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La France : une place européenne d’excellence pour l’innovation dans les services financiers - FinTech Forum

Bonjour à tous, Je suis ravi d’être avec vous aujourd’hui. Qui aurait imaginé, il y a encore quelques années, qu’un banquier central interviendrait dans un forum sur l’innovation ? Je me souviens que pour la première réunion, il y a environ un an, avec les codeurs de la start-up « Labo blockchain » pour travailler sur un Proof of Concept, les équipes de la Banque de France avaient voulu faire un effort : tout le monde s’était habillé casual… sauf que, pour l’occasion, les codeurs de la start-up avaient opté pour le costume-cravate. C’était un peu le monde à l’envers !  Mais les choses évoluent très vite. Aujourd’hui, le dialogue avec les acteurs innovants va bien au-delà des images que chacun pouvait avoir de l’autre : la Banque de France teste la blockchain, elle ouvre un LAB pour travailler avec les start-up ; l’ACPR (l’autorité de supervision que je préside) a reçu plus de 100 acteurs innovants depuis la création de sa Fintech innovation Unit, et elle a créé avec l’AMF un Fintech Forum pour intensifier le dialogue avec les acteurs innovants. Pour tous les acteurs financiers, y compris pour la Banque de France et l’ACPR, la révolution digitale crée des défis mais aussi de formidables opportunités à saisir, que ce soit au niveau des FinTech elles-mêmes, de tout le système financier – banques et assurances,  ou de l’économie française et européenne dans son ensemble. 

I. Quels enjeux pour les FinTech ? 

Comment pourrait-on se passer aujourd’hui des cagnottes en ligne pour les événements, des agrégateurs d’informations sur les comptes bancaires ou encore des services de paiement entre particuliers pour partager des factures de restaurant ou des frais de colocation ? Steve Jobs avait utilisé ce mantra bien connu : « simplicity is the ultimate sophistication » et je crois que toutes ces innovations ont su répondre simplement, et souvent à moindre coût, aux besoins et aux nouveaux usages des clients. Elles ont su associer technologie et design de l’interface client. Elles ont souvent été imaginées par des start-ups réactives, en phase avec le marché et qui s’autorisent à penser au-delà des cadres existants. Aujourd’hui le marché français est le second marché européen du financement participatif après la Grande-Bretagne et un des marchés les plus actifs en Europe pour l’innovation en matière de paiement. 

Je veux vous le dire aujourd’hui : nous apprenons de vous. Vous pouvez contribuer vous aussi, par vos technologies, à rendre le système financier plus sûr. L’intelligence artificielle et les chatbots que vous développez nous aideront à répondre plus efficacement au public, le big data, le machine learning, ainsi que la biométrie, à mieux prévenir les fraudes, la blockchain et les smart contracts à optimiser les transactions, vos API (Application Programming Interface) et vos technologies open source  à accroitre l’interopérabilité des technologies financières.

 Et si je réfléchis à mon tour à ce que la Banque de France et l’ACPR peuvent vous apporter,  je dirais : une régulation stable, fiable et agile. Stable car nous sommes profondément ancrés dans la réglementation européenne : les FinTech établies en France peuvent donc offrir leurs services dans tous les pays de l’Union européenne, c’est ce qu’on appelle le « passeport européen ». Fiable, car nous veillons à limiter les risques potentiels, pour que l’innovation soit toujours synonyme de protection de la clientèle, sécurité des paiements, sécurité informatique et stabilité financière. Mais aussi agile, car l’innovation ne doit pas être étouffée par les contraintes administratives, c’est pourquoi nous développons une régulation assise sur des principes ou des objectifs plutôt que sur des règles, et intégrant une proportionnalité par les risques. Les nouveaux acteurs FinTech contribuent aussi à la concurrence avec les acteurs du numérique déjà en place, et en particulier avec les initiatives des géants du web américains. Les enjeux industriels sont importants : nous devons favoriser cette concurrence active, largement préférable aux monopoles, même technologiques. Une régulation stable, fiable et agile, c’est un facteur de confiance. Et la confiance, c’est un facteur de succès pour l’innovation. Nous voulons construire cette régulation avec votre active participation. Nous avons besoin de vos contributions pour une transposition rapide et efficace de la directive dite DSP2 ; nous avons aussi besoin de votre mobilisation pour développer une « Regtech » d’excellence.

II. Quels enjeux pour l’industrie financière française ? 

L'innovation ne concerne pas que les nouveaux entrants, bien sûr. Pour les banques comme pour les assurances, la révolution digitale bouscule le modèle historique de  la relation clientèle. Un chiffre est révélateur : celui de la fréquentation des agences bancaires. En 2007, 62 % des Français fréquentaient leur agence plusieurs fois par mois. En 2016, ce chiffre est trois fois moins élevé : 20 % – et même seulement 13 % pour les 18-34 ans[1]. Les parcours clients sont de plus en plus digitalisés : la France est d’ailleurs le premier grand pays européen pour l’usage d’internet pour les services bancaires (69 % des clients)[2]. Mais au-delà de la relation clientèle, réussir la mue digitale nécessite pour les établissements financiers de mener une réflexion d’ensemble, sur la gestion stratégique, pour donner une place centrale à la culture de l’innovation, et sur les business models. Ce sont des choix difficiles, qui appartiennent naturellement aux établissements eux-mêmes ; les réponses ne sont ni évidentes, ni uniformes, mais je veux partager avec vous quelques pistes.

