asymétriques dans une union monétaire. Ses avantages sont multiples (Financial Integration Report 2016 de la BCE) : il est moins volatil que le financement par endettement et il améliore la capacité de résistance des entreprises à des conditions défavorables.

Financement par actions pour atténuer les chocs asystémiques Financement par actions pour atténuer les chocs asystémiques

Par exemple, le marché boursier américain, qui présente une forte intégration, est capable d’amortir 40 % environ d’un choc économique spécifique à un État, les bénéfices et les pertes d’une entreprise étant répartis entre les propriétaires sur l’ensemble du territoire américain. Dans la zone euro, cette forme de partage des risques est pratiquement inexistante.

En conclusion, permettez-moi de citer Robert Mundell6 , fondateur de la théorie des zones monétaires optimales. Il a reconnu que la zone euro était loin d’être optimale. Il est toutefois resté confiant, en déclarant : « [L’Europe] y parviendra, parce qu’elle n’a pas le choix. » Une politique économique d’ensemble, et non la seule action des banques centrales, est effectivement l’unique partie à jouer.

Nous ne pouvons pas nous permettre une énième occasion manquée : pour l’Europe, pour ses citoyens, 2016-2017 est le moment décisif pour agir.

1 Helmut Schmidt ; Remarques lors de la cérémonie d'adieu du Président de la BCE, Jean-Claude Trichet le 19 octobre 2011.

2 C.Romer et D. Romer The Most Dangerous Idea in Federal Reserve History: Monetary Policy Doesn’t Matter, American Economic Review: Papers & Proceedings 2013, 103(3): 55-60.

3 Marcel Fratzscher, Lessons for Europe from German Monetary Union, DIW Economic Bulletin 27.2015

4 Angela Merkel, premier discours parlementaire de son troisième mandat prononcé le 18 décembre 2013.

5 Wolfgang Schaüble, Managing Europe – What is Germany’s responsibility ?, discours prononcé à la LSE, le 3 mars 2016

6 Rencontre de Laura Wallace avec Robert Mundell, « Un économiste en avance sur son temps », Finance & Développement, FMI, septembre 2006, vol 43, n° 3.​

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TribuneFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
L'Europe à la croisée des chemins : Comment améliorer la gouvernance économique et les performances de la zone euro en termes de croissance ?
  • Publié le 08/06/2016
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