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L’entreprise inclusive face au confinement

Webinaire Entreprises et Handicap

« L’entreprise inclusive face au confinement »

9 juin 2020

 

Intervention de Denis BEAU, Premier sous-gouverneur

 

Madame la Ministre, Mesdames et Messieurs,

 

Merci de me donner l’occasion de m’exprimer dans cette enceinte, sur un sujet qui nous tient particulièrement à cœur à la Banque de France : celui de l’intégration des travailleurs handicapés (TH). Je voudrais plus précisément partager avec vous notre évaluation de notre politique d’intégration des TH a l’épreuve de la crise sanitaire, qui était un vrai défi.  

La crise sanitaire et économique que nous traversons a été à la fois inattendue et d’une ampleur inédite. Les Pouvoirs Publics ont répondu à l’impact économique considérable provoqué par les mesures sanitaires exceptionnelles qui ont été mises en oeuvre, par des mesures massives, budgétaires et monétaires. La Banque de France, institution de la République, membre du Système Européen de Banque Centrale, chargée de veiller à la stabilité monétaire et financière et d’apporter des services à nos concitoyens, en particulier les plus fragiles, y a pris toute sa part. Elle y est parvenue en activant et en déployant en l’espace de quelques jours, deux dispositifs de gestion, qu’elle avait mis en place et testés depuis longtemps :

  • d’abord, un plan de continuité de ses activités, arrêté de longue date, même si, comme partout ailleurs, il a nécessité une adaptation dans un contexte inédit, lui permettant la poursuite de toutes ses activités essentielles en cette période de crise ; 
  • ensuite, le télétravail, pratique bien installée au sein de la Banque de France, et qui est devenue dominante, près de 70% des agents de la Banque ayant poursuivi leur activité à temps plein après le 16 mars sous cette forme, contre moins d’un tiers avant la crise, pour en moyenne un jour par semaine. Grâce au recours massif au télétravail, la bascule dans le confinement et le maintien de l’activité de la Banque ont pu être réalisés avec une relative aisance, notamment grâce à la généralisation de l’utilisation des équipements informatiques portables. Seuls sont demeurés sur site ceux de nos agents dont la présence était absolument indispensable, c’est-à-dire environ 5% de nos collaborateurs.

Cette organisation a été mise en œuvre car c’était la seule qui nous permettait de maintenir nos activités essentielles au service de la collectivité, tout en protégeant la santé de nos collaborateurs et en assurant le plus strict respect des mesures barrières demandées par le Gouvernement.

Dans ce cadre, une attention particulière a bien sûr été portée aux travailleurs handicapés (TH), pour lesquels la BDF mène de longue date une politique d’intégration forte.

C’est en 1988 que la Banque a conclu son 1er accord sur le Handicap ; elle a créé en 2006 la Mission Handicap, un service dédié au handicap « en milieu ordinaire » au sein de notre DGRH.

En outre, c’est dès 1979 que notre Centre d’adaptation et de Réinsertion par le Travail (CART) a été créé. Il s’agit d’un ESAT (Établissement et Service d’Aide par le Travail) ayant vocation à accueillir des handicapés mentaux. L’engagement de la Banque en faveur de cette institution est d’autant plus important que, comme le souligne le rapport conjoint de l’IGF et de l’IGASS d’octobre 2019, sans l’existence des ESAT, la majorité des personnes qui y travaillent seraient profondément et durablement éloignées de l’emploi.

La Banque en est aujourd’hui à son 10ème accord sur le handicap.

Cette politique volontariste a porté ses fruits : la Banque accueillait ainsi, en 2019, 6,48 % de TH en milieu ordinaire, et 22 TH en milieu protégé.

Quoi qu’il en soit, au-delà du nombre de TH que nous accueillons, la Banque porte une attention particulière à leurs spécificités et à leur hétérogénéité, en milieu ordinaire et en milieu protégé. Le handicap en entreprise se doit en effet d’être traité de manière multidimensionnelle, de par la diversité de ce qu’il recouvre.

L’attention de la Banque de France aux TH a été particulièrement soutenue pendant la période de confinement, car nombre de TH sont des personnes fragiles, parfois isolées et pour lesquelles les pertes de repères peuvent être source de difficultés spécifiques.

Dès les premières confirmations du risque épidémique, diverses mesures ont été mises en place par la Banque. Pour l’ensemble des agents, une Cellule de mobilisation a été rapidement créée, intégrant la médecine du travail, pour prendre et ajuster au quotidien les mesures sanitaires, sociales et organisationnelles s’imposant, et les décliner au niveau de l’ensemble des directions et entités de notre institution. Des mesures spécifiques ont été mises en place pour les travailleurs handicapés, qu’ils travaillent en milieu ordinaire ou en milieu protégé :

Pour ce qui concerne les TH en milieu ordinaire, mais également leur hiérarchie, il a fallu franchir une barrière (le plus souvent psychologique) avec le passage de la quasi-totalité d’entre eux en télétravail. Pour faciliter cette organisation du travail, il a été admis qu’ils puissent produire une simple attestation de leur médecin traitant (et non pas du médecin du travail) de sorte, dès le début de l’épidémie, et avant même le confinement, de solliciter le passage en télétravail immédiat et à temps complet.

En termes de communication, des actions régulières ont été menées à l’attention de l’encadrement, rappelant l’impérieuse nécessité de maintenir le lien avec les équipes, en particulier avec les populations « fragiles », et en utilisant pour cela tous les outils de communication à distance mis à disposition. Une structure de soutien psychologique a également été mobilisée, pour tous ceux (managers et agents) qui en ressentiraient le besoin.

