Liste actualité
InterventionDiscours

Les anticipations d’inflation, les implications et les réponses de la politique monétaire dans un nouveau paradigme des matières premières

Session I : Perspectives des banquiers centraux

Le rôle de la politique monétaire

Depuis la crise financière, les banques centrales sont testées à plusieurs niveaux : leur capacité à garder actifs les canaux de transmission de la politique monétaire, leur capacité à assurer la stabilité des prix, leur capacité à soutenir l’économie. Dans de nombreuses juridictions, les banques centrales ont fait beaucoup pour atteindre leurs objectifs. Et leur rôle dans la sortie de crise a été largement salué comme positif. Mais dans un contexte où l’inflation reste inférieure à sa cible, où les marchés des matières premières sont orientés à la baisse de façon persistante et où la dynamique de la croissance s’essouffle, l’action des banques centrales est maintenant remise en question : quelle est l’efficacité de la politique monétaire et quelle peut être son efficacité à l’avenir ? Les banques centrales ne sont-elles pas à court de munitions ? La politique monétaire est confrontée à des défis, c’est vrai, mais ces difficultés peuvent être atténuées. Les banques centrales ont prouvé qu’elles étaient prêtes à jouer leur rôle. Ma conviction cependant, c’est qu’elles ne peuvent pas tout : « central banks cannot remain the only game in town ». Mes remarques d’aujourd’hui porteront sur le cas de la zone euro. Jeffrey [Lacker, président de la Banque fédérale de réserve de Richmond] vous donnera certainement davantage d’informations sur la situation aux États-Unis. Je m’attacherai d’abord aux défis auxquels nous sommes confrontés en tant que banquiers centraux, avant d’aborder nos instruments et leur efficacité.

I. Tout d’abord, les défis.

a) Comme vous le savez tous, l’objectif principal de l’Eurosystème est de maintenir la stabilité des prix, c’est-à-dire un taux d’inflation inférieur à, mais proche de 2 % à moyen terme. Dans la zone euro cependant, comme dans la plupart des économies avancées, l’inflation reste trop basse, malgré des taux d’intérêt historiquement bas : l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) est en effet repassé en territoire négatif, à - 0,2 % en février 2016, et l’inflation sous-jacente, c'est-à-dire hors énergie et produits alimentaires, n’est que de 0,7 %. Un certain nombre de facteurs contribuent aujourd’hui à une inflation faible. Tout d’abord, la zone euro fait face à des pressions désinflationnistes liées à une série de chocs économiques : premièrement, la baisse des prix du pétrole, ainsi que celle des matières premières ; deuxièmement, le ralentissement de la croissance dans les économies émergentes, en particulier en Chine ; et enfin, l’insuffisance de la croissance dans la zone euro avec la persistance d’un fort taux de chômage, qui bride la hausse des salaires et affaiblit la demande et la croissance des prix. En outre, des évolutions structurelles, comme le vieillissement de la population, sont également susceptibles d’exercer une pression à la baisse sur le taux d’intérêt dit « naturel » ou « Wicksellien ». On peut le définir comme le taux d’intérêt compatible avec le plein emploi des facteurs de production. Dans ce cas, pour rétablir le bon équilibre entre épargne et investissement, il faut que les taux de marché baissent également. En temps normal, les banques centrales interviennent par le biais de la baisse des taux directeurs, qui se répercute sur la courbe des taux. Cependant, pour faire face à la crise financière, la BCE comme les autres banques centrales ont réduit leurs taux d’intérêt directeurs à des niveaux très faibles, autour de zéro. Cela signifie que nos instruments habituels de politique monétaire doivent être complétés par d’autres instruments, dits non conventionnels, afin d’atteindre notre objectif de stabilité des prix. J’y reviendrai.

b) En ce qui concerne les défis auxquels nous sommes actuellement confrontés, ces pressions désinflationnistes créent en outre le risque d'un désancrage des anticipations, qui rendrait plus difficile le retour à notre cible de 2 %. En effet, si l’inflation reste trop faible trop longtemps, les agents économiques risquent de revoir à la baisse leurs anticipations d’inflation, ce qui créerait des effets de second tour. Une inflation anticipée plus faible se répercute sur les décisions de fixation des prix et des salaires des agents économiques, ce qui à son tour nourrit la faible inflation. Elle peut même créer le risque de la déflation, que l’on définit comme un processus cumulatif de diminution des prix, y compris ceux des actifs, voire des salaires et de la production, comme l’a connu l’économie mondiale dans les années 1930 ou partiellement le Japon dans les années 1990. Nous ne sommes pas dans une telle situation de déflation aujourd’hui. Mais ce risque est la raison pour laquelle notre objectif d’inflation est symétrique. Nous considérons qu’une inflation trop faible est aussi coûteuse qu’une inflation trop élevée. Et il y a donc plus de risques pour la banque centrale à agir trop tard que trop tôt. Depuis le début de l’année, nous constatons que les anticipations d’inflation issues des indicateurs de marché sont en baisse. Néanmoins, les dernières prévisions fournies par la BCE continuent d’afficher une hausse graduelle de l’inflation dans les années à venir : 0,1 % en 2016, 1,3 % en 2017 et 1,6 % en 2018.

