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La Politique monétaire doit rester accommodante - Le Figaro

Pour le gouverneur de la Banque de France les tensions commerciales sont à l’origine du ralentissement mondial. Les grands argentiers, réunis pendant deux jours à Washington pour les assemblées du FMI et de la Banque mondiale, ont discuté des risques de récession et des remèdes pour les prévenir.

Jean-Pierre Robin : Le FMI juge la situation de l’économie mondiale « délicate ». Faut-il redouter une récession ?

François Villeroy De Galhau : Non. Il y a certes un ralentissement sérieux à l’échelle mondiale, mais l’économie américaine reste en expansion, la Chine présente des signes récents de stabilisation, et en Europe la France et l'Espagne résistent bien. Reste à savoir si ce ralentissement est de quelques mois, ou plus.

L’Union Européenne est-elle la principale victime des tensions commerciales internationales ?

Clairement, la rhétorique de M. Trump sur le commerce a une responsabilité forte dans ce ralentissement global. Les tensions commerciales n’ont rien rapporté à la croissance américaine, mais elles ont déjà un coût pour l’économie mondiale. L'incertitude qu'elles entraînent pèse sur la confiance des entreprises et leurs investissements, avant même toute augmentation éventuelle des droits de douanes effectifs. L’Europe n’en est pas plus victime que d’autres à ce stade. Mais s’il devait y avoir un accord entre la Chine et les États-Unis, ce qui serait une bonne chose, il ne faut pas que les tensions se reportent sur l’Europe. L'unité européenne sera indispensable : l'Europe n’est forte que si elle est unie.

Le ralentissement est très marqué en Allemagne. Le modèle allemand fondé sur l’exportation est-il en danger ?

L’Allemagne est beaucoup plus exposée au freinage spectaculaire du commerce  mondial depuis l’été 2018. S'y sont greffé des problèmes locaux, comme les tests antipollution pour l'automobile. Mais le modèle allemand reste fort, avec le plein emploi, sa main-d’œuvre industrielle, son dialogue social. Face à une croissance 2019 nettement inférieure à la France, le FMI appelle cependant l’Allemagne à activer les capacités de relance liées à ses excédents budgétaires. C’est une question plus actuelle que celle de la rénovation de son modèle.

Les mesures de relance du pouvoir d’achat annoncées en décembre 2018 s’avèrent particulièrement opportunes pour la France?

La Banque de France prévoit effectivement une croissance française résiliente, à 1,4 % en 2019, après 1,6 % l’an dernier. Cela tient notamment à la progression du pouvoir d’achat des ménages qui devrait être d’environ 2 % en moyenne par habitant, la plus forte depuis 2007. Ce résultat provient pour partie des mesures de décembre ; mais c’est également la conséquence des 785 000 emplois créés en net sur trois ans, de 2016 à 2018,  et d'une accélération des salaires. Mais aujourd’hui, un frein important à la croissance française reste les difficultés de recrutement des entreprises, alors même que le taux de chômage demeure beaucoup trop élevé à 8,8 %. Ce paradoxe douloureux doit nous inciter à poursuivre les réformes, en toute priorité en faveur de la formation professionnelle et l’apprentissage : donner à chacun, jeune ou adulte, sa chance sur les compétences.

À l’échelle internationale, les économistes débattent à nouveau de la relance budgétaire. Qu’en pensez-vous?

Le débat part du fait que lorsque les taux d’intérêts sont inférieurs au taux de croissance, la dette publique peut être un levier de croissance. Mais ce n'est vrai ni toujours, ni partout. La France en particulier a, depuis des décennies, accru sa dette publique plus que la moyenne européenne, sans obtenir plus de croissance, au contraire. Nous sommes toujours tentés par des baisses d'impôts supplémentaires ; mais la priorité reste d'au moins stopper deux hausses : celle de notre dette publique, qui va encore monter cette année vers 99 % du PIB,  et celle de nos dépenses publiques, qui continuent de croître en volume, plus vite que l'inflation. Les économistes insistent aussi sur la qualité des dépenses et des investissements publics, dont on parle trop rarement. 

Tensions commerciales, Brexit, élections européennes, la zone euro est-elle en danger ?

L'euro est une monnaie solide, qui est soutenue par 75 % des citoyens européens.   

Les réunions financières du FMI, de la Banque mondiale, du G20 et du G7 ont-elles permis de clarifier les choses ?

Malgré les tentations unilatérales, l'apport de ces rencontres est de partager un diagnostic, préparé par le FMI, et de faire en conséquence avancer la coopération. Prenons l’exemple du G7 dont la présidence revient cette année à la France : Bruno Le Maire en a donc présidé la réunion, où on a discuté de la taxation des grandes entreprises du numérique, et de la cyber-sécurité. Voilà deux priorités concrètes pour 2019.

Les banques centrales américaine et européenne, la Fed et la BCE, semblent à nouveau mener des politiques très accommodantes, ce qui a dopé les Bourses. N’est-ce pas un jeu dangereux ?

Les banques centrales ont reçu un mandat, qui est d’assurer la stabilité des prix. Tant que nous à la BCE ne serons pas à notre cible d’inflation « inférieure à, et proche de 2 % », notre devoir est de maintenir une politique monétaire accommodante.  Mais les banques centrales ne peuvent à elles seules répondre aux défis de l’économie mondiale ! La priorité est de réduire les incertitudes géopolitiques qui sont la première cause du ralentissement, à fortiori d'éviter d'en créer de nouvelles : ce défi de 2019 va au-delà des débats classiques de politique économique. Par ailleurs, les gouvernements qui en ont les moyens peuvent recourir aux instruments budgétaires, et partout il faut mettre en œuvre des réformes favorables à la croissance et à l’innovation.

En Europe, les banques commerciales ont des excès de trésorerie de 1 900 milliards d’euros qu’elles doivent déposer à la BCE et payer des taux négatifs de 0,4 %. N’est-ce pas une situation absurde?

Les effets de notre politique monétaire sur les banques ne se limitent pas au coût de ces liquidités excédentaires ; il y a à  l'inverse certains aspects très positifs. Mais je me félicite que nous ayons décidé jeudi dernier au Conseil des gouverneurs de la BCE de réévaluer ces effets, y compris des taux négatifs, et d'étudier éventuellement certaines mesures d'atténuation.

C’est en France que le crédit augmente le plus vite dans la zone euro. Faut-il s’en inquiéter ?

Effectivement, la France est en position avancée à cet égard, ce qui nous a conduits au sein du Haut  Conseil de Stabilité Financière à décider un « coussin contra-cyclique », un surcroît de capital de 0, 5% sur les encours de crédit. Cette mesure a été jugée exemplaire lors des discussions internationales, alors que le FMI s’inquiète de la montée de l’endettement public et privé dans le monde.

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InterviewFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
La Politique monétaire doit rester accommodante - Le Figaro
  • Publié le 15/04/2019
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