Enfin, un lien spécifique avec les TH a été entretenu, dès le début de la crise, par la Mission Handicap, au travers de communications spécifiques adressées à chacun d’eux. Ces communications ont eu pour objet de leur présenter les orientations internes de la Banque, mais également de leur rappeler le rôle d’accompagnement de la Mission Handicap, pour identifier les solutions –notamment matérielles- les plus adaptées. Ce qui a permis de résoudre nombre de problèmes et de mobiliser, en tant que de besoin, le réseau interne des assistantes sociales pour conforter ces actions.

La mise en œuvre prudente du déconfinement ne nous a pas amenés à modifier substantiellement ce dispositif. Depuis le 11 mai, le principe de précaution préexistant déjà au confinement est maintenu avec les éléments phare suivants :

  • conserver le maximum d’agent en télétravail (tout au moins dans un premier temps) ;
  • ne faire revenir sur site que les agents dont la présence est indispensable ;
  • et bien évidemment, préserver la santé des agents et, en particulier, des plus fragiles.

Enfin, nous serons particulièrement attentifs dans les temps à venir à l’éventuel accompagnement psychologique dont les personnes les plus sensibles pourraient avoir besoin après leur retour sur site, pour pouvoir dépasser le choc que peut représenter nombre de ruptures et d’instabilité (professionnelle ou autres) dans un délai aussi court.

Pour ce qui concerne le milieu protégé, pendant la période de confinement, l’activité professionnelle du CART a été interrompue et les travailleurs ont été placés en confinement. Dès lors on aurait pu craindre une forme de marginalisation des TH du CART et même une remise en cause du devenir à terme de leurs activités par nature non-télétravaillables.

En fait, le suivi médico-social des TH par l’équipe éducative ne s’est jamais interrompu. Les liens ont été maintenus quotidiennement avec chaque travailleur confiné. Cette démarche, naturelle pour l’équipe, était au demeurant conforme aux directives de l’ARS qui étaient notamment de :

  • Veiller à l’accompagnement psychologique des personnes en situation de handicap et de leurs proches ainsi que des professionnels ;
  • Renforcer et adapter les mesures de prévention et de protection dans les établissements et services accompagnant des personnes en situation de handicap ;
  • Garantir la continuité de l’accompagnement médico-social et des soins des personnes en situation de handicap pendant la durée de l’épidémie.

Le CART est donc en fait resté « ouvert » dans l’une au moins de ses composantes pendant cette période de confinement : celle de l’accompagnement des collaborateurs en situation de handicap. Le collectif de travail a été maintenu sous forme d’échanges (groupe de discussions, appels téléphoniques) quotidiens avec les travailleurs. Cette période a même permis de créer des liens nouveaux et a contribuer à entretenir et renforcer la confiance des personnes handicapées du CART envers les éducateurs en charge de leur suivi pendant cette période.

La suspension des activités professionnelles du CART a été étendue jusqu’au 2 juin, mais plusieurs stages de travailleurs dans les services de la Banque ont pu reprendre dès le 11 mai. à partir du 2 juin la reprise a été engagée par demi-groupe d’une dizaine de travailleurs dans un premier temps. Ils reviendront tous dès que le nombre de travailleurs accueillis en stages dans les services de la Banque sera suffisant. Il est d’ailleurs à noter que la Banque et les services pour lesquels l’ESAT effectue des travaux de sous-traitance ont, depuis le 11 mai, réitéré des demandes ou commandes, signe tangible que le CART est parfaitement intégré à l’organisation de notre Institution. Une belle preuve de la réussite de cette politique inclusive, que la crise sanitaire n’a pas, contrairement à ce que l’on aurait pu craindre, mise à mal.

Enfin, et de manière peut-être plus anecdotique mais néanmoins révélatrice, la Banque a permis à un travailleur du CART de tester avec succès le télétravail dans le cadre de son stage continu. C’est un bel exemple individuel d’intégration à l’environnement professionnel d’un travailleur handicapé.

 

Pour conclure, quelle leçon tirons-nous de cette période de confinement pour notre politique générale vis à vis des travailleurs handicapés ? Si je devais le dire en quelques mots, ce serait : la résilience de notre modèle d’intégration.

  • C’est vrai pour les TH en milieu ordinaire : la forte intégration « en temps normal » des travailleurs handicapés s’est confirmée en temps de crise. Et même, des barrières sont tombées (chez les managers comme chez les TH : nous pensions par exemple que les TH étaient moins susceptibles de télétravailler que les autres…. Mais finalement non. Nous nous mettions des barrières. Elles sont tombées. En fait, il n’y a pas eu de différentiel d’autonomie constaté ;
  • C’est vrai aussi pour les TH en milieu protégé. La protection en période de crise de cette population plus fragile a bien sûr été notre priorité. Mais le fait que les services accueillant habituellement des travailleurs du CART se soient manifestés pour les solliciter à nouveau dès le dé-confinement, montre là aussi la force de l’intégration de notre ESAT et de ses travailleurs dans la Banque de France.

Dans un cas comme dans l’autre, cela nous permet d’envisager la poursuite de l’intégration des TH à la Banque de France avec optimisme et détermination.

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DiscoursDenis BEAU, Sous-gouverneur de la Banque de France
L’entreprise inclusive face au confinement
  • Publié le 09/06/2020
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