c) Pour certains, ces défis signifient que l’Eurosystème ne peut plus remplir sa mission de maintien de la stabilité des prix. Je ne le pense pas. Les défis actuels ne remettent pas en cause notre mandat, mais ils changent la façon dont nous le remplissons. Certains affirment que l’Eurosystème devrait plutôt changer son objectif. Je ne le pense pas non plus. La continuité de l’objectif est essentielle pour la crédibilité de la politique monétaire : cette cible de 2 % est un « ancrage » à moyen terme, alors qu’il y a tant de volatilité et de court-termisme qui pèsent sur l’économie. La plupart des banques centrales des économies avancées partagent cet objectif de 2 % à moyen terme, y compris les États-Unis et le Japon. C’est l’objectif de la BCE depuis 2003, sur proposition de son chef économiste d’alors, l’Allemand Otmar Issing.

II. J’en viens à mon second point : quelle est l’efficacité de notre politique monétaire ?

a) Nous avons, depuis l’été 2014, mis en oeuvre un ensemble de mesures de politique monétaire non conventionnelles, pour compléter la baisse des taux d’intérêt directeurs. Ces mesures non conventionnelles ont produit des résultats tangibles. Elles se sont traduites par un assouplissement substantiel des conditions de financement des entreprises en zone euro. Depuis juin 2014, le coût du crédit aux entreprises a baissé de 80 points de base. En l’absence de mesures non conventionnelles, nous estimons qu’il nous aurait fallu baisser les taux directeurs classiques d’environ 100 points de base en juin 2014 pour obtenir un effet similaire sur les taux des banques. Cela a également contribué à relancer le financement de l’économie réelle : l’encours des crédits aux entreprises est passé dans la zone euro d’un recul de - 2,5 % en juin 2014 à une croissance de + 0,6 % en janvier 2016. L’effet est plus marqué encore pour la France, qui enregistre un rythme de croissance annuel des crédits aux entreprises de 4,8 % en janvier 2016, le plus élevé de la zone euro, avec en outre les taux de crédit les plus bas. Les estimations convergentes de la BCE et de l’Eurosystème montrent ainsi que les mesures mises en oeuvre depuis juin 2014 devraient engendrer une hausse d’environ 1 % de l’inflation sur la période 2015-2017 et d’un niveau voisin sur la croissance, toutes choses égales par ailleurs. En France, en 2015, cela a contribué à accroître la croissance de 0,3 %, l’INSEE ayant même une estimation un peu supérieure (0,4 %). Cela représente un effet conjoncturel d’au moins + 80 000 emplois, même si seules des réformes structurelles sont de nature à augmenter à long terme la croissance et les emplois d’un pays. Pour conclure cette estimation de l’efficacité, le FMI - qui est un « juge de paix » reconnu de la pertinence des politiques économiques - l’a dit très clairement à l’occasion du G20 de Shanghai fin février : « Le programme d’achats d’actifs de la BCE a soutenu la reprise en améliorant la confiance et les conditions financières, et la politique monétaire doit rester accommodante ».

b) Pourquoi avons-nous décidé de faire plus le 10 mars ? L’ensemble complet de mesures introduit par la BCE donne deux messages clairs :

Tout d’abord, nos décisions sont guidées par notre mandat : ramener l’inflation vers la cible de 2 % à moyen terme. Notre détermination est forte, et notre panoplie d’instruments est large. Outre les taux d’intérêt, nous agissons aussi sur l’assouplissement du crédit bancaire avec la nouvelle série d’opérations de refinancement à plus long terme ciblées (TLTRO II) et sur le financement de marché via le programme d’achats d’actifs du QE élargi, qui est porté à 80 milliards d’euros par mois et est étendu aux obligations d’entreprises. En outre, nous garantissons de le faire aussi longtemps que nécessaire - via la forward guidance. Ainsi, les taux d’intérêt négatifs ne sont qu’un élément d’un ensemble beaucoup plus complet. Nous pensons qu’ils ont été efficaces, mais ils ont naturellement leurs limites. De plus, le Conseil des gouverneurs a donné un signal fort de sa volonté d’avoir une attitude de coopération au niveau international, dans la mesure où il a décidé de ne pas opter pour un système de paliers (tiering system) exemptant les banques de taux négatifs.