Du côté des banques, il faut bien sûr repenser les sources de revenu : une des réponses peut venir de la diversification des services – propres ou en partenariat – proposés aux clients, comme de l’évolution éventuelle de leur tarification, avec moins de prix fixes et davantage de tarification à l’usage. La transformation digitale passe aussi par l’anticipation des mutations de l’emploi et des compétences, dans le dialogue social. Elle repose aussi sur une démarche d’ouverture, avec des partenariats avec des FinTech et le monde scientifique. Enfin, elle appelle des investissements informatiques importants, à la fois pour fournir un service toujours plus adapté aux clients, pour réduire les coûts structurels et pour renforcer encore la conformité aux exigences réglementaires. Les systèmes d’information devront être – et c’est là toute le défi – à la fois plus sûrs, pour offrir une protection forte contre les cyber-risques, et plus souples et propices à l’inter-connectivité. 

Du côté des assurances, la révolution digitale commence aussi par la refonte de la relation clientèle et des usages, mais elle va au-delà. Je veux souligner deux sujets qui me paraissent essentiels. Tout d’abord, avec l’aide des réassureurs, les assureurs doivent être en mesure de répondre aux besoins de couverture contre les cyber-risques, une préoccupation qui touche l’ensemble des entreprises, des plus petites aux plus grandes. Pourtant, en 2015, moins de 5 % des entreprises françaises et 6 % des particuliers avaient souscrit une cyber-assurance[1]. Les entreprises d’assurance peuvent et doivent se nourrir de leur propre expérience contre les cybers-risques pour faire émerger d’une offre française et européenne de cyber-assurance plus mature. Deuxième sujet : les données et le Big Data, avec le développement des objets connectés qui démultiplient la quantité d’informations sur les assurés. C’est naturellement une opportunité : le métier historique des assurances consiste précisément à collecter et exploiter des données pour mesurer un risque et en déduire une tarification. J’appelle néanmoins les acteurs à une approche responsable : il faut trouver un juste équilibre entre la segmentation et le partage du risque entre assurés – ce sont les principes de solidarité et de mutualisation consubstantiels à l’assurance qui sont en jeu ; et il ne faut pas perdre de vue nos valeurs collectives à l’égard du respect de la vie privée.

[1] Sources : Fédération Bancaire Française, Observatoire 2016 de l’image des banques réalisé par l’institut BVA au moyen d’une enquête réalisée en mai 2016, et Observatoire 2015.

[2] Indicateur Digital Economy and Society Index de la Commission Européenne

[3] « Le marché de la cyber-assurance : la révolution commence maintenant ». PwC – Janvier 2016

III. Quels enjeux pour l’économie française et européenne ? 

Il faut rappeler deux évidences économiques : il n'est pas de croissance durable sans hausse de la productivité ; et il n'est pas de productivité sans l'innovation et sa bonne diffusion. Les économistes s'interrogent beaucoup sur le ralentissement aujourd'hui de la productivité, et la crainte pour certains d'une « stagnation séculaire ». Le terme me paraît excessif, et vous en êtes la preuve. Mais l'impératif pour une économie compétitive et de croissance, c'est d'augmenter l'innovation et sa diffusion, pas de la ralentir. La digitalisation du secteur financier peut accélérer ce processus bénéfique : elle contribue à diffuser les avancées technologiques telles que la signature électronique, les technologies de défense face aux cyber-attaques ou encore les technologies de registre distribué. Les solutions de paiements innovantes et sécurisées, dont demain la blockchain, participent aussi au développement accéléré du e-commerce et à la modernisation du commerce physique. 

Il faut pour cela approfondir encore l’harmonisation européenne : dans l’application fine des textes régissant le secteur financier (définition et sécurité des services de paiement), dans les domaines plus récents (financement participatif) ou encore dans la recherche d’une meilleure interopérabilité des technologies et des normes. Mais il est surtout indispensable de définir une stratégie globale pour l’innovation européenne dans les services financiers. Cette stratégie doit faire converger l’ensemble des thématiques suscitées par la finance digitale : de la protection des données à la lutte contre le blanchiment ; de la sécurité informatique à la protection du consommateur ; de la stabilité financière aux enjeux sociaux de l’inclusion bancaire, de l’éducation financière et des mutations du travail dans le secteur financier. C’est un chantier mené actuellement par la Commission Européenne. La Banque de France et l’ACPR y prennent part. Il en va de l’Europe, de son indépendance vis-à-vis des autres grands ensembles régionaux et du dynamisme de son économie.  

Vous l'avez compris : l'innovation est clé pour les régulateurs que nous sommes. Et la France a beaucoup d'atouts en Europe pour être un leader de de cette transformation digitale. Vous en êtes les acteurs, avec votre audace et vos succès ; à nous – Banque de France et ACPR – d’en être les partenaires compétents, vigilants lorsqu’il le faut, et ouverts toujours. Soyez assurés que nous sommes pleinement mobilisés dans cette direction. Je vous remercie de votre attention. 

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DiscoursFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
La France : une place européenne d’excellence pour l’innovation dans les services financiers - FinTech Forum
  • Publié le 25/01/2017
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