Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir pour cette nouvelle conférence de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) consacrée ce matin aux grands enjeux de la révision du règlement prudentiel pour les banques. Le sujet n’est pas nouveau… mais son actualité est permanente. Je vais dans un premier temps insister sur la sécurité accrue déjà atteinte en matière prudentielle : l’accord du 7 décembre 2017 sur la finalisation de Bâle 3 et l’utilisation désormais usuelle d’instruments macroprudentiels. J’évoquerai ensuite ce qui reste devant nous en Europe, à savoir l’indispensable achèvement de l’Union bancaire.
La finalisation des accords de Bâle 3 – et non de Bâle 4, définitivement non – clôt une décennie d’efforts réglementaires qui ont considérablement renforcé la solidité du système bancaire international. Je le redis, l’accord du 7 décembre 2017 est le meilleur accord possible pour la France et pour l’Europe. Il est équilibré et raisonnable : la sensibilité au risque du dispositif prudentiel a été préservée grâce à un large maintien des approches internes, ce qui était l’une de nos préoccupations majeures. De surcroît, la confiance dans les modèles internes sera renforcée par un encadrement accru, tandis que l’augmentation des exigences de capital restera mesurée et étalée dans le temps jusqu’en 2027. Les banques demandaient à juste titre une visibilité stratégique de long terme sur leur cadre réglementaire : elles l’ont, désormais.
L’accord que nous avons négocié repose sur un engagement fort de mise en œuvre par les grandes juridictions, y compris les États-Unis. L’Union européenne doit bien sûr être elle aussi fidèle à sa parole, dans la mise en œuvre et le calendrier.
Nous sommes, par ailleurs, confiants quant à l’achèvement rapide des discussions actuelles concernant le standard sur les risques de marché. La première version du texte publiée en 2016 aurait entraîné ex-post une augmentation trop forte et non justifiée des exigences de fonds propres sur ces activités. L’ACPR a depuis activement participé aux travaux du groupe technique du Comité de Bâle en charge des risques de marché. Les nouvelles règles proposées dans le document qui fait actuellement l’objet d’une consultation devraient permettre de revenir aux impacts initialement souhaités ex-ante, c’est-à-dire une augmentation moyenne de 20 à 30 % de la charge en fonds propres au titre des risques de marché.
À côté de la règlementation – ainsi clarifiée – et de la supervision microprudentielle, les politiques macroprudentielles complètent maintenant dans beaucoup de pays le trépied de la stabilité financière. En France, l’ACPR contribue activement aux réflexions du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), présidé par le Ministre de l’Économie et des Finances. Face à la croissance rapide et excessive de l’endettement de quelques grandes entreprises, le HCSF a adopté un dispositif qui entrera en vigueur le 1er juillet prochain ; il impose aux banques systémiques françaises une limite sur leurs expositions vis-à-vis des grandes entreprises non financières résidentes les plus endettées. Le HCSF reste néanmoins vigilant face à la progression rapide du crédit bancaire au secteur privé, à +5,5 % au premier trimestre 2018. La dette privée française atteint désormais 130 % du PIB à fin 2017, la plus élevée des grands pays de la zone euro. Depuis 2014, elle a augmenté de plus de 9 % du PIB, tandis qu’elle reculait de 5,4 % du PIB pour la moyenne de la zone euro. Le HCSF l’a indiqué le 29 mars dernier : il se tient prêt à agir. En particulier, si nous devions décider lors de notre prochaine réunion un « coussin contracyclique » de fonds propres, ce ne serait évidemment pas pour arrêter le crédit aujourd’hui : ce serait – comme son nom l’indique – pour éviter son arrêt demain lors d’un retournement de cycle, en particulier pour les PME. À défaut de fonds propres suffisants, les banques pourraient gérer les risques accrus, se matérialisant alors dans leurs bilans, par une restriction des nouveaux crédits. C’est ce cycle excessif du crédit – ce risque de « go and stop » connu dans les crises financières –, qu’un coussin de fonds propres modéré peut avoir pour finalité de lisser. Il faut noter au passage qu’une nette majorité d’États membres de l’Union européenne ont adopté d’autres mesures macroprudentielles de limitation spécifique du crédit immobilier, contraignant les ménages : il n’en est à mes yeux pas question en France.
Nous devons désormais résolument œuvrer en faveur de l’achèvement de l’Union bancaire européenne. Je veux insister d’abord sur le pourquoi. La finalisation de l’Union bancaire doit, aux côtés de l’Union des marchés de capitaux, favoriser les conditions d’un meilleur partage des risques entre les acteurs privés (private risk sharing) au sein de la zone euro. Le partage des risques privés remplit une fonction de stabilisation économique : ainsi, aux États-Unis les flux financiers privés entre États fédérés sont un mécanisme d’amortissement plus puissant que les mécanismes budgétaires induits par un partage des risques publics. Qui plus est, ce partage des risques privés doit permettre de mobiliser l’important excédent d’épargne de la zone euro – de 390 milliards d’euros en 2017 – au profit des entreprises européennes, au sein d’une véritable Union de Financement pour l’investissement et l’innovation au niveau européen.