Deuxième message : Notre priorité est de promouvoir le financement de l’économie réelle. L’objectif du TLTRO 2 n’est pas, contrairement à ce qu’affirment certains commentaires, de compenser l’effet des taux négatifs sur les banques. Il est d’inciter favorablement les banques à prêter aux entreprises et PME comme aux ménages ; de même, l’élargissement du programme d’achats aux obligations d’entreprises bénéficiera largement aux grandes entreprises françaises. Autrement dit, nous sécurisons le financement des entreprises et des ménages, nous le protégeons contre des tensions qui seraient liées à la volatilité des marchés.

c) À présent, qu’en est-il des risques ? J’ai parlé tout à l’heure des risques de l’inaction : nous nous devons d’agir, pour ramener l’inflation vers 2 %. Cela étant, nous restons attentifs symétriquement aux éventuels « effets secondaires » de notre politique monétaire, notamment en matière de stabilité financière. Nous surveillons activement le cycle financier, y compris en France au sein du Haut conseil de stabilité financière créé en 2013. J’ai participé la semaine dernière à sa 8ème réunion auprès du Ministre des Finances. Aujourd’hui, il n’y a pas de signes de formation de « bulles » sur nos principaux marchés de financement : dans l’ensemble, les développements sur les marchés d’actions correspondent aux anticipations de profitabilité des entreprises, et l’évolution des taux d’intérêt obligataires paraît également cohérente avec les perspectives de croissance et d’inflation. Il n’y a pas non plus de signes d’une croissance excessive du crédit dans le système financier. Mais nous restons vigilants sur tous les aspects de l’environnement macroéconomique et financier actuel. La semaine dernière, le Haut conseil de stabilité financière a alerté sur les risques potentiels associés à l’immobilier non résidentiel, notamment : « la forte hausse de la demande des investisseurs sur certains segments de marché et un niveau élevé des prix, en particulier sur les bureaux en région parisienne ». L’évaluation du HCSF sera soumise à une consultation publique dans les prochaines semaines. Nous sommes prêts, si nécessaire, à agir par des mesures macroprudentielles, afin de prévenir et limiter les risques systémiques qui pourraient se matérialiser.

En résumé, la politique monétaire fait beaucoup pour combattre la faible inflation et soutenir l’activité économique - c’est notre devoir et nous continuerons à le faire avec une totale détermination : nous sommes continus sur l’objectif, mobilisés avec les instruments, vigilants sur les risques éventuels. Mais je voudrais pour autant rappeler fortement que la « politique monétaire ne peut pas tout ». Les autres politiques économiques ont également un rôle essentiel à jouer. C’est précisément ce qu’ont souligné à nouveau les pays membres du G20, à Shanghai, le 27 février dernier : « les politiques monétaires continueront à soutenir l’activité économique et à assurer la stabilité des prix, en cohérence avec le mandat des banques centrales, mais la politique monétaire seule ne peut pas entraîner une croissance équilibrée ». Les politiques budgétaires doivent pouvoir soutenir la demande lorsqu’elles ont des marges de manoeuvre pour le faire – ce n’est pas le cas actuellement en France, mais c’est le cas dans d’autres pays européens. Par ailleurs, des réformes structurelles restent indispensables en France pour permettre à l’économie de revenir à son plein potentiel en favorisant la création d’emplois et d’entreprises. Au niveau européen, il faut avancer enfin vers une véritable union économique, à côté de l’union monétaire que porte l’Eurosystème. Si nous n’optimisons pas la gouvernance de la zone euro, nous n’optimiserons pas sa croissance. La politique monétaire très accommodante que nous menons actuellement crée un contexte particulièrement favorable pour mener les réformes nécessaires. Elle ne doit pas être une excuse pour les reporter : l’Europe et la France doivent impérativement saisir cette chance, maintenant.

Je vous remercie de votre attention.

Télécharger la version PDF du document

DiscoursFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
Les anticipations d’inflation, les implications et les réponses de la politique monétaire dans un nouveau paradigme des matières premières
  • Publié le 21/03/2016
  • FR
  • PDF (324.82 Ko)
Télécharger (FR)