Nous avons franchi un pas avec l’accord du 25 mai au Conseil Ecofin sur le « paquet bancaire » issu de la proposition législative de la Commission du 23 novembre 2016. Même s’il convient d’attendre la proposition du Parlement et l’issue du trilogue, cet accord est globalement positif. Sur le volet supervision, il permet à l’Union Européenne de disposer de l’ensemble des ratios prudentiels du cadre international. En parallèle, l’introduction progressive de la nouvelle approche de mesure des risques de marché,– la FRTB – ,encore en cours de finalisation à Bâle, est prévue. En outre, il y a une première avancée en faveur de la reconnaissance de la zone euro comme juridiction unique, permettant au superviseur de considérer les expositions transfrontalières au sein de l’Union bancaire comme des expositions domestiques pour la mesure de la systémicité des banques européennes. Sur la résolution, nous avons obtenu une extension de l’exigence de subordination du MREL au-delà des établissements systémiques d’importance mondiale, diminuant ainsi l’effet de seuil entre les grandes banques qualifiées de systémiques au niveau mondial (GSIBs) et les autres banques. Par ailleurs, le texte définit un plafond d’exigence de dette subordonnée, très proche du standard international TLAC.
Cet accord comporte cependant des éléments plus problématiques sur lesquels nous resterons vigilants. Pour n’en citer qu’un, concernant le MREL interne, il aurait été souhaitable d’avoir des possibilités d’exemption transfrontalière à l’intérieur de l’Union bancaire similaires à la méthodologie de calcul de la surcharge en capital pour les banques systémiques. De plus, nous sommes préoccupés par l’introduction dans le calibrage du MREL interne d’une référence au seuil permettant l’accès au Fonds de Résolution, ce qui n’a pas de sens lorsque la résolution est réalisée au niveau de la maison mère.
S’agissant de ce qui reste à faire sur l’Union bancaire, l’achèvement de la résolution est, à mon sens, la première des priorités, plus encore que le troisième pilier de garantie des dépôts. Mario Draghi y a beaucoup insisté dans son discours de Florence du 11 mai[i]. Dans la plupart des grandes juridictions – États-Unis, Royaume-Uni, Japon –, les capacités d’intervention des fonds de résolution ne sont pas plafonnées car elles sont sécurisées par les autorités budgétaires, sans être une charge pour les finances publiques, puisque les éventuelles mises de fonds publiques sont d’expérience remboursées par le secteur privé. Lors de la dernière crise financière, la confiance du marché et des déposants résultant de l’existence d’une ligne de crédit garantie par le Trésor américain a permis à la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) de conduire 500 cas de résolution sans puiser dans les ressources du filet de sécurité[ii]. Aujourd’hui, en cas de crise sévère dans l’Union bancaire européenne, les ressources du Fonds de résolution unique (FRU) pourraient être épuisées.
C’est pourquoi, il faut rapidement mettre en place un filet de sécurité commun (common backtsop) au Fonds de résolution unique. Je veux le dire clairement : l’objectif d’un common backstop n’est pas de procéder à un renflouement externe ni de mobiliser les budgets des États. Le dispositif public n’interviendrait qu’en subsidiarité, et l’ensemble des sommes versées serait remboursé graduellement par le secteur bancaire. Il s’agit plutôt de renforcer la confiance dans la résolution bancaire en Europe en montrant que celle-ci sera toujours en mesure d’intervenir efficacement en cas de crise. Un tel système incitera aussi à lever les contraintes posées par certaines autorités nationales aux flux de capitaux et de liquidité. Je considère comme une priorité absolue la proposition de la Commission européenne de mettre en place un filet de sécurité au travers d’une ligne de crédit apportée par le Mécanisme européen de stabilité (MES). Nous avons, par ailleurs, besoin d’un schéma commun de fourniture de liquidité conforme aux règles de la politique monétaire de la zone euro et pouvant bénéficier à des banques financièrement assainies après leur résolution.
Bien sûr, il nous faudra trouver un compromis pour avancer sur le troisième pilier de l’Union bancaire, la garantie des dépôts. Dès lors que nous aurons achevé la résolution, nous aurons moins besoin d’un schéma européen mutualisé. Une approche pragmatique pourrait être d’instaurer un système de prêts entre les schémas de garantie des dépôts (SGD) nationaux, assortis de mécanismes de garantie afin d’éviter que les avances de liquidités ne se traduisent par des pertes pour les SGD prêteurs. Ceci permettrait de partager la liquidité sans partager les risques, ce qui renforcerait déjà la confiance du secteur financier et la protection des déposants.
Pour conclure, je veux souligner que l’achèvement de l’Union bancaire en Europe est un des points essentiels d’une ambition plus large : l’indispensable renforcement de l’Union économique. Comme l’a dit Mario Draghi le 11 mai, « les citoyens européens ont appris à connaître l'euro et à avoir confiance dans l'euro. Mais ils attendent également que l'euro apporte la stabilité et la prospérité promises. Il est donc de notre devoir, en tant que dirigeants, et en retour de ce témoignage de confiance, d’agir dans les domaines de notre Union qui sont […] inachevés ». Au-delà des débats démocratiques nationaux – il n’en manque pas aujourd’hui, ni en Europe ni ailleurs –, cette confiance dans l’euro est notre actif partagé, partout. Cette confiance nous oblige, avec l’exigence du respect du réel, mais aussi avec l’urgence du calendrier et – je crois – de l’Histoire.
[i] “Risk-reducing and risk-sharing in our Monetary Union”, Speech by Mario Draghi, President of the ECB, at the European University Institute, Florence, 11 May 2018
[ii] Sapir, A. and Wolff, G. (2013), “The neglected side of banking union: reshaping Europe’s financial system”, note présentée à l’ECOFIN informel du 14 septembre 2013 à Vilnius.